En direct d’Israël. De retour de Be’eri, le Témoignage de Sarah Fainberg recueilli par Georges Benayoun: « On ne peut pas dire. On n’a pas l’image. On n’a pas l’odeur »

Sarah Fainberg

Pendant l’attente. Sonnés. Alors, on se regroupe, on se recentre.

Une solidarité retrouvée, plus forte que jamais. Peut-être même, l’erreur fondamentale du Hamas, de ces barbares sanguinaires et déshumanisés, qui ne pourront jamais comprendre tant leur culte de la mort les constitue. Ceux qui n’ont pas été appelés par l’armée se mobilisent auprès des familles des otages, assistent celles qui ont perdus des proches. Et ces colis par milliers pour ces familles qui ont dû quitter en quelques heures leurs kibboutzim ou villages soumis au Nord aux attaques incessantes du Hezbollah ou de localités proches de Gaza. Et puis, ceux qui ne tiennent plus en place et qui chaque jour vont servir des repas de fêtes (comparés à leurs rations militaires) jusque dans les bases les plus reculées. On se rend utile, pour combler cet immense vide qui a saisi le peuple.

Les certitudes du citoyen israélien ont volé en éclats

Près de trois semaines après les massacres génocidaires perpétrés par le Hamas contre des centaines de Juifs sur la terre d’Israël, peu arrivent à trouver les mots. Les certitudes du citoyen israélien ont volé en éclats. Pour la première fois, je rencontre la peur, la remise en cause de l’existence d’Israël pouvant même être formulée. « Partir » est rarement un sujet. Ceux qui n’ont pas supporté l’angoisse de la situation l’ont déjà fait. Personne ne juge vraiment, du moins pas ouvertement. Et à la moindre velléité des parents, les enfants leur rappellent qu’ils n’ont nulle part d’autre où aller. L’attente, la peur, encouragent la remise en cause. L’assurance a laissé place aux pleurs incontrôlés, les regards sont tristes et sur les lèvres, tous la même question: Que nous est-il arrivé, de quoi ce 7 octobre est-il la résultante?

Les réponses sont hésitantes, à voix basse.

Certains s’excusent de n’avoir vu que la grande image d’un Israël conquérant, ils n’avaient pas compris les immenses fractures de la société dans lesquelles se sont engouffrés les ennemis du pays

Certains osent s’excuser, avec une honnêteté intellectuelle qui impose le respect. Ils n’avaient vu que la grande image d’un Israël conquérant, et n’avaient pas compris les immenses fractures de la société dans lesquelles se sont engouffrés les ennemis du pays.

A droite, en dehors du dernier carré d’irréductibles, l’image de Netanyahou, champion de la sécurité, s’est totalement dissoute. Il devra, ainsi que son gouvernement, en rendre compte, mais ça c’est pour plus tard.

À gauche, même les plus farouches partisans de la paix et d’une solution à deux États, s’effraient d’avoir des sentiment de vengeance contre « ces chiens » du Hamas et refusent de penser à demain, comme si leur mantra humaniste avait généré sa propre destruction.

Les lignes d’opposition s’estompent et, pour beaucoup, les violentes querelles d’hier appartiennent à un autre temps.

Le never again, pour ceux qui y avaient seulement cru, a vécu. Un autre Israël va se révéler. Durement, sûrement.

Le never again, pour ceux qui y avaient seulement cru, a vécu. Un autre Israël va se révéler. Durement, sûrement.

Dans ce contexte dramatique, préparer un documentaire sur ce qui nous est arrivé m’amène à rencontrer des personnages hors du commun, dont l’engagement moral, intellectuel ouvre une voie possible pour demain. Sarah Fainberg est l’une d’entre elles, peut-être la plus juste, la plus bouleversante et lucide qu’il m’ait été donné de rencontrer depuis 10 jours que je suis ici. Sarah est professeur à l’Université de Tel Aviv. Docteur en philosophie et de Sciences politiques, elle est spécialiste des crimes génocidaires et de l’Ukraine. Je l’ai rencontré chez elle, au retour de sa visite du Kibboutz BEERI, cadre des pires atrocités. Voici un extrait de la longue interview dont l’intégralité paraitra prochainement dans un magazine. Mais surtout, écoutez sa voix sur ce lien.

Le témoignage de Sarah Fainberg, au retour du Kibboutz Be’eri

« Dans mon travail, j’ai été documenter les lieux de massacres de masse en Ukraine. J’étais sur beaucoup de sites de la Shoah par balles. J’ai documenté les crimes de guerre russes en Ukraine depuis 2022. Les violences contre les enfants, les femmes, etc. Mais ce que j’ai appréhendé hier, parce qu’on ne peut que l’appréhender, on ne le voit pas, mais on l’appréhende, c’est au delà de tout ce qui m’a été donné de voir, de toute violence que j’ai pu étudier depuis 1945.

