Elham Bussière, Une Voix singulière et nécessaire

Je désactive mon compte facebook pour un temps indeterminé.

Pour plusieurs raisons.

J’en ai marre que l’on me prenne à partie en me sommant de répondre sur les tragédies présentes à partir de mon arabité et de ma culture musulmane. Ce qui m’est étranger, je le dis bien.

Le fait de ramener l’individu à son collectif d’appartenance est le propre des sociétés séduites par la régression et l’archaïque, qui pratiquent sans scrupule la punition collective.

Le vernis littéraire tombe. Certains font appel à la peine de mort Avec élégance, c’est pire.

Ils s’arrangent pour penser et dire que l’animal, c’est l’autre.

Avec beauté, c’est pire.

Je le refuse pour nous tous.

Je n’ai pas pour habitude de me gratter le nombril avec ce qui nous surdéterminerait. 10 ans de facebook et je n’ai parlé qu’en mon propre nom. Je vous ai épargné les drapeaux (que je vomis) , les “Je suis”, les “I love”, les “Pas en mon nom”, les larmoiements, les accusations.

Sur le conflit Israël-Palestine, je ne dirai qu’une seule chose: les victimes ont été oubliées. Pire, elles sont instrumentalisées. Cette instrumentalisation se joue sur toute une gamme allant de la sobriété à la musique kitch et montage vidéo indécent.

Dominique Bernard a été oublié.

Sur nos propos ici, espace d’expression, j’impose aux miens justesse, respect et réciprocité. Du moins, leurs possibilités.

J’entends par parole juste une parole non pas livrée à sa seule liberté, c’est-à-dire non plus livrée à elle-même, à sa seule volonté d’expression, mais qui réclame d’elle-même un effort, celui de la retenue.

Je n’y arrive pas toujours. j’y arrive de moins en moins.

J’entends par parole juste celle qui oeuvre à réunir les clés pour que égalité et justice soient rendues possibles tout en ayant conscience de leurs limites.

J’insiste encore, égalité et justice pour tous, y compris pour l’ennemi. Je me permets d’y croire et je me permets de refuser toutes façons injustes et inégalitaires de les revendiquer.

Je ne veux pas participer aux discours avilissants ou uniquement dénonciatoires, quelle que soit la cause.

Je tente, je dis bien, je tente, parce que je n’y arrive pas toujours, de réunir tout ce à quoi je m’oblige : l’universalisme.

Obligation étant responsabilité.

A propos de la manifestation pour dénoncer l’antisémitisme, j’en serai. Sans aucun état d’âme. Me distinguant des RN et affiliés, me distinguant d’un Serge Klarsfeld qui se “réjouit que le Rassemblement national participe”.

Je m’impose d’y participer comme un impératif. Le souci de l’existence prime sur tout le reste -toute vertu, tout principe, toute première compassion- fussions-nous des “barbares”, des “animaux”.

Lévinas écrivait : “Je suis en réalité responsable d’autrui, même quand il fait des crimes, même quand d’autres hommes font des crimes”.

J’y serai également pour aider des amis.

“Aider quelqu’un à traverser la difficulté est le point de départ de la civilisation”. Mead.

Je me sens concernée par la manifestation de dimanche.

Pourquoi ?

Parce que l’Arabe prendrait la place du juif dans l’imaginaire raciste?

C’est une pensée très à la mode en ce moment.

Je pense que ceux qui l’émettent se trompent lourdement et qu’au contraire juifs et musulmans sont confondus. J’ai ici publié à maintes reprises ces propos d’un Franz Fanon :

“Quand vous entendez dire du mal des juifs, dressez l’oreille, on parle de vous”.

Je dis ici, et je peux en témoigner, qu’il existe bel et bien un antisémitisme des populations musulmanes.

Mais ce serait se tromper lourdement de penser que cette population en a le monopole. Je peux en témoigner également.

C’est toute une société qui est gagnée par l’antisémitisme.

