La Colonne de Judith Bat-Or. Journal d’une Invisible -42- “Et la vie continue. The show must go on…”

Judith Bat-Or

Quelle serait l’alternative? Comme avant l’État d’Israël ? Jamais tranquilles. Jamais chez soi. Jamais en sécurité?

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Et la vie continue. The show must go on…

Moins d’une semaine après, ma salle de sport a rouvert. Après ? Après le pogrom du 7 octobre dans le Néguev. Dès que je l’ai appris, j’ai préparé mon sac de gym et suis partie m’entraîner. Si si, c’est vrai. Comme chaque jour d’avant, j’ai sué en marchant sur mon tapis de course. Les écouteurs enfoncés jusqu’à la garde dans les oreilles. On s’accroche à ce qu’on peut.

On s’accroche à ce qu’on peut. Moi, c’est à l’actualité. Quand je n’écoute pas la radio, je lis les titres des journaux. D’abord les bilans. En hommage.

Ce matin, “Tsahal a autorisé la publication des noms de 7 morts supplémentaires”, soldats tombés au combat ou civils massacrés, pour la plupart à peine sortis de l’adolescence.

Par respect, je lis chaque nom et les âges, 18, 19, 20, 21, 22 … ans. Je suis anesthésiée. Mon esprit, mon corps engourdis. Des enfants. Nos enfants. Et leur nombre maudit qui n’en finit pas d’augmenter ! On retrouve encore des victimes dans les allées des Kibboutz attaqués par les terroristes, dans les abris incendiés, et autour de Reyim où se déroulait alors la Rave Party pour la paix – le cynisme du destin ! Beaucoup d’entre eux ont été tellement abîmés par des bourreaux enragés que les services spécialisés peinent à les identifier. Les familles des disparus, ceux dont le téléphone s’est tu d’un coup samedi dernier après de derniers mots tendres ou des cris de terreur, ne savent plus quoi souhaiter ? Préfèreraient-ils savoir leurs parents, leurs enfants, leur époux ou leur fiancé, leurs amis, leurs frères ou leurs sœurs, dans des housses mortuaires, ou entre les mains du Hamas, maltraités, effrayés, livrés aux tortures, aux viols ? Ce qu’ils préféreraient ? Les savoir sains et saufs, heureux, riant, dansant, comme dans leurs souvenirs. Revenir en arrière. Retourner à avant. Leurs voix s’étranglent lorsqu’ils témoignent, égarés entre désespoir et incrédulité.

Pendant ce temps, de conférences de presse en plateaux de télévision, les politiques de tous bords et l’état-major de l’armée nous assurent de la victoire. On veut les croire. Quelle serait l’alternative ? Admettre que jamais nous ne connaîtrons la paix ? Que notre pays risque d’être rayé de la carte ? Accepter la perspective d’un nouveau départ vers l’exil ? Chassés aujourd’hui d’ici, pour l’être demain de là ? Comme avant l’État d’Israël ? Jamais tranquilles. Jamais chez soi. Jamais en sécurité.

Oui, la vie continue. 

Je me lève le matin, je fais mon lit, nourris mon chat, je me douche, je m’habille, je mange. Pas d’appétit, mais il faut bien, j’ai obéi aux consignes : les placards de ma cuisine débordent de provisions. Puis, je sors. Je rejoins la cellule de crise qui s’est organisée pour soutenir les soldats et les familles déplacées – garde d’enfants de réservistes ou de médecins mobilisés, habits, équipements, jouets, soutien psychologique.

Photos d’un centre de crise. Collecte d’habits et de jouets pour les familles déplacées. À Jérusalem.

Dans la rue, je croise des voisins, qui marchent avec leur chien. Eux aussi se sont levés, ont fait leur lit, mangé. Eux aussi iront travailler, rejoindre une cellule de crise, consoler des endeuillés… On dirait que rien n’a changé. Même décor. Mêmes acteurs. Mêmes gestes du quotidien.

En effet, la vie continue.

Pourtant, dans cette bulle hors du temps, mon cœur s’est arrêté.

© Judith Bat-Or

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