Le Royal Dead Sea a perdu 80 % de ses employés du fait de la guerre.
Selon sa directrice, les aides publiques peinent à couvrir les frais :
« Qui va payer l’électricité ? »
Par Mati Wagner. The Times of Israel
Près de quatre semaines après le massacre le plus barbare et le plus meurtrier perpétré en une seule journée sur le sol israélien, au beau milieu de la guerre qui en a résulté et qui a entraîné l’évacuation de plus de 200 000 personnes, tout semble relativement normal au Royal Dead Sea Hotel and Spa, qui accueille aujourd’hui près de 1 200 habitants de la ville méridionale de Sderot.
À l’entrée du Royal règne un semblant d’ordre. Les musiciens d’un orchestre militaire, venus divertir les personnes évacuées, descendent du bus dans leur uniforme vert olive. Des scouts en chemise blanche jouent aux échecs avec les personnes déplacées ou déambulent dans le hall. Les employés de l’hôtel font la chasse aux détritus. Des bénévoles revêtus de gilets spéciaux proposent un soutien psychologique.
Au comptoir d’enregistrement se trouvent deux panneaux donnant, dans une écriture soignée – un en russe, l’autre en hébreu – le programme quotidien des activités. Les principales caisses de santé présentent par voie d’affichage leurs services et coordonnées.
Des femmes portant des blocs-notes marchent avec détermination au milieu des personnes rassemblées dans le hall. L’hôtel est propre et frais grâce à la climatisation, bien utile au milieu de la chaleur de la mer Morte – même en novembre.
Mais pour Ruth Cohen, la directrice générale du Royal, la situation est loin d’être normale.
« C’est seulement aujourd’hui, au bout de trois semaines, que nous avons reçu de l’argent de la municipalité de Sderot », disait Cohen mardi. « Mais cela ne couvre que les frais d’hôtellerie ».
« Dans tous les hôtels de la mer Morte, on a créé des salles de classe pour enfants d’âge préscolaire, d’éducation spéciale et d’école primaire », explique-t-elle. « Dix-neuf espaces événementiels, salles de réunion et salles de conférence sont utilisés du matin jusqu’à minuit et même plus tard avec des climatiseurs qui fonctionnent à plein régime. Qui va payer la facture d’électricité ? »
Cohen dit avoir perdu 80 % de ses employés, qui sont soit des Palestiniens sous couvre-feu, soit des Ukrainiens et des Argentins qui ont quitté le pays lorsque la guerre a éclaté.
Pour ajouter à la confusion et à la frustration de certains habitants des communautés proches de Gaza, le gouvernement a décidé que les implantations, les kibboutzim et les villes situées à plus de sept kilomètres de Gaza ne seraient pas éligibles à certains avantages, parmi lesquels le séjour à l’hôtel pris en charge par les fonds publics. Ceux qui se trouvent dans un rayon de quatre kilomètres ont droit à certains paiements anticipés.
Selon la carte fournie en ligne par le ministère des Affaires sociales et des Services sociaux, Sderot est considéré comme étant situé à 2,79 kilomètres de Gaza, soit bien à l’intérieur des deux limites.
Le gouvernement a alloué un milliard de shekels à la direction chargée de la réhabilitation des communautés proches de Gaza, créée à la suite de l’attaque du Hamas et dirigée par l’ex-général de brigade de Tsahal Moshe Edri.
Dans le cadre de la première phase d’un plan qui en compte trois, la direction est supposée verser les fonds aux conseils régionaux et aux municipalités, notamment à Shaar Hanegev, Sdot Negev, Eshkol et enfin Sderot.
Le ministère des Finances a annoncé le 26 octobre que 2 millions de shekels avaient déjà été alloués à chacun des conseils régionaux et des municipalités pour répondre aux besoins les plus urgents. Certaines communautés très durement touchées en ont reçu davantage.
Mais l’hôtel Royal n’en a rien vu.
Représentants du gouvernement et bénévoles expliquent que l’argent n’est pas le seul problème. Il existe de fortes disparités entre les différentes communautés évacuées et cela a à voir avec la cohésion sociale, le capital culturel et les relations.
Ces disparités sont perceptibles à l’hôtel Enjoy de la mer Morte, qui accueille la population du kibboutz Magen – soit quelque 500 personnes – et un nombre similaire d’habitants de Sderot, précise Yan Gal, membre de l’organe de direction de l’Hashomer Hatzaïr, mouvement de jeunesse sioniste travailliste.
« Il y a un fossé entre les deux communautés ; ce n’est pas un secret », confie Gal, qui est responsable de la coordination des activités du mouvement à l’Enjoy Hotel et de la gestion de 15 bénévoles à temps plein.
« Au fil du temps, l’État a investi beaucoup plus dans les kibboutzim que dans des villes en développement comme Sderot ».