Je publie ce qui suit non pas pour que chacun récupère sa patate chaude mais pour faire front contre le racisme.

“Il y a la lutte antijuive de l’extrême droite radicale, nostalgique de l’anti­sémitisme organique de l’Action française ou même du temps où l’État faisait la chasse aux juifs, un courant raciste, “suprémaciste”. Il y a la lutte antijuive d’une extrême gauche devenue identitaire en plus d’être révolutionnaire, dénonçant la République et son racisme institutionnalisé, opposant les victimes indigènes aux oppresseurs juifs. Il y a l’antisémitisme de militants islamistes ou d’antisionistes laïcs versant dans la haine du Juif pour dénoncer la politique israélienne dans les territoires palestiniens, et s’en prenant eux aussi à la démocratie républicaine présentée comme un régime inféodé. Il y a l’anti­sémitisme d’ultra-conservateurs ­s’attaquant aux Juifs pour ­s’opposer, par exemple, au mariage pour tous comme en ont attesté la manifestation parisienne du 5 octobre 2014 et plusieurs des slogans et mots d’ordre entendus.

Et il y aurait maintenant une libération publique de la parole antijuive au milieu de manifestations populaires des Gilets jaunes, comme le révèlent ces injures adressées à Emmanuel Macron, ou les menaces antisémites contre telle députée Lrem dénoncée comme “youpine” sur les réseaux sociaux, ou encore la couverture de Paris Match (bien malgré lui) sur une figure du mouvement condamnée à plusieurs reprises pour racisme et antisémitisme. Les Gilets jaunes rassemblent certainement des personnes sincères, porte-parole de la question sociale et de son urgence, et très étrangères à l’antisémitisme. Pourtant, à la faveur d’une certaine violence exprimée et revendiquée, s’exposent une nouvelle fois l’antisémitisme et le droit de s’en réclamer, retrouvant et nourrissant cet antijudaïsme français que Jaurès avait en son temps combattu (non sans avoir été tenté lui-même, un temps, par une telle doxa).

Ces courants n’ont certes rien de commun, sauf qu’ils convergent vers la même obsession antijuive. De fait, celle-ci se renforce dans l’espace public et fait grandir ce halo antisémite comme son droit à l’existence dans la cité. Isolées les unes des autres, ces haines pourraient apparaître comme inévitables, relevant de la pure déraison, de la folie contre laquelle on ne peut rien faire. De toute manière, se rassure-t-on à peu de frais, la réponse pénale existe, l’arsenal juridique veille. La France serait donc protégée de phénomènes souvent jugés composites, archaïques ou simplement résiduels ?

L’antisémitisme en France n’a peut-être pas encore atteint le stade de la convergence des luttes antijuives. On doit pourtant s’interroger sur cette hypothèse lorsqu’on observe cette circulation des thèmes, cette expression publique de la haine, ces procès en “enjuivement”, cette violence ordinaire et cette licence dans la destruction qu’accompagne l’expression antisémite. Les haines antijuives de ces dernières semaines renforcent ce halo caractéristique derrière lequel prospèrent d’authentiques idéologies : si tout les oppose dans leurs racines identitaires, racialistes, antisionistes, islamistes, traditionnalistes, nationalistes, complotistes, négationnistes, etc., la haine du juif fantasmé, obsessionnel, les unit. Et au-delà se révèle le même objectif d’”ethnicisation” de la société qui scelle la mort de l’universalisme démocratique.” (Vincent Ducler pour la revue “Esprit” de mars 2019).

La deuxième raison de la désactivation de mon compte est que dans ma vie je suis bien trop occupée à aimer ceux que je j’aime, trop occupée à la littérature, à la culture, pour accepter tout ce qui m’en éloignerait ou les parasiterait. J’ai mes propres blessures, je vous les ai épargnées, les léchant seule. J’ai mes propres joies, je veux être toute à elles.

Prenez soin de vous.

À la douceur d’Aller.

© Elham Bussière

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