« Les tribulations méditerranéennes de Josiane Sberro-Hania », par Renée Fregosi

Les Juifs ne doivent pas désespérer

Les tribulations méditerranéennes de Josiane Sberro-Hania

L’École de l’exil, de Josiane Sberro-Hania, apporte avec émotion sa pierre à la construction de l’histoire ignorée des Juifs en pays arabes


 « Le pépiement assourdissant des moineaux dans les arbres, et nous dans la rue. Nous les enfants. Aussi loin qu’il m’en souvienne, Gabès représente pour moi un inoubliable terrain de jeux. Le centre de la ville est en notre possession totale. Hormis l’heure de la sacro-sainte sieste où les voix elles-mêmes se font murmure pour ne pas réveiller l’ire paternelle. » (p.15) C’est le temps de l’insouciance : « « J’ignorais alors, que le statut social ou la notoriété, évitaient à un enfant juif, l’infamie de l’école juive. » (p.51) « Il me reste de Sousse, la nostalgie du collège, de ses blouses grises, de l’étude et de l’amitié. Mais Sousse est avant toute chose, l’univers de la mer. » (p.57)

Un récit éclairant

Le livre de Josiane Sberro-Hania c’est d’abord un récit haletant et passionné qui se lit comme un roman, avec toutes ces images, ces couleurs, ces odeurs, ces sons, et ce débordement de sentiments contradictoires. Dès les premières pages, on est plongés dans cette Tunisie du protectorat français des années 30 et c’est Josiane enfant, vive et sensible qui nous prend par la main. Puis le temps passe et très vite l’Histoire s’impose avec la profondeur du passé et les perspectives incertaines de l’avenir. L’École de l’exil permet en effet plusieurs niveaux de lecture.

Le livre de Josiane Sberro-Hania, s’il nous parle d’une « école » bien singulière, et de toutes ces écoles où elle a tant appris et enseigné aussi, ne nous fait pas la leçon ni ne prétend analyser de façon péremptoire les racines du conflit israélo-arabe. Pourtant, il nous éclaire. Comme le dit Georges Bensoussan, si « les commencements et les origines ne dessinent pas un destin », ils n’en tracent pas moins « les linéaments d’un terreau culturel fait des événements du quotidien les plus ordinaires, les plus véniels, les plus grossiers et les plus anodins. Des faits minuscules qui nous parlent davantage que les discours savants, qui disent la vérité d’un monde et d’un temps.[1] » Josiane Sberro-Hania, à travers le récit personnel, sensible et exaltant, de ses « tribulations méditerranéennes », apporte ainsi sa pierre à la construction de l’histoire ignorée des Juifs en pays arabes.

Israël, une épopée humaine

Et on comprend, mieux, on ressent, ce qu’Israël représente pour tous les Juifs, ceux d’Europe comme ceux de Méditerranée. « Ce jour de 1947 inoubliable pour moi, dans le salon aux volets clos. C’était un vendredi. (…) Les grands-mères qui avaient connu l’une le pogrom de Tripoli l’autre le pogrom de Gabès sanglotaient sans retenue ». (pp.48-49) Les années 50 annoncent alors une toute nouvelle époque : « Nous allions vivre au kibboutz en Israël, l’aventure idéale et rêvée, de la vie collective des années cinquante, dans ce pays tout neuf. Inoubliable épopée humaine ! Un lieu qui m’a définitivement formée à la vie. » (p.97)

« Pour la conscience postcoloniale qui fait du monde arabo-musulman la figure de l’opprimé, il est difficile de concevoir qu’autour de la Méditerranée, bien avant l’arrivée des Européens, ce monde avait été synonyme de servitude et d’esclavage pour des millions d’hommes et de femmes. » (Georges Bensoussan, « Juifs en pays arabes »)

