Un conte à mourir debout
C’est un conte qui, dès les premières lignes, fait penser à la Bibliothérapie de Marc-Alain Ouaknine. Le rabbin philosophe avait montré que l’écrivain est lié à chacun de ses lecteurs par une « coopération textuelle » : le lecteur apporte le filtre de ses expériences et de son vécu à la lecture du texte, qu’il s’approprie en le transformant par son interprétation.
C’est ainsi que lorsqu’on lit L’angélus des ogres en octobre 2023, il est impossible de ne pas trouver l’écho des morts, des blessés, des kidnappés israéliens dans les Monstres qui peuplent le conte de Laurent Pépin.
Certes, ses loup-garou, ses Monuments et ses Ogres font figure d’enfants sages auprès du Hamas, bien qu’on imagine la psyché des terroristes à l’aune du « monde étranger et dangereux où je ne savais pas bâtir » décrit par l’auteur. Il a du mal à parler d’eux car « sur ma langue desséchée, les mots mouraient ou devenaient fous ».
Le style est léger, pas l’asile
En réalité, les mots de Pépin s’envolent, denses mais légers, dans une poésie décalée et jubilatoire, onirique et mystérieuse.
Le héros est psychologue, dans un monde où « On attend du psychologue qu’il entrave l’avènement de la pensée singulière ». On lui fournit des outils de mesure qui lui permettent de filtrer l’originalité de la pensée chez ses « patients volubiles » afin de la faire disparaître, car il n’est de salut que dans l’uniformité.
L’Angélus des Ogres se passe en un temps où la psychanalyse a disparu au profit de deux écoles théoriques : « si le patient n’obéit pas, c’est qu’on n’a pas crié assez fort, ou bien qu’on n’a pas tous crié la même chose ». Le travail des psychologues consiste donc à crier tous ensemble la même chose à pleins poumons. CQFD. Comme les journagandistes de gauche français au sujet du Hamas.
On ne sait pas si les Monuments décrits par l’auteur sont eux-mêmes des patients ou s’ils vivent dans l’esprit de ceux-ci. En tout cas, ils viennent réveiller « en pleine nuit, dans leurs chambres d’honnêtes gens anesthésiés, et ils leur parlaient des fantômes des noëls passés ou de la vieillesse en gelée qui vit dans la télévision ».
Colombe-Blanche est la ministre du calendrier des Postes. Elle est proche du ministre du Culte et de la Française des Jeux, mais elle « est seule, elle aussi. Et on ne peut pas se retrouver car sa chambre est à l’intérieur des murs sans porte et il n’y a pas d’entrée ».
Ni éthique, ni pathétique, une péripétie
Le héros tombe amoureux d’une patiente: l’élue de son cœur est une thanathopracticienne qui pratique la sorcellerie. Pour le dire autrement, c’est une embaumeuse, heureuse qu’on lui offre « l’opportunité de réparer les souvenirs des gens ». Cette Lucy, qui rappelle « Lucy in the Sky with Diamonds » des Beatles[1], perçoit chez ses patients décédés « un fourmillement de vie résiduelle, … des vibrations, des reflets, un souffle intérieur… qu’elle appelait ‘des traits unaires' ». Ces « traits unaires n’avaient pas de substance précise, celle-ci dépendait de la nature de chacun d’eux », mais à force de persévérance, Lucy avait appris à les mettre dans des bocaux où ils faisaient la joie des familles des chers disparus.
Rien à voir avec les Monstres qui habitent l’esprit du thérapeute et que sa psychiatre prend, à tort, pour des allégories. Car le psychologue est interné dans le même service que ses patients.
L’auteur du livre est un psychologue, seul son personnage est interné
Quand il mentionne que les jardiniers du centre « aspergent les arbres de TCC, un anesthésiant puissant utilisé afin d’empêcher que des bribes de pensée singulière se déposent sur les surfaces », on comprend le peu d’estime dans lequel il tient ses collègues du réel qui utilisent les Thérapies Cognitivo-Comportementales pour guérir les patients de leurs TOC…
Les patients fictifs, eux, ont droit à voir leurs pensées filtrées. Après quoi « il ne subsiste intrinsèquement plus d’élément toxique, effrayant, triste ou affolant… Parce qu’il n’y a plus rien, tout simplement. Plus d’image ni de parole. Les rêves n’ont plus de pattes ni d’ailes. Ils tombent au sol et s’assèchent ».
