Une lettre ouverte alarmante et alarmiste, qui décrit la situation que vivent présentement les Juifs à Montréal et dans le monde.
« Je vous écris depuis la nuit, notre nuit. La nuit qui a commencé pour les Juifs du monde entier le 7 octobre 2023, et ne s’est plus arrêtée. Je vous écris depuis les froideurs de Montréal où le jour est de plus en plus court à l’instar de nos souffles. Je ne respire plus. Nous ne respirons plus. Je ne dors que trop peu. Nous avons perdu le sommeil. Et le monde, le grand monde, se tait. Notre vie s’est arrêtée ou plutôt s’est entièrement dirigée vers Israël, nos familles, nos morts, nos disparus et la résistance ici, et partout ailleurs.
Nous sommes menacés, concrètement, physiquement, parce que nous sommes juifs. Cette menace s’insinue dans la chair et brouille tous les réseaux nerveux. Ressurgissent les traumatismes hérités du passé et les peurs que l’on pensait avoir surmontées. La Shoah, l’impossible refuge, les exils bien trop nombreux, la traque millénaire… Le peuple juif n’a jamais connu de trêve et n’en connaîtra certainement jamais. Ainsi en va-t-il de notre condition. Certes, mais j’aimerais vous raconter à quoi peuvent ressembler les jours d’un Juif de diaspora devenu clairement la cible de toute une population, malheureusement pas du tout engagée dans sa majeure partie aux côtés des Palestiniens, premières victimes du gouvernement terroriste nommé Hamas qui les représente, mais clairement pour éradiquer Israël soit le seul minuscule État-nation où les Juifs réfugiés du monde entier (notamment après la Shoah et l’expulsion des pays arabes) peuvent vivre dans ce monde.
Une population donc nombreuse, qui manifeste publiquement et sans peur (elle), souvent violemment pour, entend-on crier, « éradiquer l’entité sioniste », mais aussi appeler au meurtre des Juifs du monde, quels qu’ils soient. Toutes celles et tous ceux qui ont été dans ces manifestations, de Montréal à Berlin en passant par New York et Paris, et notamment sur les campus universitaires de Harvard à NYU (New-York University), ont entendu des « morts aux Juifs », des « from the river to the sea » (savent-ils seulement de quel fleuve parle-t-on au juste ?), mais ont continué à marcher pour les Palestiniens en vertu d’un humanisme flirtant de manière obscène avec les slogans morbides du Hamas et de ses adeptes.
À quoi ressemblent donc nos jours ? Les jours d’un Juif aujourd’hui visé et traqué ? Nous sommes clairement en guerre et je pèse mes mots. Une guerre différente de celle qui se déroule en Israël, où nos frères, cousins et amis sont au front, mais bel et bien une guerre. Beaucoup d’étudiants juifs (je suis étudiante à l’université de Concordia) se sont sentis menacés et abandonnés (à juste titre) après le 7 octobre et n’ont pas eu la force de retourner en cours. D’autres ont mobilisé leurs forces pour y aller et ont fait face au silence glaçant de leurs collègues (pour certains des (ex)amis) ou à des remarques violentes et déplacées sur Israël et les Juifs. De plus, les manifestations dites « propalestiniennes », sympathisant bien trop souvent avec l’idéologie du Hamas (soit une idéologie terroriste dangereuse pour l’ensemble de l’humanité, au même titre que Daech et Isis), se déroulent au pied des campus universitaires et souvent même à l’intérieur de l’institution.
Nous devons donc constituer des équipes de plus de trois personnes afin de pouvoir coller des affiches des citoyens israéliens kidnappés à Gaza et ainsi tenter d’attirer l’attention sur leur sort et demander sans condition leur libération immédiate. Très souvent, nous sommes intimidés, et les affiches sont brutalement déchirées, parfois sitôt leur collage. Ces arrachages de photos d’enfants, voire mêmes de bébés, sont d’une violence inouïe. Nous retrouvons les visages et les noms des otages israéliens détenus à Gaza en mille morceaux au pied de panneaux d’affichage, avec à leur place, des posters « Free Palestine ». Ceux qui arrachent lâchement les affiches des kidnappés, en font joyeusement des confettis et collent en retour leur propagande, ne sont quant à eux jamais inquiétés. Il en va de même lors des rallyes (rassemblements, ndlr) que nous organisons à Montréal depuis un mois en soutien à Israël et qui demandent la libération otages.
