En direct d’Israël, le Billet de Georges Benayoun. « Tel Aviv comme en suspens »

Photo: @Alon_art

Nous reconquerrons notre identité qui a vacillé en ce Shabbat de Simhat Torah 5784

Shabat à Tel Aviv, si loin, si près. Après la sidération, après avoir baissé les yeux devant les images des crimes génocidaires que l’on croyaient avoir laissés avec le 20ème siècle, après avoir affronté ces jours et nuits, à l’affut de la moindre information positive – sans mort, sans otage, sans tir, sans missile-, qui donnerait un peu de couleur à la noirceur de nos âmes en larmes, quelques amis réunis autour d’une table improvisée, habités par la même impuissance, avec le sentiment que le temps s’écoule au ralenti.

C’est l’attente. L’attente de ces alarmes qui rythment notre quotidien -qui vous font vous précipiter dans votre abri ou, si vous êtes dans la rue, vous projeter à terre loin des voitures en espérant que le dôme de fer vous protègera, sinon vous n’aurez qu’à compter sur vos bras autour de la tête- cette prochaine alarme qui ne saurait tarder, mais quand?

L’attente d’une opération terrestre vengeresse contre le Hamas, que tout le monde redoute pour son coût humain.

L’attente et la peur d’une guerre plus générale, Hezbollah, Cis-Jordanie, Iran… Le conflit mondial.

L’attente de pouvoir reprendre le cours de sa vie, tout en sachant que cela va être long, que plus rien ne sera comme avant.

L’attente de pouvoir dire ce que la majorité des israéliens pensent de leurs dirigeants politiques -leur tout premier surtout- mais qu’ils ne veulent pas exprimer parce que le temps n’est pas encore venu.

L’attente de pouvoir penser demain et peut-être plus loin.

Ce samedi, le soleil est au rendez-vous, la chaleur aussi. Mais les rues sont vides, les plages sans baigneurs, et les pistes cyclables de la Tayelet (la grande promenade du front de mer) si tristes sans leur flot permanent de vélo, trottinettes ou engins expérimentaux.

Au Namal, le port, un seul restaurant est ouvert. Devant un manège fermé, une petite fille se lamente auprès de son père de ne pouvoir faire un tour de cheval de bois. A Rothschild, lieu de Shabat laïque et agité, la première alarme du jour n’a pas eu de mal à vider le boulevard déjà désert.

Et ce soir, loin des bars fermés, des Telavivi iront visiter les rescapés des tueries du Sud sur le roof top d’un hôtel, d’autres entourer leurs familles ou leurs amis en deuil, d’autres encore essayer de se rendre utiles et participer à l’incroyable mouvement de solidarité qui traverse la société israélienne.

Tel Aviv, cette ville de l’excès, de l’hyper jouissance, de l’économie arrogante, de l’immobilier délirant, est comme en suspens, vers une introspection. Au delà de la douleur, de la souffrance, de ces familles qui enterrent leurs morts, de ces blessés qui vont longtemps rappeler au peuple les jours terribles que le pays est en train de traverser, de ces otages dont on attend le retour, il y a à reconquérir notre identité qui a vacillé en ce Shabbat de Simhat Torah 5784. Un Gam zo letova que je sais cruel, insupportable et encore inaudible, qui fera son chemin.

© Georges Benayoun. Photos @Astrid


Producteur de cinéma et de télévision, Georges Benayoun est auteur et réalisateur de documentaires pour France Télévisions. A son actif, L’assassinat d’Ilan Halimi. France, terre d’accueil : Profs en territoires perdus de la République ? Complotisme: les alibis de la terreur , avec Rudy Reichstadt. Chronique d’un antisémitisme nouveau, en 2019.


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