Shmuel Trigano. Le mauvais tour du président Macron

Au premier abord, on ne peut qu’être stupéfait de voir le Président Macron choisir le Grand Orient de France, un courant de la Franc-maçonnerie, pour s‘exprimer sur la crise antisémite que nous connaissons. En effet, durant les deux derniers siècles les Juifs furent accusés par l’extrême droite de constituer un groupe occulte exerçant un pouvoir sur la société et l’antisémitisme les assimila aux Francs-Maçons.  Défendre la cause de la lutte contre l’antisémitisme dans ce cadre-là ne peut que confirmer dans l’imaginaire collectif le plus archaïque ce soupçon quant à la nature de la condition juive …  Le fait que le Président, dans son éloge des Francs-Maçons, se soit identifié implicitement à l’idéologie maçonnique (assimilée au républicanisme) renforce encore plus la confusion entre les Juifs et les Francs-Maçons : un schéma typique de l’antisémitisme. En un mot, on peut mieux faire pour se distinguer de l’extrême droite et la mettre à l’écart, comme le Président le prétend !


C’est justement le problème. En désignant l’extrême droite comme le foyer et la source de l’antisémitisme, il a choisi de méconnaitre non seulement l’antisémitisme classique de gauche et ses recompositions mais encore son articulation avec l’islamisme dans la France contemporaine. Il réactive ainsi la stratégie « anti-Le Pen » (la mise en quarantaine du Front national puis du Rassemblement national) qu’avait inventée Mitterrand pour conserver son pouvoir branlant et inscrit la lutte actuelle contre l’antisémitisme dans le champ de décombres de la vie politique française que ce stratagème a produit. Il pose le déni de la cause objective de l’antisémitisme : la guerre de religion islamique, le djihad.

Pire, en accusant le RN pour rendre compte de l’antisémitisme actuel, il installe un balancement entre l’hostilité supposée de ce parti aux musulmans et son engagement dans la lutte contre l’antisémitisme, du coup inauthentique et simulée ([1]), ce qui a pour effet de blanchir implicitement la partie musulmane qui serait en proie à l’islamophobie du RN. Ce dernier instrumentaliserait ainsi son soutien aux Juifs, la lutte contre l’antisémitisme, en vue de s’opposer (par racisme) aux musulmans, par principe innocents dans leur rapport aux Juifs… Le Président évite ainsi la difficulté qu’il y a en France à accuser la source islamique, d’ordinaire célébrée, ne serait-ce qu’en silence, pour son pacifisme. Ainsi se met en place un partage dans l’opinion dominante : la désignation du RN comme la menace essentielle, le blanchiment de la cause islamiste, l’exposition des Juifs à un antisémitisme que l’on ne reconnait pas et que l’on ne sait pas désigner. 

L’acte inaugural de cette non-lutte contre l’antisémitisme fut l’attentat de la rue Copernic avec cette immense manifestation qui suivit et qui s’insurgeait contre le Rassemblement national, le retour du fascisme, etc., accusé de l’attentat, alors qu’on apprit quelques années plus tard que c’était le terrorisme palestinien qui en était le perpétrateur… Cette manifestation avait aussi une particularité : les corps constitués, les syndicats voulaient se distinguer des institutions et associations de la communauté juive pour bien montrer que leur engagement était « républicain » et pas « communautariste »[2]… Cela se produisait en Octobre 1980. On était parti pour une période durant laquelle tout était fait pour dénier la réalité du nouvel antisémitisme qui n’avait qu’à croitre, comme ce fut le cas, jusqu’à ce jour.


Que Macron réitère aujourd’hui cette entourloupette idéologique (cf. la doctrine du « en même temps » ?) de façon d’autant plus absurde que le RN siège à l’assemblée nationale est très inquiétant pour l’avenir des Juifs en France. L’islamo-gauchisme peut continuer à prospérer alors que sa nature devient claire. L’apologie de l’islam(isme) et de son innocence « progressiste » que l’on peut définir comme sa sanctuarisation peut continuer et réserver à l’inverse à Israël une condamnation morale pour les « crimes » qu’il commettrait contre les « civils », « les enfants de Gaza » : une façon de mettre l’inhumanité du Hamas sur le dos d’Israël. 

La boucle est alors bouclée. En revers de la compassion de Macron pour les victimes israéliennes, il faut lire la note très dure du Quai d’Orsay sur le blocus de Gaza et le vote de la France au Conseil de sécurité aux côtés des Arabes et des Russes.

P.S. Aux dernières nouvelles, plusieurs déclarations du Président viennent confirmer et illustrer  mon interprétation. Au Forum de Paris pour la paix, il déclare au même moment, le 10 novembre: « Nous exhortons les autorités israéliennes à mettre fin aux bombardements dans la bande de Gaza qui de facto vise des civils ». Dans une interview à la BBC, il déclare qu’Israël n’a « aucune légitimité pour bombarder et tuer des bébés, des femmes, des personnes âgées… », ce qui est en soi un jugement vrai dans l’absolu mais qui, ici, est démagogique et mensonger.

Pourquoi ne l’a-t-il jamais dit quand des milliers de roquettes du Hamas sont tombées sur les villes israélienne et que 200 000 Israéliens ont dû quitter leur habitation? Et il a oublié ici que ceux que les cibles visent détiennent 250 otages : a-t-il obtenu leur libération ? De surcroît, il n’ignore pas qu’Israël a différé son attaque, ménagé un corridor humanitaire pour permettre aux civils de se retirer alors que le Hamas l’interdit et utilise ses populations comme bouclier humain.

