Francis Moritz. Le Hezbollah est-il pris à son propre piège ?

Prologue

L’organisation terroriste a passé plus de vingt ans à développer sa capacité à attaquer Israël et n’a cessé de se présenter comme défenseur du Liban.  Depuis les massacres du 7 octobre, les incidents avec Tsahal se multiplient sur la frontière nord. Pourtant les échanges restent maitrisés de part et d’autre. Le parti de Dieu est devant un dilemme.

De nombreux observateurs s’attendent à ce que le lancement de l’opération annoncée sur Gaza, déclenche une opération d’envergure par le Hezbollah. Le peut-il,le veut-il ?

Les préliminaires 

Il y a eu un rapprochement entre les terroristes, Hezbollah, Hamas, Djihad islamique et d’autres affidés de l’Iran le maître d’œuvre de tous ces groupes. L’expertise militaire de l’Iran et du Hezbollah est désormais partagée entre ces groupes. Depuis 2019 le Hezbollah a transformé le rôle du Liban dans le conflit larvé qui l’oppose à Israël. Le pays est devenu un refuge pour les dirigeants du Hamas qui avaient du quitter la Turquie ou le Qatar, car le Hamas avait soutenu le soulèvement syrien dès l’origine. 

Le récent changement dans les structures du Hamas a conduit à la montée en puissance de Yahya Sinwar, un allié de « l’axe de la résistance » dirigé par Téhéran. Beyrouth est également devenu la base d’autres dirigeants du Hamas dont Khalil al Hayyeh membre du bureau politique, responsable des relations islamiques et arabes, Zaher Jabareen chef adjoint du Hamas en Cisjordanie, en charge des prisonniers dans les prisons israéliennes. Le chef du Jihad islamique Ziad Nakhaleh s’y trouve également.

La réussite du pogrom du 7 octobre incite le Hezbollah à tenter à son tour de réaliser ce type d’infiltrations qui ont semé l’épouvante et la mort côté israélien. Plusieurs essais et tests ont lieu et se poursuivent quotidiennement. L’évacuation actuelle des populations de la zone nord anticipe l’éventuelle changement de stratégie du Hamas, d’un conflit de basse intensité en une guerre de haute intensité.

Depuis 2006, qui illustra le dernier conflit avec Israël, le groupe terroriste observe minutieusement les lignes rouges à ne pas franchir, connaissant le prix à payer. Israël a fait de même, jusqu’à maintenant. Ce qui peut expliquer la quasi-absence de réactions aux bombardements israéliens des positions du Hezbollah en Syrie. Jusque-là, le Hezbollah semble s’être adapté à la la volonté du gouvernement israélien d’accepter des échanges de « basse intensité » sur sa frontière nord.

Au cours de l’année écoulée les groupes terroristes ont réalisé plusieurs infiltrations et ont multiplié les lancements de roquettes. Israël a répliqué sur le même niveau, considérant qu’il est acceptable de maintenir ces lignes rouges mutuelles. 

Pendant ce temps le Hezbollah a renforcé ses alliances avec le Hamas et le Djihad. Ce qui lui a permis de prendre une place encore plus importante dans la géostratégie régionale, au service de l’Iran dont il est le mandataire sur le terrain. Implicitement, il a pris le leadership terroriste.  Par factions interposées l’Iran revendique la protection des lieux saints, en creux c’est une lutte de pouvoir et d’image entre le monde chiite face au monde sunnite des monarchies du Golfe.   

Les préparatifs

L’organisation terroriste a bâti des alliances pour augmenter son niveau de dissuasion face à Israël. Hassan Nasrallah utilise en permanence l’argument de la protection de la mosquée Al Aqsa pour réitérer ses menaces.  Cette stratégie et le niveau d’engagement croissant avec les autres organisations a symétriquement augmenté le niveau possible d’escalade contre l’État hébreu. Ce qui l’expose désormais à des niveaux de confrontation qui le feraient sortir de la soi-disant basse intensité acceptée depuis des années par Israël à un niveau largement supérieur et qui mettrait en cause sa survie militaire et politique au Liban.

