Lettre à Ellie, 6 mois. « Tu étais allaitée. Il fallait à tout prix que Céline, ta maman, rentre à la maison »

Chère Ellie,

Aujourd’hui nous sommes le 18 octobre 2023; au moment où j’écris ces mots tu viens d’avoir sept mois et depuis vingt-quatre heures nous avons accompagné ta maman Céline, dans sa dernière demeure. J’ose penser que tu liras ces mots car tu auras appris à lire le français, la langue maternelle de ta maman, qu’elle avait si hâte de t’enseigner. Toi qui aimais déjà tant quand elle te chantait Ainsi font font font les petites marionnettes. 

Ellie, je vais écrire en employant différents temps de conjugaison parce que ce qui sera pour toi du passé est encore pour moi très présent. 

Ellie, je ne fais pas partie de la famille mais ta maman je l’ai bien connue, au lycée français Givat Washington, j’étais en classe de première et elle venait d’arriver en classe de seconde. Cependant nous avons été assises côte à côte plusieurs fois par semaine pendant un an, le temps d’un cours d’Oulpan. En effet, ta maman et moi avions un niveau d’hébreu avancé par rapport aux autres, elle grâce à ton papy Tsion, qui est israélien, et moi car je suis en Israël depuis déjà deux ans. Il s’avère que nous avons aussi un parcours similaire – en effet la famille de ta maman, comme la mienne, a quitté la France pour des raisons de sécurité, ayant subi de trop près la montée de l’antisémitisme. 

Ta maman était tellement belle, autant de l’intérieur qu’à l’extérieur et tu lui ressembles tellement… 

Ellie, je n’ai pas assisté au mariage de tes parents, je n’étais pas là pour ta naissance. Le dernier contact que j’ai eu avec elle remonte à l’année dernière puisqu’elle voulait faire appel à mes services de traduction pour le Cabinet dans lequel elle travaille avec ton papa, parce que c’est mon métier. Elle aurait pu faire appel à n’importe qui d’autre mais pour elle ça lui paraissait évident de passer par moi. Et nous avons discuté par téléphone, après toutes ces années. Elle était toujours aussi joviale. 

Et c’est à partir de ce samedi 7 octobre 2023, pendant dix jours, que me voici remuer ciel et terre afin que le monde, notamment francophone, sache que ta maman est portée disparue.  

Ellie, si j’écris ces mots c’est parce que tu ne te rappelleras probablement pas son sourire, sa chaleur ni le son de sa voix. 

Nous sommes si nombreux à l’avoir connue, à l’avoir tant aimée et appréciée. Je pense qu’il est de notre devoir d’écrire et de parler d’elle afin d’honorer sa mémoire et surtout pour qu’elle vive en toi à travers nous pour l’éternité et que tu n’oublies jamais que ta maman était une femme exceptionnelle. 

Si Facebook existe encore, tu liras les souvenirs des amies de ta maman accompagnés de photos. Ta maman croquait la vie à pleines dents. Je n’ai pas de photo avec elle à te montrer mais je suis certaine de l’avoir photographiée à plusieurs reprises avec Laura, lorsqu’on partait toutes en tiyoul. C’était il y a déjà tellement longtemps et soudain ça me parait être comme si c’était hier. 

Ellie, j’ai fait ta rencontre le lendemain de cette journée noire du 7 octobre – qui d’ici-là deviendra probablement un jour de deuil national. Tu es tellement souriante, joyeuse et apaisée. Tu ignores que toute ta famille et notamment ton papa Ido cherchent désespérément ta maman depuis 24 heures. 

Ton papa, je lui ai parlé dès que j’ai su que ta maman était portée disparue. J’ai bien entendu appelé aussi tonton Samuel et tes grands parents, Tsion et Sylvia. Ils étaient tellement tous inquiets. Ton papa n’avait plus de nouvelles depuis 7h11. Elle qui voulait partir danser avec ses amis, Adir et Shiraz, au festival Nova, seulement pour quelques heures, pour marquer la fin de son congé maternité et la reprise du travail.

On t’aura déjà sans doute raconté leur récit et notamment les détails de cette terrible journée. 

