Joann Sfar
Certains de nos amis, ici l’AJC, se trouvent parfois confrontés à des situations qui pourraient être cocasses si le contexte n’était pas celui que nous savons, et, in fine, si nous ne lisions les faits qu’à la lumière d’un tout « premier degré ».
Jugez plutôt l’échange qui suit, où « La Croix » se risqua à une demande tellement incongrue qu’il s’imposa une réponse qui mît les points sur les i, même si nous n’avions guère le coeur à en rire.
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Une demande
Journal La Croix
16.10.2023
De XXX @groupebayard.com
Bonjour Madame, Monsieur,
journaliste au journal La Croix, pour lequel je couvre la rubrique sur le judaïsme, j’aimerais mettre en valeur le témoignage d’une famille juive, ayant fait son Alyah depuis la France, récemment ou non, et qui a décidé (ou se poserait la question), de retourner en France depuis les attaques du 7 octobre. Il s’agirait de raconter son histoire, depuis ses motivations à réaliser son alyah jusqu’à son intégration, et la question à nouveau de son départ. Le témoignage peut être anonyme, ou les prénoms changés.
Une réponse
XXX de l’AJC
16.10.2023
À : XXX@groupebayard.com
« Chère Madame XXX
Un bonjour amical
Tout d’abord un immense merci pour nous avoir contactés. Cela nous touche infiniment .
Nous avons bien reçu votre message, et j’y répond aussitôt. […]Le journal La Croix dont j’ai été une abonnée, mais qui ne me donnait plus l’impression d’une convivialité partagée, nous touche par cette demande.
Mais grand dieu pourquoi spécialement un famille « qui veut quitter Israël »?? Pensez-vous vraiment qu’elles sont si nombreuses à préférer revenir en France, où pas un enfant juif n’a, depuis 2003, eu droit à l’éducation nationale ? Enfermés dans des écoles juives ghettoïsées pour de simples raisons de sécurité??
[…]
Non ! Les familles juives qui partent de France savent qu’elles ont sauvé leurs enfants de l’absence de droit humains élémentaires en leur redonnant le respect et la sécurité.
Les problèmes qu’elles retrouvent en Israël sont les problèmes de la condition millénaire du peuple juif : une volonté permanente d’éradication. Il est dit dans nos textes en hébreu, je vous traduis : « Si nous avons traversé Pharaon, ça aussi nous le traverserons ».
Toute ma famille est justement là-bas; mais il ne me vient pas à l’idée qu’un seul d’entre eux -malgré les lourdes pertes familiales en 73-, n’imagine un instant de quitter le pays en danger. Dans ces moment-là, voyez- vous, nous sommes « Chevet ahim ou gam yaha », « une seule tribu, un seul corps ».
Si vous avez des questions qui concernent la vision juive des événements, je suis prête à vous répondre avec beaucoup d’amité. Je me tiens réellement a votre disposition.
Amitiés fraternelles ». X.X.
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La réponse ci-dessus fit l’unanimité: Faire du misérabilisme sur les Juifs et montrer une prétendue faillibilité de l’état juif nous parut à tous incongru: « Au contraire », a répondu celle-là, « nous aimerions tous être là-bas, enfin, j’ose utiliser le « nous » inclusif, là où notre peuple revit encore et encore l’extermination sur son propre sol. Je me sens très mal ici, personnellement, dans cette France de lumières que j’ai naguère choisie comme troisième patrie ». Et la même de proposer … un témoignage contraire. Y.G.
Cette autre ajouta: « Je connais nombre de franco-israéliens qui n’entendent pas en bouger, ou se précipitent pour y retourner. Nous tenons leurs témoignages à la disposition de La Croix, et nous gageons qu’ils ne seront pas faits sous couvert d' »anonymat ». A. W-R
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Mais « l’affaire eut une suite », que nous vous livrons, et La Croix l’eut, son témoignage:
« Chère Madame CXXX
J’ai effectué mon Alya il y a dix ans. Une partie de ma famille vit en France.
Pas une minute, une seconde, m’a traversé l’esprit de partir quelque temps en France.
Il me paraît à juste raison que vous ne puissiez pas saisir qu’il ne m’est pas imaginable de, disons-le simplement, « laisser tomber physiquement et moralement ma famille et mes amis » ici présents.