Si la véritable situation du personnage de psychologue psychotique s’éclaire au mitan du livre, celle de Lucy ne s’arrange pas et le héros y est pour grand’ chose.
« Où es-tu, quand tu es près de moi ? », chantait Bernard Lavilliers, bien avant la naissance de l’auteur et de ses personnages.
Laurent Pépin réinvente la formule : « elle s’est glissée discrètement dans mon lit, à des kilomètres de mon corps ». Cette phrase en dit plus long sur la solitude qu’un Que sais-je.
« C’est réconfortant, le désespoir«
Et Lucy ? « Elle va mourir pour que tu puisses continuer à être triste. Tu as raison, c’est réconfortant, le désespoir », lui reproche un reflet de lui-même, plus perspicace que sa psychiatre. Avoir envie d’être malheureux tranquillement, n’est-ce pas précisément ce que cherchent les palestinolâtres, dans le fantasme d’une victime absolue que nulle réalité ne sortira jamais de sa dépendance à la haine ? Si la victime sortait de sa posture, il lui faudrait affronter le réel. Or le réel, estiment les patients de l’Angélus des ogres, « C’est méchant et ça ne sert à rien » et puis, d’ailleurs, « les monstres étaient une création de l’esprit pour faire du mal aux autres ou à soi-même sans jamais en être responsable et … c’était bien commode… »
Quand le réel s’invite, c’est sous la forme des formulaires remplis par les soignants sur les patients. Le psychologue interné les juge faux et fous : « Vous remplissez des formulaires qui donnent un autre nom à ce que vous faites et après, vous prétendez que vous ne le faites pas, puisque ça s’appelle autrement. Vous inventez de nouveaux mots et comme ça, vous êtes toujours innocents ». Excellente définition du wokisme, du journalisme et du journawokisme ! Une attitude aussi psychotique que celle des manifestants pro-Hamas après que celui-ci a fait passer Hitler pour un amateur, aussi surréaliste que l’attitude de la Norvège qui voudrait qu’Israël réponde avec proportionnalité. En torturant et démembrant des bébés?
Ce n’est pas l’humour mais la poésie qui est la politesse du désespoir
« À l’intérieur du café, il y avait les Voyageurs. Ils racontaient des histoires avec les yeux qui moussaient. Ils racontaient les voyages dans les chemins qui ne vont nulle part. L’errance aussi, ils racontaient. L’errance le long des escaliers de pierre qui vont indéfiniment, sans monter ni descendre… »
Un leitmotiv obsède le patient-psychologue : « Lacère… Déchire… ! »
Lire ce livre, alors que chaque heure fait reculer les limites de l’horreur des pogroms lancés par le Hamas, entraîne le lecteur dans une mise en abyme d’apocalypse .
L’auteur y est absolument étranger, mais son processus de construction du réel sur les ruines de soi-même offre une échappatoire.
Pour échapper à l’horreur, l’espace d’un instant, florilège pour les amourheureux des mots et autres obsédés textuels :
« Le vide était doux et onctueux, comme un rideau de vent agglutiné ».
« L’esprit n’est qu’un caméléon, caméléon qui se teinte des mille nuances du désir de l’Autre, afin de rêver du corps d’une femme comme d’un ciel en forme de parapluie, où les étoiles tombent par les petits trous en laissant quand même filtrer un peu de poussière du monde ».
« La terreur était devenue banale, les visions d’horreur un élément du décor pittoresque…
© Liliane Messika
L’Angélus des ogres, conte de Laurent Pépin, Fables Fertiles Éditions. 17,50€
[1] D’après feu son compositeur John Lennon, les initiales de cette chanson des Beatles n’évoquent le LSD que par une coïncidence involontaire. Involontaire ou inconsciente ?
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