J’arrive donc à la maison, au domicile de tes grands parents à Holon. Par le plus grand des hasards, j’habite à quatre minutes à pied. Et je te vois dans ton berceau. Ton papa me demande de te parler en français et de te chanter ta comptine préférée. Tu adores ça – qu’est-ce que tu te marres ! Puis je fais la rencontre de mamie Anya, de Doudi et des amis de tes parents. A la maison c’est branle-bas de combat – tous scotchés sur les téléphones dans l’espoir d’obtenir une once d’information.

J’ai déjà fait en sorte qu’on parle de ta maman sur RTL, la radio française, grâce à un ami journaliste, Leo. Car je connais ta maman et puisqu’elle est franco-israélienne, j’avais décidé en l’espace d’une fraction de seconde que je ferais tout ce qui est en mon pouvoir pour la retrouver. Oui ma belle Ellie, j’ai cru dur comme fer, jusqu’à l’annonce terrible du 16 octobre 2023, le jour où le monde s’est effondré pour ta famille, que tu retrouverais ta maman saine et sauve.

Ton père me racontait son périple pour retrouver la voiture dans laquelle circulait ta maman. J’ai vu les photos et les vidéos… Et plus tard dans la soirée, j’étais toujours à ses côtés car il témoignait devant la France entière de sa détresse sur la chaine BFM TV ; lui qui voulait tant retrouver la femme de sa vie. 

On a déjà dû te le dire, mais la rencontre de tes parents était comme une évidence. J’ai par ailleurs pu être témoin à plusieurs reprises de l’amour inconditionnel que ton papa porte à ta maman.

Je suis persuadée que tu ressentiras cet amour en contemplant leurs photos. Je suis incapable de te dire dans combien de médias francophones ton papa a témoigné pour trouver ta maman, mais ce soir-là sur BFM TV, toute l’Europe (et même le Canada) t’ont vue sur les genoux de ton papa. 

Tu étais devenue « la petite fille de France ». Nous recevions des tas de messages de soutien notamment parce que nous avions souligné que tu étais allaitée. 

Il fallait à tout prix que ta maman rentre à la maison. 

Sache que jusqu’au bout, malgré la fatigue, la détresse et les jours qui défilaient, ton oncle Samuel et ton papa Ido n’ont cessé de parler de ta maman. Même moi je m’y suis mise, alors que D.ieu sait que je préfère rester dans l’ombre. Mais il le fallait. 

En parallèle le monde nous soutenait et nous encourageait à poursuivre. Nous avons même préféré que ta maman soit otage de nos ennemis… ce qui n’était pas une option évidente, mais pour ton bien-être, il n’y avait pas débat. 

En passant des heures et des jours aux côtés de ta famille et en discutant par téléphone avec les meilleures amies de ta maman, j’entendais les mêmes histoires, les mêmes souvenirs, de supers anecdotes. 

Ce qui est certain, Ellie, c’est que tu étais son rêve le plus précieux. Quand elle a appris qu’elle était enceinte de toi, elle fut la plus heureuse du monde. Je suis sûre que tu la rends très fière.

Les jours passèrent et depuis que ton papa était passé sur BFM, tous les médias voulaient parler de ta maman, j’ai donc dû échanger avec une centaine de journalistes, traitant directement avec moi car ça devenait trop dur émotionnellement pour ton oncle Samuel et extrêmement intense pour ton père. 

J’ai monté assez rapidement le Comité de soutien pour la recherche de Céline. Je voulais que le monde sache qu’elle n’était pas toute seule et en effet j’étais bien entourée dans cette tâche puisque les meilleurs copains de ton père m’aidaient avec la logistique et me soutenaient émotionnellement. 

Nous n’avons  rien lâché !

Ton oncle et ton père parlaient à la radio et à la télévision israélienne et européenne. Ton père m’a même épatée lorsqu’il a accordé sa première interview pour le Canada en Anglais. Je faisais mine de contenir mes émotions mais le voir pleurer à chaque fois qu’il prononçait le prénom de ta maman était un supplice. 

Ensuite il y a eu les interventions médiatisées pour l’Angleterre et les États-Unis. 

Ellie, tout le monde connaissait le visage de ta mère et te connaissait surtout toi. 

Tu as ému la Terre entière – tous rêvaient de cette image de toi blottie dans les bras de ton héroïne.