Gal souligne que l’Hashomer Hatzaïr, qui fonctionne grâce à des dons privés et règle une facture d’hôtel hebdomadaire de plus de 10 000 shekels, travaille avec les deux populations, séparément, en raison de différences socio-économiques, culturelles et éducatives.
Le David Dead Sea Resort and Spa, où sont hébergés les évacués du kibboutz Beeri, offre une image de cohésion sociale, de bonnes relations et de coopération.
Bien que Beeri ait subi l’une des attaques les plus traumatisantes et les plus brutales de toutes les communautés proches de Gaza – un dixième des 1 100 habitants a été massacré ou pris en otage -, les habitants du kibboutz tiennent bon.
Shani Milgram-Levin, infirmière diplômée qui a répondu à l’appel du ministère de la Santé pour travailler avec les personnes évacuées dans les hôtels de la mer Morte, connaît bien la situation du David et du Royal.
« Il n’y a pas de comparaison possible », estime Milgram-Levin. « Au David, tout est organisé et les membres du kibboutz font eux-mêmes la majeure partie du travail. Tout le monde a les médicaments dont il a besoin. Il y a un médecin de garde à l’hôtel. Des prestataires de soins de santé mentale sont là 24 heures sur 24, 7 jours sur 7 ».
« Au Royal, tout est sous-traité à des bénévoles ou à des représentants du gouvernement.
Il n’y a pas de sens de la communauté ».
Milgram-Levin, qui a travaillé avec les gens du Royal, explique que sans les donateurs privés comme « Vision for Israel » de Barry Segal et d’autres, des États-Unis, elle aurait manqué des équipements médicaux de base et aurait été incapable de faire son travail.
Gila Simon, une résidente de Sderot qui a été évacuée au Royal avec son mari Amnon, a pris l’initiative de fournir des vêtements à ses compagnons évacués, dont beaucoup sont venus avec rien d’autre que les vêtements qu’ils portaient.
« La première fois que j’ai apporté des vêtements dans le hall, tout a été pris d’assaut : les gens semblaient désespérés », témoigne Simon. « En l’espace de quelques minutes, il ne restait plus rien. Cela m’a appris à gérer les choses de manière individuelle ».
Le ministère des Affaires sociales a chargé Rotem Dayan de coordonner l’aide aux évacués du Royal émanant de ses propres services ainsi que de ceux des ministères de l’Éducation, de la Santé et de l’Intérieur, du cabinet du Premier ministre et de l’administration fiscale, ainsi que du commandement du Front intérieur de Tsahal et de plusieurs ONG, tous actifs à l’hôtel Royal.
« J’ai l’impression que les choses vont un peu mieux depuis que je suis arrivée. Nous continuons à passer en revue les personnes évacuées dans cet hôtel afin de comprendre quels sont leurs besoins. Mais nous ne savons toujours pas qui est autorisé à accéder à la salle à manger pour prendre ses repas ».
« Le quotidien des personnes âgées a radicalement changé depuis l’évacuation », explique Dayan. « Ils étaient habitués à des horaires. Ils avaient un dispensaire près de chez eux. Ils avaient accès à des médicaments et à du matériel médical. Peut-être avaient-ils un voisin ou un proche qui les aidait. Aujourd’hui, tout est différent ».
Au dernier étage du centre commercial de la mer Morte, il y a une bibliothèque créée pour les personnes évacuées grâce à des livres donnés par des particuliers et par la bibliothèque publique d’Arad, ville située à une quarantaine de kilomètres de la mer Morte.
Nurith Waisman, critique littéraire qui a fait don de livres et qui est l’un des bénévoles de ce projet, explique qu’il reste beaucoup à faire.
« C’est incroyable ce qui se passe ici », dit Waisman. « Les gens continuent à donner des livres pour les enfants, les adolescents et les adultes avec énormément de coeur ».
De retour au Royal, c’est l’heure de la prière du soir, organisée dans la tradition des juifs originaires de pays musulmans, et qui attire une vingtaine d’hommes, la plupart plutôt âgés. Originaires de Turquie et du Maroc, ils ont immigré en Israël dans les années 1950 et 1960 et ont été installés à Sderot et d’autres villes nouvelles du Neguev par une direction sioniste ashkénaze majoritairement laïque.
Un homme prénommé David remercie le gouvernement de permettre aux personnes évacuées de séjourner à l’hôtel.
« Aucun État dans le monde, ni le Canada, ni l’Allemagne, ni l’Amérique, traite aussi bien ses ressortissants », assure-t-il.
Yoram, qui compare cette évacuation à l’exode des Israélites d’Égypte, assure avoir tout ce dont il a besoin.
« Il y a de la nourriture et des boissons, le minyan [quorum de dix hommes adultes nécessaire à la récitation des prières les plus importantes de tout office ou de toute cérémonie pour les prières et des gens de bonne humeur. Les gens sont arrivés ici sans rien Mais on s’occupe de nous. Dieu merci ».
Michel Jefroykin avec Mati Wagner
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