Ismaël Saidi: « En tant que musulman, je refuse de me voiler la face sur la nature de l’antisémitisme en France »

Ismaël Saidi

TRIBUNE – Pour Ismaël Saidi, comédien et metteur en scène de la pièce « Djihad », ce n’est pas le conflit israélo-palestinien en lui-même qui génère l’antisémitisme en France, mais bien l’islamisme.

Un matin d’octobre, j’ai découvert comme des millions de gens l’horreur apparaître sur mon écran de télévision. Tellement d’horreur qu’il a fallu l’éteindre et essayer de regarder ailleurs le temps d’un instant, le temps d’un souffle.
J’ai, comme tout le monde, posé mes yeux quelques heures plus tard sur l’écran de mon téléphone portable et découvert l’horreur des réactions à travers le monde.
Mais au risque de vous étonner, j’ai surtout ressenti une impression de « déjà-vu ». La première fois, c’était le 11 septembre 2001, et je rendais visite à mes parents. Tous les téléviseurs de la maison étaient branchés sur les chaînes satellitaires qui avaient envahi Bruxelles depuis la moitié des années 90.
Je m’attendais à découvrir des images de deuil international mais au lieu de cela, l’écran divulguait des scènes de liesses, de joies, de distributions de bonbons. Je ne comprenais pas ce manque d’empathie et malgré les explications, pénibles, de mon oncle sur l’impérialisme américain, sur l’arrogance de ces « Occidentaux » qui déstabilisent le monde et qui n’ont que le retour d’une manivelle qu’ils ont eux-mêmes tourné, je n’arrivais pas à intégrer un tel manque d’empathie.
Toutes ces femmes, ces hommes, morts dans ces tours, dont certains étaient filmés en direct, sautant du toit d’une des plus hautes tours du monde, avaient été déshumanisés. Ils n’existaient pas : seules la haine et la rancœur à l’égard d’une Amérique détestée subsistaient.

Même sentiment de « déjà-vu » mais autre décennie et autre région du monde : en France, à l’exception du 13 novembre
2015 où les terroristes ont visé « à l’aveugle » et où tout le monde s’est senti concerné ou encore celui de 2016 à Nice pour les mêmes raisons, les attentats de ces dix dernières années ont trouvé un justificatif pour déshumaniser les victimes : il ne faut pas être juif, il ne faut pas dessiner le prophète, il ne faut pas être juif, il ne faut pas montrer les caricatures qu’il ne fallait pas dessiner, il ne faut pas être juif, il ne faut pas être prêtre, il ne faut pas être policier, il ne faut pas être juif…

« Il ne faut pas être juif » : c’est l’unique « raison » que l’on peut trouver aux crimes commis ce 7 octobre 2023, du moins, je n’en vois pas d’autre car aucune cause, aussi légitime soit-elle, même aussi noble que celle de la création d’un état pour le peuple palestinien en souffrance depuis si longtemps, ne justifie un massacre.
Bien entendu, il va y avoir des compétitions victimaires comme à chaque fois, bien entendu pour chaque mort dans un kibboutz, il y en aura deux à Gaza, bien entendu le décompte macabre va s’afficher sur nos télévisions comme depuis si longtemps déjà.
Mais si, pour une fois, au lieu d’inviter un rabbin et un imam sur tous les plateaux en leur demandant de nous montrer à quel point les religions ne sont qu’amour et paix (les millions de morts à travers les siècles, victimes de guerres de religions, de croisades, de pogroms, d’esclavage apprécieront…), on se posait la bonne question.

Si pour une fois, au lieu de mettre la poussière sous le tapis jusqu’au prochain attentat, nous arrêtions de nous voiler la face.
Je vais donc lancer un pavé dans la mare : pourquoi lorsque des atrocités sont commises à des milliers de kilomètres de chez nous, faut-il protéger la communauté juive de France ?
Pourquoi est-ce que l’on trouve cela normal ?

Pourquoi est-ce qu’un Français juif doit craindre de sortir avec une kippa ou la moindre preuve d’appartenance à sa communauté de croyance ?
Pourquoi des maisons où se trouvent des mézouzas sont visées ? Pourquoi des familles changent leur nom sur les applications de livraison pour éviter de se faire agresser si elles sont reconnues comme juives ? De quoi les Français juifs sont-ils coupables ?
Si le Moyen-Orient s’enflamme, pourquoi nos compatriotes juifs doivent-ils en souffrir ?

La réponse qui me vient à l’esprit est qu’il y a une idéologie en France qui a décidé de faire des Juifs ses ennemis.

Comme l’avait fait le nazisme, par le passé, il y a une idéologie qui veut « se faire du juif ». Je le dis parce que je ne la connais que trop bien.
Des années à être abreuvé d’images, de discours sur « nos frères palestiniens » très vite devenus « nos frères en islam » tués par les « Juifs » – et pas par les Israéliens car dans le monde arabo-musulman, c’est le mot « juif » qui est utilisé et à dessein.
Les terroristes n’ont-ils pas appelé leur famille, hurlant de joie, leur expliquant qu’ils ont tué « des juifs ».

Ainsi le glissement sémantique a eu lieu depuis bien longtemps : ce n’est pas Palestinien contre Israélien, mais musulman contre juif.
Il n’est donc pas étonnant, quand on comprend cela, que dans le pays où se trouve la plus grande communauté musulmane d’Europe et la plus grande communauté juive d’Europe, la situation devienne explosive.
Et là où beaucoup d’entre nous pensent que c’est le conflit israélo-palestinien qui est la matrice de l’antisémitisme en France, je répondrai : changez de paradigme de lecture, retournez l’image d’Épinal et vous comprendrez: c’est l’antisémitisme que l’on retrouve dans une idéologie meurtrière, cancer de l’islam, qui est devenu, aujourd’hui, la matrice du conflit israélo-palestinien.
En tant que musulman, croyant, et qui pense encore qu’il y a un salut dans ce chemin que j’ai choisi, je ne peux continuer à faire semblant.
J’ai l’impression d’être atteint d’un cancer, d’être dans le déni, de refuser la chimiothérapie et de me soigner à coups de paracétamol.

© Ismaël Saidi

Ismaël Saidi est auteur, metteur en scène et comédien. Il a notamment mis en scène « Djihad », qui raconte l’histoire tragi-comique de trois Bruxellois partis se battre en Syrie.

Source: https://www.lefigaro.fr/vox/monde/ismael-saidi-en-tant-que-musulman-je-refuse-de-me-voiler-la-face-sur-la-nature-de-l-an

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