Les journalistes restaient même à bavarder avec moi par téléphone après chaque interview afin de m’apporter leur soutien. Il faut reconnaitre que durant la guerre, ils nous ont surpris en bien, eux qui habituellement n’hésitent pas à « taper » sur Israël. 

Mais cette fois-ci la situation est bien trop grave. 

Dix jours d’attente… C’était pénible et du coup on devenait, peut-être naïvement, de plus en plus confiant puisqu’on se disait que si personne ne nous appelait, ta maman devait donc être entre les mains de nos ennemis. 

Aussi, à chaque fois qu’un article sur ta mère était publié, je veillais à ce qu’aucune erreur ne soit commise (parce que parfois elle avait 26 ans, parfois elle était avocate, parfois elle était à la fête, parfois même ton papa Ido était surnommé Igor et moi j’étais Yael Kriel… mais ça c’est moins grave). 

Et puis on nous apprend qu’Adir a été retrouvé mort. Mais toujours aucune nouvelle de ta maman ni de Shiraz. Nous gardons espoir. 

Ton papa, soutenu par Doudi, mène l’enquête. De mon côté je continue de gérer les journalistes et je scrute les canaux de communication de nos ennemis à la recherche d’une preuve de vie de ta maman – le matin au réveil et le soir avant de fermer les yeux… la guerre psychologique est ancrée en moi, les quelques heures de sommeil qui sont censées être des moments de répit se transforment en cauchemars : je revois les images d’horreur de cette matinée du 7 octobre 2023. Depuis, je dors avec la lumière, comme quand j’étais petite fille. 

Mais je dois rester forte, je ne perds pas mon objectif : faire le nécessaire pour que ta maman rentre à la maison. 

En amont en Israël c’est le chaos : entre les images atroces de ce samedi 7 octobre, le bilan provisoire des victimes de nos ennemis, les otages et les personnes portées disparues comme ta maman. Des Comités se forment rapidement – ton père et ton oncle se rendent vite à Jérusalem à la Knesset à la rencontre du Président Isaac Herzog. Ils en sortent avec encore plus de questions. 

Résultat : nous mettons tous nos espoirs sur le gouvernement français pour intervenir.

 Désormais ton père envoie un message fort à la France et à la Communauté internationale : il faut tout faire pour obtenir des informations sur Céline. 

Nous précisons que ta maman n’a jamais été soldate et qu’il faut la libération immédiate des femmes et des enfants. Lors d’un direct sur la chaine CNEWS, j’ai déclaré vouloir que notre ennemi diffuse des vidéos d’otages. Le présentateur me demanda par ailleurs si je croyais réellement à cela. 

PS : hier, nos ennemis diffusaient la vidéo d’une otage franco-israélienne toujours en vie…

À force de faire tellement de bruit autour de la disparition de ta maman, certains pensaient que nous formions un Comité important et que j’exerçais le métier de journaliste alors que la réalité est qu’à ce stade, c’est malheureusement chacun pour soi. 

Avec Dana, l’amie de tes parents, nous essayons de prendre du recul sur tout cela. En effet, une journaliste israélienne connue l’a appelée pour lui dire qu’on fait trop de bruit et qu’il ne s’agit probablement pas de la bonne stratégie sur le plan sécurité. Mais un autre appel, cette fois avec une officier reserviste haut gradée qui travaille intensivement à la cellule de crise civile des portés disparus, nous apporte son soutien et nous rassure concernant nos démarches. 

Cette dernière se démène pour que l’armée israélienne mène une enquête sur ta maman. Jusqu’alors, la famille n’avait reçu aucun soutien « officiel ». 

Je ne blâme personne, en Israël nous sommes tous dans le même bateau, c’est la guerre.

Pour revenir à Dana, elle aussi était très active sur les réseaux sociaux à poster des images, des Hashtag. Une vraie campagne de recherche. Preuve que nous y avons cru…

D’ailleurs ta maman n’est pas la seule franco-israélienne portée disparue. Tous les jours les chiffres augmentent. 