C’est impensable ce qui est arrivé et je comprends maintenant. Je comprends qu’il y ait une forme d’aveuglement ou de point aveugle pour des services de renseignements israéliens et de l’armée, parce que on est là face à un acte d’une violence, dune passion ou rage génocidaire qu’il était en réalité impossible de prévoir, même par les services de renseignement les plus équipés au monde. Alors certes, on va dire, on s’est trop appuyé sur la technologie. Le pays était au bord de l’abîme avec cette querelle judiciaire sur la réforme. Certes, il y avait beaucoup de conditions qui faisaient que nos yeux n’étaient pas assez ouverts et notre peau pas assez réactive. Mais ce qui est arrivé est un crime qui est au-delà de ce qu’on a connu.

Là, ce qui m’a frappée, c’est l’hybridité de l’action. C’est-à-dire on tue en avant dans l’intention, on vient armé au maximum de façon à faire un maximum de victimes. On utilise les victimes sexuellement, c’est-à-dire nos femmes. Les femmes d’Israël ont été souillées, mais à un point. Je ne sais même pas si pendant la Shoah, elles ont été touchées comme ça.

Les enfants ont été profanés. Je sais même pas si pendant la Shoah, ils ont été profanés. Certes, pendant le pogrom de à Cracovie, on prenait le cerveau des enfants, les têtes, on les brisait contre les murs. Mais là, ce qui est arrivé, Georges, ils ont été profanés avant, pendant et après. On s’est acharné sur les corps avant de les tuer, pendant qu’on les tuait en les filmant parce que les nazis ne filmaient pas ce qu’ils faisaient. Eux, ils voulaient filmer.

Et après, ils se sont acharnés sur des dépouilles. Pour vous donner un exemple, j’étais avec les gens de Zaka (ONG de sauveteurs qui opèrent sur les attentats ou sur les catastrophes naturelles, ramassent la moindre goutte de sang, le moindre bout de peau pour les enterrer dignement) hier et en fait ils ne peuvent retrouver que des colonnes vertébrales qui sont l’une contre l’autre parce que c’est une mère et une fille, une mère et un bébé qui se sont tenus jusqu’au bout quand ils brûlaient vivants.

Ils ont retrouvé du sang par terre, de femmes qui étaient enlacées devant leurs bébé, qui avaient les mains accrochées, qui étaient violées devant leurs bébés.

Et ça, le monde ne le sait pas.

Et je vais vous dire pourquoi il le sait pas: parce qu’il n’y a aucune image qui peut « donner » ça. Les images, c’est entrer dans le massacre, mais on n’a pas toutes ces étapes: la préparation, l’incursion, les hordes de civils palestiniens, pas les terroristes qui ont pris, les filles qui ont pris, les enfants qui ont pris les nids de soleil chaud. On n’a pas l’image de quelqu’un qui est brûlé vivant et il n’y en aura pas.

Vous savez ce qu’il n’y a pas, Georges? Il n’y a pas, il n’y a pas l’odeur. Parce que quand on est là bas deux semaines après, mais c’est une odeur, on ne peut pas retranscrire cela. C’est une odeur d’un massacre. On n’arrive pas. Je vais vous dire, moi je suis quelqu’un qui écrit, qui parle. Je n’arrive pas à parler, je n’arrive pas à trouver les mots. Je n’arrive pas à faire le lien entre ce ruban rose que j’ai vu par terre, cette flaque de sang et de chair que j’ai vue à côté, ce récit d’un représentant de Tsahal qui me raconte ce qui s’est passé et cette chaîne Telegram où sont documentées toutes les horreurs du Hamas. Mon cerveau et mon corps n’arrivent pas à faire le lien. Le lien, Je n’y arrive pas. Je n’arrive pas à faire le lien ».

Témoignage de Sarah Fainberg recueilli par Georges Benayoun

Docteur en philosophie et de Sciences politiques, Professeur à l’Université de Tel Aviv, Sarah Fainberg est spécialiste des crimes génocidaires et de l’Ukraine.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

4 Comments

  1. C’est inimaginable ces massacres , et notre cerveau avant de nous permettre de voir ces images, de nous mettre à la places des martyrs parce que nous ne pourrions plus vivre, ni nous battre alors nous floutons ces images de la barbarie de ces monstres du hamas.

  2. Je suis horrifiée par ce que je viens de découvrir. Je suis francaise et j habite près de Versailles. Je suis de tout cœur avec vous . Mon Dieu , Que plus jamais le hamas ne puisse exercer sa barbarie !

  3. Je n’arrive même plus à avoir de haine pour ces barbares du Hamas, juste la détermination jusqu’à ce qu’ils soient éradiqués, comme on peut l’avoir pour de la vermine.
    «Tu effaceras la mémoire d’Amalek de dessous le ciel: ne l’oublie point». (Deut. 25: 17- 19

  4. Madame Fainberg, après vous avoir entendue lors d’une conférence organisée par Pasder&Lipkins pour un groupe francophone à Jérusalem avec le Rav Dynovisz, je suis bouleversée d’entendre votre témoignage qui était encore inimaginable en 2019. Avec toute ma sympathie.

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*