Tous ces rallyes sont pacifistes et personne, absolument personne n’y a crié « mort aux Palestiniens ». D’un côté, nous manifestons entourés de hordes de policiers (les menaces sont concrètes) pour réclamer la libération des otages à Gaza et condamner l’entité terroriste du Hamas. De l’autre, sous-couvert de soutenir les Palestiniens (ont-ils des amis palestiniens comme c’est mon cas et le cas de nombreux Juifs et Israéliens militants pour la paix depuis toujours ?), et sans grande escorte de police (car pas besoin), ils crachent leur haine antisémite, (leur condamnation du Hamas manque cruellement s’ils manifestent pour les droits de l’homme face au fascisme) sans qu’aucune poursuite ne soit engagée malgré la teneur de leur propos.
Mais revenons à notre quotidien depuis le 7 octobre. Nous préparons jour et nuit des manifestations et des performances artistiques afin de sensibiliser l’opinion à la cause des otages. Nous sommes souvent des femmes, mères pour beaucoup, et nos modes opératoires sont faits de ballons rouges en forme de cœur, de photos des otages, de poussettes vides et de tables de shabbat dressées avec 242 sièges vides. Nos actions pacifistes s’inscrivent dans un mouvement mondial de soutien à Israël et aux détenus. Mais nous apprenons aussi à nous défendre physiquement, car cela devient une nécessité. Nous mettons en place des formations de défense verbale face aux agresseurs, notamment pour les étudiants, en première ligne sur les campus. Nous cherchons des thérapeutes prêts à recevoir en urgence des personnes de la communauté juive en grande souffrance et rongés par l’inquiétude.
À la vue des tags antisémites à travers le monde et de l’attaque ce week-end en France d’une jeune juive de trente ans, lâchement poignardée (son pronostic vital n’est pas engagé) et dont la porte du domicile a été souillée d’une croix gammée, nous nous munissons de spray au poivre, nous nous formons au Krav Maga (technique de combat, ndlr) , ajoutons un verrou à nos portes d’entrée et enlevons les Mezouzot de nos linteaux extérieurs. Nous regardons où nous marchons, contrôlons nos paroles dans l’espace public et les transports en commun. Nous sommes clairement dans des stratégies d’évitement et de survie. Les Juifs de Montréal se croyaient tranquilles, loin de tout danger, mais plus aucun Juif n’est à l’abri.
Comprenez-vous le tragique de cette phrase ? Lorsque nous voyons des milliers et des milliers de manifestants propalestiniens (et donc souvent antisionistes et par analogie antisémites, même s’ils se gardent de le dire), en bas de nos universités ou de nos fenêtres, et ce à travers le monde, et bien oui, nous avons peur, très peur. Et il y a de quoi ! Lorsque j’entends que des étudiants juifs se cachent chez eux depuis le 7 octobre et que des membres juifs du personnel universitaire de Concordia ferment à clef leur bureau lors des manifestations, et bien je me pince pour me dire que tout cela ne peut être vrai, que ce cauchemar n’est pas réel, et pourtant… Je pense tous les jours à mes grands-parents miraculeusement rescapés des camps de la mort nazis et je remercie le ciel qu’ils ne soient plus de ce monde. Ils n’auraient pas supporté ce que nous sommes en train de vivre.
Alors que certains amis sont sur le champ de bataille en Israël, et d’autres constamment dans les abris anti-missiles (les missiles pleuvent en permanence sur Israël) ou dans la cage d’escalier lorsqu’il n’y en a pas (le cas d’un israélien sur deux), nous luttons ici, dans un monde que je croyais démocratique et en paix, pour notre propre survie, à la fois psychique et physique.