Nous faisons la connaissance de trois autres familles franco-israéliennes lors de la Conférence de presse donnée au Carlton à Tel Aviv. Initialement il devait y avoir une dizaine de journalistes pour couvrir l’évènement. Évidement j’ai prévenu tout le monde, ce qui donna une Conférence de presse ultra médiatisée retransmise en direct par pas moins de 60 journalistes. 

Et toi tu es présente. Tu pleures un peu mais on ne te fait pas sortir. Ton papa rappelle à toute l’assemblée que tu n’as que six mois et que tu as besoin de ta maman. Les interviews continuent, ton papa et ton oncle ne lâchent rien. 

Je me dis que peut-être je devrais prendre du recul mais c’est au-dessus de mes forces, je ne peux vous abandonner en chemin et je sens que ton oncle a besoin que je fasse barrage avec le monde extérieur. 

Tu sais, Ellie, cette photo où tu touches avec tes petits doigts le visage de ta maman sur le panneau ? Elle est de moi. Ce n’est pas pour le crédit mais pour que tu réalises que tu m’as tellement touchée, au plus profond de mon âme… et je ne suis pas la seule puisqu’elle fut reprise par un grand nombre de personnes. 

En parallèle nous continuons de recevoir des messages de soutien du monde entier et tous souhaitaient « qu’Ellie retrouve sa maman ». 

Ce soir-là, le Président français Emmanuel Macron faisait une déclaration officielle concernant la situation en Israël. Une équipe de BFM TV était dans le salon pour suivre la réaction de la famille en temps réel et moi je traduisais en simultané ton papa. 

Le Président Macron a déclaré :

« La France est une nation qui n’abandonne jamais ses enfants ». Comme s’il parlait de toi. Nous avions espoir…

Les jours passent et les journalistes s’interrogent : « Avez-vous du nouveau ? » Toujours rien, on patiente. Ton papa est de plus en plus fatigué mais il tient bon. « Je ferai tout ce qu’il faut pour Céline, c’est la femme de ma vie », qu’il me répétait. 

Les jours commençaient à se ressembler et en parallèle je suivais l’actualité en Israël. Il y a tellement de témoignages glaçants. 

Tu joues avec ta cousine qui a quasiment le même âge que toi, Miel ; dans les bras de tata Eden. Je vous chante à toute les deux une autre comptine toujours en français, « Une souris verte ». On a l’impression d’avoir improvisé un Gan. Quelques moments de douceur qui nous font le plus grand bien. Vous souriez parce que vous la connaissez bien, celle-ci. 

Il faut que je te parle de ta tante Eden, quelle femme incroyable – c’est elle qui t’allaite pendant que ta maman est absente. 

Il faut que je te parle aussi de cet élan de solidarité pour que tu ne manques pas de lait maternel. Toutes les femmes du quartier et des quatre coins du pays ont apporté des litres de lait, des glacières remplies. C’était tellement touchant. Sur les réseaux sociaux des femmes étaient prêtes à en apporter davantage. 

Tu n’as vraiment manqué de rien, si ce n’est de ta maman. Et j’ai l’ultime conviction que tu deviendras une jeune fille épanouie, malgré l’absence de celle qui t’a donné la vie. 

Enfin Ellie, le jour où nous avons fait nos adieux à ta maman chérie, toutes ses copines étaient présentes, même notre directrice d’école. 

Aujourd’hui, alors que l’adrénaline est déjà retombée et que cette course à la montre s’est achevée, je reçois des remerciements pour tous mes efforts. Je t’avoue que je n’arrive pas à ressentir la moindre satisfaction car, et je ne cesse de me répéter, j’y ai tellement cru ! 

Quand ton papa nous a annoncé que le corps de Shiraz avait été retrouvé, nous avons continué d’y croire. Et c’est un peu plus tard dans la soirée que nous apprenions ce que nous redoutions tant : ta maman a rejoint le Gan Eden. 

Ce que je souhaite que tu retiennes, c’est que ton papa Ido et ton oncle Samuel se sont comportés en héros. Ils se sont battus comme des lions pour retrouver ta maman et je suis certaine qu’ils continueront à faire vivre sa mémoire en te racontant plein de belles histoires sur elle. 

Ellie, n’oublie jamais, ta maman Céline voulait juste aller danser. 

Texte écrit à la mémoire de Céline Ben-David Nagar, victime du terrorisme

Yaelle Krief

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