Après le 7 octobre, Hassan Nasrallah n’est plus maître du niveau d’escalade. Il dépend paradoxalement d’une décision d’Israël qui agit désormais en lien étroit avec les États Unis, eux-mêmes en train de mettre sur pied une armada et une ceinture offensive prête à intervenir devant les nombreuses attaques dont ses bases au Moyen Orient sont l’objet,  notamment en Syrie.

Le contexte

Le Liban est dans un état de crise et de délabrement économique, social et moral tel qu’il ne se remettrait pas d’un nouvel affrontement avec Israël. Le pays tout entier rejette d’ailleurs cette éventualité, conscient qu’il est de cette situation.  Ce serait sa destruction totale. De plus, les terroristes basés au Liban ne peuvent ignorer la présence de l’armada américaine prête à agir s’il était nécessaire.

Les deux porte-avions Gerald Ford avec ses 5.000 hommes d’équipage et Eisenhower, les destroyers qui l’accompagnent ont un pouvoir dissuasif qu’Hassan Nasrallah ne peut ignorer s’il décidait d’engager une attaque contre Israël qui ne peut plus être surpris, cette fois. 

Le piège

La disparation du Hamas à Gaza serait une défaite lourde de sens pour l’Iran et le Hezbollah qui prétendent défendre les intérêts du monde arabe, chiite et sunnite confondus, pour le cantonner au seul rôle de défenseur des intérêts chiites, avec l’Iran comme maître. Le parti de Dieu aide ses partenaires à perfectionner et à étendre leurs capacités notamment en matière de drones et de roquettes, ainsi qu’au plan tactique, fort de son expérience acquise dans le conflit syrien. 

Pour autant le Hezbollah n’a pas rompu l’équilibre des moyens employés dans son conflit avec Israël qui représente près d’une quarantaine d’années d’expérience. Le coût très élevé de la guerre de 2006 a laissé des traces. De plus l’extrême sauvagerie des massacres du 7 octobre aura également surpris l’organisation, qui comme l’Iran, procède par touches successives, marqués par la prudence et la progressivité malgré des discours toujours très agressifs.

Le dilemme

« L’unité des fronts » parrainée par le Hezbollah est déjà un fardeau. Une défaite face à Israël serait lourde de conséquences et le ramènerait à son niveau de 2006.  Dans ces conditions, le parti de Dieu est confronté à un dilemme : Continuer des échanges qualifiés « de basse intensité » ou choisir de déclencher une opération de grande envergure. Dans cette dernière hypothèse, la riposte israélienne sera à la hauteur de l’enjeu. Le Liban y perdra son existence comme État et le Hezbollah ne pourra plus représenter une force géostratégique au service de l’Iran. Il existe aussi la possibilité qu’Israël prenne les devants et engage une action préventive, en acceptant une riposte du Hezbollah. L’expérience a déjà montré qu’en anticipant, Tsahal avait pu prendre l’avantage. 

L’évacuation par l’armée de la zone frontalière au nord laisse présager que Tsahal a pris en compte les deux options, attendre l’agression venant du Liban tout en ayant préparé la réplique qui se traduira par une vaste destruction, ou lancer une opération préventive, voire dans une action conjointe avec les États-Unis qui en ont les moyens au vu des préparatifs en cours. 

L’Iran et son affidé devront peser les risques et les conséquences d’une telle attaque qui entraînerait assez probablement la neutralisation du Parti de Dieu et la perte d’un pion important pour l’Iran.  S’il s’abstient, l’Iran, via le Hezbollah, conservera encore une carte maîtresse à jouer dans l’avenir. La partie d’échecs est en cours.

© Francis Moritz


Francis Moritz a longtemps écrit sous le pseudonyme « Bazak », en raison d’activités qui nécessitaient une grande discrétion.  Ancien  cadre supérieur et directeur de sociétés au sein de grands groupes français et étrangers, Francis Moritz a eu plusieurs vies professionnelles depuis l’âge de 17 ans, qui l’ont amené à parcourir et connaître en profondeur de nombreux pays, avec à la clef la pratique de plusieurs langues, au contact des populations d’Europe de l’Est, d’Allemagne, d’Italie, d’Afrique et d’Asie. Il en a tiré des enseignements précieux qui lui donnent une certaine légitimité et une connaissance politique fine.

       Fils d’immigrés juifs, il a su très tôt le sens à donner aux expressions exil, adaptation et intégration. © Temps & Contretemps


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