Je me permets très humblement de vous faire parvenir ci-dessous mon éditorial paru ce jour dans le cadre de ma revue de presse.
Recevez, chère madame, l’expression de mon cordial shalom ».
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EDITO
« J’ai beau depuis samedi dernier {le 7} tourner TOUTES les pages du dictionnaire que j’ai sous les yeux,
je ne trouve aucun mots vis à vis de ce que nous avons subi.
Le mot Shoah est un terme hébraïque mentionné dans la Torah. Il s’agit d’un sacrifice religieux au cours duquel la victime, uniquement animal, était entièrement consumée par le feu.
Claude Lanzmann, durant de longs mois, a cherché comment appeler son film. C’est un rabbin ami qui lui a proposé ce terme. N’est-ce pas ce qu’ont fait les nazis à notre peuple ?
Quel mot peut-on attribuer maintenant ?
Israël est un si petit pays que nous sommes tous des voisins. Qui ne connaît pas un ami-une amie d’enfance, un ami-une amie tout court qui ne se trouve soit sur le front de Gaza, soit sur le front nord en face du Hezbollah.
Comment exprimer la douleur des parents qui…
Une des amies de jeunesse d’un de mes fils vient d’arriver à Paris avec sa sœur, sa mère … et avec son bébé de deux mois qu’elle tient à sauver, pendant que son mari a été appelé à la frontière nord. Imaginez un seul instant son angoisse et son dilemme. Son kibboutz se trouve à 10 km du mien.
Hanita, kibboutz historique de l’État d’Israël, ne se trouve pas « à » mais « sur » la frontière Israélo-Libanaise.
Depuis sa création, une base militaire y est intégrée. L’armée l’a réquisitionné pour en faire sa base militaire pour la région le 8 octobre à 17h. J’y habite. Il est un lieu stratégique pour le Hezbollah. S’il est pris, il ouvre la voie vers Haïfa qui se trouve à 35 km.
Pour ma part j’ai quitté le kibboutz le dimanche 8 octobre à 12h, je pense avoir été le premier, après avoir reçu un SMS de l’armée demandant à tous ceux qui le pouvaient de partir dans l’heure. J’ai jeté dans un sac 5 T-Shirts, 2 shorts, un pantalon, 3 slips, pris mon téléphone et mon PC en oubliant ma brosse à dents. Pas ma carte de crédit et ma pièce d’identité israélienne.
Ce jour, le 16 octobre, l’armée a envoyé tous les habitants des kibboutz, moshav et villes se trouvant à trois kilomètres de la frontière nord vers des lieux sûrs, à … 10 km.
La guerre aux frontières est un traumatisme de tous les jours pour les soldats qui s’y trouvent.
Plusieurs de mes amis en ville, pour « tenir le coup », prennent du Prosac.
Quid de ce que les anglais nomment »deported people », c’est-à- dire « les déplacés »? J’en suis un.
Lorsque vous quittez votre maison, vous n’avez plus aucun repère. Se retrouver chez un membre de sa famille ne change rien. Je dirais même que cela l’aggrave. Cette famille, votre ami-e, se retrouve dans la même situation que vous. Son espace de vie n’existe plus. Imaginez vous retrouver avec vos deux enfants chez votre mère qui habite un quatre pièces et … pour combien de temps.
Cette promiscuité n’est certainement pas celle d’un shabbat ou d’un Seder.
Pire encore lorsque vous vous retrouvez dans une région que vous ne connaissez pas.
Vous habitez en plein centre de Paris et vous vous retrouvez à Versailles.
J’ai la chance d’être chez mon neveu à Tel Aviv. En face de sa rue se trouve un hôtel de 400 chambres.
Il a été réquisitionné par l’armée afin d’y loger « les déplacés » du sud et du nord.
J’y suis allé afin de me porter volontaire pour quelque tâche que ce soit.
Les israéliens les plus optimistes pensent que la guerre durera encore un mois environ.
Que nenni pour moi. Au minimum un mois et demi à partir de ce jour.
Après avoir, si je puis dire, résolu le problème « Hamas », il faudra stabiliser la frontière nord.
Stabiliser le front nord, pour les plus optimistes, c’est dans notre esprit une guerre de position non belligérante comme vis-à-vis du Liban.
Voici le témoignage que je tenais à vous transmettre ».
Michel Israel Jefroykin
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