Internet et réseaux sociaux, catalyseurs de la haine antijuive. Par Gérard Kleczewski

Né 20 ans après la fin de la deuxième guerre mondiale je n’ai jamais connu, contrairement à mes parents et mes grands-parents, les affres de la guerre, l’insouciance massacrée, le bonheur à jamais envolé par la volonté d’un peuple qui se croyait supérieur de faire disparaitre de la surface de la terre un autre peuple. J’ai pu en subir les conséquences bien sûr, mais c’est autre chose que d’en subir directement les causes.

Nous nous croyions, je me croyais, à l’abri du retour de l’infamie et des infâmes. J’imaginais que le progrès technologique, dont j’étais modestement l’un des hérauts dans la presse informatique où j’officiais, ne pouvait que cultiver l’humanité, rapprocher les hommes, leur permettre de se découvrir d’un bout à l’autre de la planète sur ce qu’autrefois on appelait « les autoroutes de l’information ». 

En guise d’autoroutes, le 21ème siècle, dès le 11 septembre 2001, nous a conduit plutôt sur un « highway to hell », chanté au siècle précédent par un groupe électrique. 

Internet et les réseaux sociaux auraient pu n’être que de fantastiques outils d’information, de culture et d’émancipation. Ils sont devenus au contraire, avec l’aveuglement des gouvernements et le laisser-faire intéressé des plateformes, le lieu de tous les débordements, l’espace phagocyté par toutes les haines, le réceptacle numérique donc binaire où la pensée est morte sur l’autel du buzz, du fric, de tous les excès et de tous les entrismes.

De crise en crise

En France, en moins d’une dizaine d’années, nous avons connu sans cesse des crises qui, elles-mêmes, suivaient une longue dégringolade de notre pays dans tous les domaines ou presque. Et ces crises, cette dégringolade, ont pu se lire, se subir jour après jour sur les réseaux sociaux, principalement Facebook et Twitter (devenu X par la volonté d’un mégalomane…).

Le terrorisme sur notre sol, les Gilets jaunes, le COVID-19, les immenses conflits sociaux et violents dans la rue et maintenant les conséquences d’un conflit distant de 5 000 km mais omniprésent dans le débat national depuis au bas mot 75 ans… 

Tous ces sujets et d’autres encore n’ont cessé d’ériger en ligne des murs entre les communautés, de créer de la colère et du désordre, de pervertir l’information au profit du ressenti et du buzz. 

Et puis, lorsque comme moi on peut dire #jesuisjuif sans que ce soit une figure de style ou un geste de soutien bienvenu à une communauté ciblée de toute éternité, on se rend bien compte que chaque crise induit immédiatement sur Internet comme dans la rue l’inexorable et inextinguible mouvement de haine appelé, selon le contexte ou l’intervenant, antisémitisme, antijudaïsme, antisionisme… 

Depuis le 7 octobre, sur les réseaux comme dans la « vraie vie » une partie de la population dont je suis a été pétrifiée de sidération, puis de tristesse et de colère. Une autre – celle dont on attendait le plus – s’est tenue à l’écart du sujet… Un sujet qui n’aurait pas dû se transformer en débat, n’était le dernier tiers de la population qui, soit par esprit grégaire ou projection, soit par calcul politique, soit encore par pure détestation de son prochain ou de la démocratie, a pris d’assaut ici Twitter, ici l’antenne d’une grande radio publique, là les façades, les trottoirs ou les vitrines comme à Berlin et Munich dans les années 20 et 30…

La haine des Juifs a donc repris pour la énième fois une large partie de notre espace, de notre temps de cerveau disponible comme le disait un ancien patron de TF1. 

A chacune des crises évoquées plus haut, l’hydre anti (sémite, juif, sioniste) a rebondi. 

Le terrorisme ciblant les Juifs a ô combien fait la « Une » de l’actualité d’Ozar Hatorah Toulouse à l’hypercacher de la Porte de Vincennes, d’Ilan Halimi à son homonyme Sarah… Cela a-t-il calmé l’armée de haters déchargeant leur haine en ligne comme les frères Kouachi déchargeaient les balles de leurs Kalachnikov sur l’équipe de Charlie…? Que nenni.

Les Gilets jaunes, mouvement de lutte aux débuts débonnaires et sympathiques du pot de terre contre le pot de fer, a été très tôt parcouru, et de plus en plus au fil des semaines, par des slogans ou des comportements antisémites. Dans la rue comme sur Twitter et Facebook, puis Snapchat et Tik Tok. L’équation semblait incontournable pour les « antis » et prenait facilement au sein de la population de la diagonale du vide: « un petit nombre de Juifs possèdent médias, pouvoir et argent, nous n’avons aucun des trois, vous savez ce qu’il vous reste à faire pour que ça change… Pour que le Gepetto sans prépuce cesse de tirer les fils de la marionnette Macron-Rothschild… »

Le COVID-19 fut aussi un grand moment de haine décomplexée et échevelée contre les Juifs. Buzyn l’empoisonneuse de puits 2.0. Philippe ? Macron ? Veran ? Delfraissy ? Non Buzyn, seulement Buzyn et sa caricature au nez crochu digne de Gringoire et de « Je suis partout », fille d’un survivant de la Shoah dont des idiots, reçus largement par le « juif Hanouna » , accusèrent le mari d’avoir été carrément l’inventeur du virus à Wuhan. On n’oublie pas non plus Pfizer et son PDG juif Bourla qui tenta selon eux d’empoisonner lui aussi (lui surtout) toute la population de la planète avec ses vaccins dont il tirait un profit record (le PDG non juif de Moderna subira infiniment moins d’insultes et de menaces de mort, de même que les inventeurs du procédé ARN messager, car non-juifs). Et la fameuse séquence du « Qui ? » dévoilée face caméra sur un plateau de télé par un ex-général et repris d’abord massivement sur Twitter puis sur un panneau dégueulasse dans une manifestation par… une enseignante. Une enseignante !

Et la guerre vint…

Mais, bien évidemment, la guerre menée par Israël en riposte au Hamas, après une tentative de génocide local – chaque Juif concerné l’a senti immédiatement – allait fatalement ranimer encore un peu plus l’antisémitisme et le révisionnisme déguisés en antisionisme, avec prépuce ou pas… Nul besoin d’une vraie-fausse destruction d’hôpital imputée à Tsahal pour que ça flambe…

Quelqu’un a écrit, et je suis d’accord avec lui, que le fonctionnement même des plateformes, leur algorithme, pousse chacun à être dans son couloir. À tuer dans l’œuf toute possibilité de dialogue. Qu’il favorise au contraire toutes les outrances, toutes les horreurs comme celle de cette jeune femme maghrébine se questionnant face caméra, avec une comparse également immonde derrière la caméra, sur l’art d’accommoder un nourrisson jeté vivant dans un four sous les yeux de sa mère…

À l’heure où j’écris ces lignes, un mois ou presque après le 7 octobre, je mesure le bouleversement de ma vie et de la vie des miens. J’avais pourtant promis à mon docteur de « débrancher », de me détacher de l’océan de miasmes et de boue du Net et des réseaux que l’on dit sociaux. J’ai échoué…

Je crois que mon identité, mes idéaux, mon soutien aux miens m’interdit de ne pas regarder le danger en face, non pour le comprendre et encore moins le justifier, mais pour parer la menace qui se fait toujours plus pressante ici comme là-bas.

Sur Internet et dans la rue…

© Gérard Kleczewski

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