En Europe, on ignore aussi souvent la force du sionisme historique au Maghreb et au Moyen-Orient. Car ce n’est pas seulement parce qu’ils ont été chassés des pays arabes (expulsés ou forcés violemment et sournoisement à quitter leur terre et leur maison en y abandonnant tous leurs biens et les sépultures de leurs aïeux) que ces Juifs-là ont rejoint Israël, mais aussi poussés par ce même enthousiasme idéaliste qui avait conduit les premiers Ashkénazes en Palestine. Cette exaltante aventure de l’aliyah, de la fuite clandestine de Tunisie jusqu’au kibboutz socialiste de Negba, sur cette terre aride et pourtant si douce du jeune État juif, en passant par la préparation à la traversée et à la vie spartiate des champs, Josiane Sberro-Hania nous la fait vivre avec toutes ses découvertes, ses amours et ses rires, mais aussi ses peurs et ses déchirements.

Nouvelles peurs

Elle n’édulcore pas l’antijudaïsme et « le processus de domination (la dhimmitude) qui a marqué des générations de Juifs d’Orient » car elle ne donne dans « la folklorisation » qui réduit le monde à des coutumes. Mais si elle ne souscrit pas à la « mythification » d’un passé imaginaire projetant une harmonie idyllique entre Juifs et musulmans, elle qui connaît toutes les nuances de la cohabitation, elle refuse également de croire que l’antagonisme serait insurmontable. Revenue en France, elle n’aura de cesse avec son mari Raoul Sberro, de travailler à l’ouverture d’esprit et à l’intégration des enfants d’immigrés. Déployant une énergie incroyable et un courage de tous les instants, Josiane veut transmettre ce que la France lui a donné, tout autant que la culture juive et l’esprit de tolérance. Car pour Josiane, c’est un tout. « Avec des enseignants comme Duvignaud, Jankélévitch, Marientras, nous étions marqués au fer rouge de la soif de comprendre, de connaitre. Nous sortions de leurs cours, saisis de la vibration de leur émotion. Tels des fruits brusquement mûris par une canicule inattendue, débordants d’une sève épaisse, prête à se déverser. » (p.161)

Notre contributrice Renée Fregosi avec Josiane Sberro-Hania, Paris.

C’est ainsi avec la même force et la même émotion qu’elle élargit son horizon méditerranéen à la Grèce, de la triste période de la dictature des Colonels à l’époque actuelle, de l’Ami Niko, ce Zorba le Grec si émouvant lui aussi, aux jeunes Juifs refondant une communauté à Salonique. « Salonique reste pour moi, l’exemple même de l’amour de la vie insufflé à ces enfants de déportés dont les parents hurlent avant de disparaître : « Va-t’en », « Cours sans te retourner », « Existe ! »  Cette foule d’enfants martyrs n’a laissé aucune place à la détestation, à l’humiliation destructrice transmise de pères en fils dans d’autres sociétés. » (p.218) Émotion, joie, espoir, empathie.

Mais bien sûr aujourd’hui, la tristesse, l’angoisse et la colère nous saisissent également après avoir refermé le livre. Pas seulement à cause de la nostalgie ou des regrets des occasions manquées. Le massacre et les crimes contre l’humanité perpétrés sur le sol israélien, dans des kibboutzim de gauche notamment, par le groupe terroriste du Hamas le 7 octobre, comme l’aveuglement persistant de l’Occident ou pire sa lâcheté, nous font une fois encore redouter l’anéantissement d’Israël. Cette crainte fait écho à celle de Josiane face à « l’exode des enfants juifs, boutés de l’Éducation nationale par la violence des cours de récréation sans avoir jamais suscité, la moindre levée de colère ou de bouclier pour les protéger. Faudra-t-il encore s’exiler pour les mettre à l’abri ? » (p.239)

Et puis, nous serrons le livre entre nos mains et nous retrouvons la flamme qui anime Josiane : oui, Israël vivra !

Josiane Sberro-Hania, L’École de l’exil. Tribulations méditerranéennes, Éditions Balland 2023

© Renée Fregosi


[1] Georges Bensoussan, Juifs en pays arabes, Éditions Tallandier 2021

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