Faire abstraction de ces circonstances est démagogique et récuse à Israël l’égalité de conditions dans le jugement dont il est l’objet. 

Sur le plan français ces déclarations auront un impact catastrophique pour la lutte contre l’antisémitisme en France même. Elles renforcent les islamogauchistes, et encouragent moralement les islamistes en leur conférant une légitimité morale supérieure sur le plan national et non plus communautariste. Il n’y a d’enfants qu’à Gaza et pas d’otages ni de citoyens israéliens innocents ?

En choisissant de ne pas prendre part à la manifestation contre l’antisémitisme, Macron lui porte un coup fatal. Nous avons vu comment il l’a politisée en rejouant « le coup Le Pen » une manœuvre destinée à sanctuariser l’islam qui contribue à faire de la lutte contre l’islamisme une spécificité de l’extrême droite et donc une lutte politiquement et moralement illégitime. Mélenchon l’a bien compris qui a tweeté au président ses félicitations pour venir le rejoindre dans les rangs de ceux qui récusent la lutte contre l’antisémitisme par soutien au Hamas.

Le président s’est objectivement rangé dans un autre camp que celui de la République en se séparant des présidents des deux assemblées parlementaires qui appellent à manifester.

Le tweet du président a quelque chose d’étonnant. On a l’impression qu’il est envoyé depuis une autre planète, qu’il n’est pas concerné. Il « salue avec respect (? un adjectif émanant de quelqu’un de distant, dénué de sentiment) celles et ceux qui, dimanche, marcheront pour la République, contre l’antisémitisme et pour la libération des otages » et il voit dans ce rassemblement un « motif d’espérance ». Pieux souhait pour lequel intendance ne suivra pas !…

Conclusion intempestive

J’observe et commente la condition juive en France depuis 1980 et j’ai écrit plusieurs livres à ce sujet. Je crains, à la lumière de cette analyse, que nous soyons entrés dans une période très dangereuse pour la continuité juive en France. L’effervescence idéologique autour de la « Palestine » dans les milieux de la  « gauche » (LFI, etc) et de l’immigration est élevée. Plusieurs États arabes (notamment la Tunisie) ont décrété la guerre sainte contre les Juifs, alors qu’une partie des immigrés vivant en France viennent de ces pays. Mais, surtout, le pouvoir est absent et inexistant, en la personne du président, tandis que le Parlement est paralysé et abrite une mouvance politique islamogauchiste qui a déjà tenté de faire passer deux lois bannissant l’Etat d’Israël comme pratiquant l’apartheid et qui véhicule les conceptions de son électorat musulman.

Dans une telle ambiance, les Juifs français pourraient à la rigueur bénéficier de conditions de sécurité policière (le plan Darmanin) mais sans jouir en aucune façon d’une stabilité et d’une continuité « constitutionnelles ».

Le Président, sans doute, a voulu tenir compte de la population immigrée à moins qu’il n’ait craint sa réaction, ce qui augure très mal de l’avenir de la France et des Juifs en son sein.

Le destin se joue au niveau macro-politique. La condition des individus en subit l’impact. Aujourd’hui,  du fait de l’adversité ambiante, les Juifs  auraient tendance, dans la vie quotidienne à « raser les murs » et à se faire et oublier pour survivre[3] . La question de l’avenir est concrètement posée.

© Shmuel Trigano

Shmuel Trigano est professeur émérite des Universités


Notes

[1] L’argument est très spécieux. 

1)Le RN est la source de l’antisémitisme (extrême droite) 

2)Il hait les Arabes, islamophobie 

3)Il soutient la lutte contre l’antisémitisme, partagée par la société, parce que cette lutte est dirigée contre les musulmans

4) Le RN trouverait ainsi un moyen de se blanchir dans l’arène politique (il défend les Juifs) et d’exercer légitimement sa haine des musulmans. En somme, on suppose que le RN hait les musulmans et les Juifs, il ferait d’une pierre deux coups, en simulant la lutte contre l’antisémitisme : simulant car il est toujours tenu pour antisémite…

Conclusion : la « véritable » victime c’est l’islam (cible du RN); la lutte anti-le Pen de la société est une lutte objectivement en faveur des musulmans, quant à l’antisémitisme, s’il définit la lutte, il n’y a plus personne à l’adresse supposée (le RN n’est plus le FN) tandis que la cible de la lutte, soit l’antijudaïsme islamique, est déniée dans son nom (on ne le nomme ni ne le définit plus), et sa personne physique

[2] Cf S. Trigano, La République et les Juifs après Copernic. Les Presses d’aujourd’hui 1982

[3] J’ai analysé les options existentielles qui s’offraient aux Juifs dans L’avenir des Juifs de France, éditions Grasset, 2008


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2 Comments

  1. Tout à fait d’accord avec cette analyse. Et j’ajouterais que là où Mélenchon et Macron se trompent c’est que, malgré leurs calculs électoralistes et géopolitiques, ils restent des « mécréants » aux yeux de ceux qu’ils ont cru habile de ménager…

  2. Merci Monsieur pour cette analyse fine qui demontre une fois de plus que le poison pervers de l antisemitisme est present chez beaucoup beaucoup de grands personnages politiques (entre autres) à la manière de la prose de Monsieur Jourdain..et qu´aucun média ou commentateur sur les médias « grand public » , à ma connaissance n´a relevé. Et je me demande même comment le GO a réagi à cette déclaration…car sur le fonds ça le sert pas!

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