Aujourd’hui, une loi est passée dans la ville de Berrie au Canada, interdisant l’affichage des photos des kidnappés détenus à Gaza. Au nom de quoi ? En quoi ces posters incitent-ils à la haine ou au trouble à l’ordre public ? Les politiques sont clairement lâches, sous la coupe d’une influence dite « adverse » et qui a clairement le vent en poupe sur la planète.
Aujourd’hui, un jeune montréalais s’est fait débarquer par le chauffeur du taxi dans lequel il se trouvait, parce qu’à la question : « De quelle origine êtes-vous ? », il a « osé » répondre : « Je suis un Juif marocain ». Le taxi lui a violemment intimé l’ordre de quitter le véhicule.
Il y a quelques jours, une école élémentaire montréalaise avait l’intention de mettre un panneau sur sa porte d’entrée sur lequel était inscrit « ici, nous n’avons pas d’élèves juifs », afin de dissuader tout terroriste de s’approcher de l’école. Grâce à des pressions de la communauté juive, le panneau n’a pas été apposé. Il nous aurait ramené à de terribles souvenirs datant du siècle dernier, qui pourtant ne nous a jamais semblé aussi proche.
Aujourd’hui, et pour la première fois, moi qui suis née à Paris et ait roulé ma bosse dans le monde entier (y compris dans des pays musulmans), je vais mettre des rideaux à mes fenêtres, car je suis inquiète et je dois, nous devons nous « cacher » pour nous protéger. Même les plus téméraires vous diront la même chose. Ne tentons pas le diable, continuons à vivre, mais soyons très prudents et faisons profil bas.
Comment puis-je aujourd’hui écrire ces lignes, qui me concernent et concernent les miens, moi qui ai été élevée par de fervents militants des droits de l’homme et qui depuis ma prime jeunesse, suis aux côtés des minorités discriminées ? J’ai eu la chance de vivre en tant que juive en France, durant près de trois décennies (de 1988 à 2021), dans une relative paix. Cela n’est plus le cas aujourd’hui, que ce soit en France (où plus de 1040 actes antisémites ont été commis depuis le 7 octobre 2023, selon des chiffres rendus publics dimanche par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin), à Montréal ou à New York.
Et pourtant, malgré tout, malgré la solitude abyssale, malgré le silence de celles et ceux que nous pensions être des collègues et amis, malgré tout cela, nous luttons, nous vivons, nous rions, nous aimons la vie et la célébrons, car nous savons trop bien à quel point elle est courte et précieuse. Ainsi, tout en soutenant nos proches en Israël, nous organisons notre résistance pour la vie, la résistance d’un peuple juif uni et humaniste qui ne demande qu’une chose, qu’on le laisse enfin vivre à l’égal de tout autre être humain dans ce monde par trop obscur en cette nuit.
© Miléna Kartowski-Aïach
Bonjour Miléna,
Votre tribune est admirable de dignité et de résilience. Je suis catholique et, au-delà de la religion, je me sens juif et je suis de tout cœur avec vous et avec tout le peuple juif, d’Israel, du Canada, de France et d’ailleurs. J’ai pleuré en voyant ce massacre barbare du 7 octobre perpétré par des terroristes décérébrés pétris de cet islamisme morbide. Le mots manquent pour traduire notre indignation qui n’a d’égal que leur inhumanité et leur lâcheté. Et leur jouissance n’a fait que rajouter l’ignominie à l’abjection.
Vous, juifs du monde, inspirez un immense respect et une infinie compassion dans votre lutte pour vivre et dans votre combat – qui est aussi le nôtre – pour la démocratie, pour nos valeurs et notre liberté, contre l’obscurantisme et la barbarie. Sachez que vous n’êtes pas seul, nous sommes avec vous, à vos côtés, même si les mots ne suffisent pas à apaiser votre douleur ! Plein soutien et profonde amitié à tout le peuple juif.