Les autorités israéliennes se fixent une nouvelle fois comme objectif l’éradication du Hamas.
Mais elles ne disposent pas d’une maîtrise totale du temps.
Gilles Paris. “Le Monde“
“Nous avons mis la barre très haut et nous allons dans cette direction. Nous ne frappons pas uniquement les terroristes et les lance-roquettes, mais aussi l’ensemble du gouvernement du Hamas. Nous visons des édifices officiels, les forces de sécurité, et nous faisons porter la responsabilité de tout ce qui se passe sur le Hamas et ne faisons aucune distinction entre ses différentes ramifications. Nous ne sommes qu’au début de la bataille. Le plus dur est encore devant nous et, à cela, il faut se préparer. Nous voulons changer les règles du jeu”.
Cette déclaration du chef d’état-major adjoint de l’armée israélienne ne date pas de ces derniers jours. Elle remonte au 27 décembre 2008. Dan Harel l’avait prononcée au troisième jour de la guerre qui, à Gaza, opposait alors Israël au Hamas, maître de l’étroite bande de terre depuis l’éviction par la force de l’Autorité palestinienne, un an plus tôt.
Quinze ans et trois autres offensives contre le Hamas plus tard, les autorités israéliennes se fixent une nouvelle fois comme objectif l’éradication de l’ensemble de l’organisation responsable des massacres de civils israéliens perpétrés le 7 octobre. La question palestinienne étant réduite à un défi sécuritaire, la réponse est strictement militaire.
Le cadre conceptuel a généré depuis plus de deux décennies une incessante course-poursuite entre la plus puissante armée du Proche-Orient et la milice palestinienne. La première clôture israélienne autour de Gaza est mise en place en 1995. Les premières roquettes palestiniennes sont tirées en 2001. Le perfectionnement de la clôture israélienne est suivi du creusement par les groupes militaires palestiniens de tunnels artisanaux.
Escalade dans la violence
Parallèlement, les roquettes palestiniennes gagnent en portée et en fiabilité. Cette avancée contraint l’armée israélienne à des offensives répétées en 2008, 2012, 2014 et 2021, régulièrement accompagnées par des incursions au sol, malgré le développement du Dôme de fer, un dispositif antiaérien vanté pour son efficacité.
L’armée israélienne ne cesse de perfectionner son dispositif autour Gaza, notamment pour bloquer les tunnels. Mais la phase militaire de l’attaque du 7 octobre est venue des airs, notamment avec la neutralisation par des drones d’une partie du dispositif israélien, ce qui a permis d’enfoncer cette clôture pourtant présentée comme un exemple d’excellence technologique.
Cette course-poursuite s’est accompagnée d’une escalade dans la violence dont les massacres du 7 octobre constituent le paroxysme côté palestinien. Côté israélien, un palier a été franchi en juillet 2002 avec le largage d’une bombe d’une tonne pour tuer un haut responsable du Hamas, Salah Chéhadé, au prix de quatorze morts collatérales et plus d’une centaine de blessés. Le bombardement meurtrier de Jabaliya, le 31 octobre, lui fait écho. La seconde intifada (2000-2005) a en fait mis un terme aux interrogations que nourrissait dans la société israélienne, jusqu’à la Cour suprême, la pratique des assassinats ciblés.
La feuille de route que s’est fixée l’Etat hébreu au lendemain du 7 octobre est “de parvenir à la destruction des capacités militaires et administratives du Hamas et du Jihad islamique de manière à les empêcher de menacer et d’attaquer les citoyens d’Israël pendant de nombreuses années”. Un objectif très proche de celui formulé en 2008, ce qui interroge sur sa faisabilité.
Choix de “non-stratégie“
En vingt ans, Israël s’est en effet limité à un choix de “non-stratégie”, selon la formule de Blaise Misztal, un responsable du Jewish Institute for National Security of America, dans un article publié par le site “War on the Rocks”, consacré aux questions de sécurité. Il reposait sur une forme de dissuasion passant par l’affaiblissement régulier de l’ennemi (“tondre la pelouse”, selon la formule consacrée). Il a montré son inefficacité le 7 octobre, comme lors des escalades précédentes.
L’armée israélienne ne semble pourtant pas envisager autre chose cette fois-ci, sinon une campagne de plus longue durée, afin de limiter, selon les stricts critères israéliens, le nombre de victimes collatérales. Mais elle ne dispose pas d’une maîtrise totale du temps. La mondialisation du conflit et la sensibilité des opinions, que l’on peut déjà constater, jouent contre elle. Alors que le nombre de morts et les destructions sont déjà sans précédent, tout conduit en effet à très court terme à une crise humanitaire d’ampleur à Gaza dont l’impact international risque d’être dévastateur pour Israël.
La complexité du terrain gazaoui et ce temps contraint pèsent donc sur le premier acte de toute opération militaire visant une guérilla fondue dans une population, ce que les stratèges nomment le “nettoyage”. En se retirant de Gaza en 2005, l’armée israélienne a écarté définitivement les autres axes classiques des manuels modernes de contre-insurrection, inspirés notamment de l’expérience américaine en Afghanistan : “tenir” et “construire”. Même dans l’hypothèse, encore hautement spéculative où son armée atteindrait ses objectifs, Israël fait l’impasse sur le “jour d’après” et la formule qui éviterait ce qui s’est passé à chaque offensive contre Gaza depuis 2008 : la reconstitution des capacités du Hamas, y compris militaires.
Non seulement cette stratégie de “non-stratégie” présente des impasses évidentes, mais elle se nourrit d’une illusion entretenue par la clôture enserrant l’étroite bande de terre. Il s’agit de la déconnexion de Gaza de la situation à Jérusalem-Est et en Cisjordanie, en proie depuis des mois à des tensions jamais atteintes depuis la fin de la seconde Intifada. Rétablir cette continuité relève de l’évidence, mais cela revient à sortir d’un cadre sécuritaire qui permet aujourd’hui de nier la composante politique et territoriale, pourtant centrale, de la question palestinienne. Cette négation a constitué le fil conducteur du long bail de Benyamin Nétanyahou à la tête de l’Etat hébreu.
© Michel Jefroykin avec Gilles Paris
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