Jacques Neuburger. Réminiscence

C’était un joli mois d’octobre, ensoleillé, aux couleurs tendres, je venais de prendre livraison d’une jolie voiture d’occasion 240 000km au compteur, un peu comme moi donc…. Je fais un tour dans Paris, Montparnasse, les bords de Seine, la Montagne Sainte Geneviève, deux ou trois créneaux, je m’offre un café et un croissant sans quitter des yeux ma nouvelle conquête automobile, puis je songe à rentrer chez moi – soudain je me ravise: le temps est trop joli, je sors de Paris, je file.

Je file: me voici franchissant la Loire, je roule jusqu’à Bourges, je monte à la cathédrale, je reviens, je vadrouille par la campagne et les forêts comme un jeune homme, je me retrouve enfin face à un joli coteau doré de vignes, je vois un panneau: Sancerre, je grimpe, je me gare, j’avise une terrasse, me sentant presque vingt ans, je m’installe, toujours un oeil sur ma nouvelle conquête, et content de moi et de ma beauté à roues, je me commande à grignoter, tout guilleret, un petit sancerre rôti, chaud, vous savez ce délicieux petit fromage de chèvre, avec un verre d’un joli Sancerre bien frais car il commençait à faire soif et faim.

Mon enthousiasme fut soudain rabattu par la petite jeunesse qui, telle Hébé versant nectar et ambroisie, circulait entre les tables le flacon de Sancerre à la main et qui avisant mon verre vide et mon assiette bien nettoyée, m’adresse du haut de ses dix-huit ou vingt ans un cordial « alors, papy, il était bon le miam-miam ». Véridique. Ah, la rosse, voici qui vous ramène sec à votre propre kilométrage au compteur.

J’ai un peu ressenti comme une injustice ou comme un propos s’adressant à un autre que moi. Car en fait les êtres humains pour moi ont l’âge de leur intelligence, un enfant par son intelligence peut être à la fois très jeune et très mûr, les femmes pour moi ont l’âge du charme que je leur perçois et de leur intelligence si celle-ci m’enchante.

Car enfin, quand on est amoureux, l’autre à toujours je n’ose dire quinze ans, crainte que mon propos ne soit mal interprété, mais dix-neuf ans, vingt-deux ans, vingt-six ans, trente-deux, quarante-six, enfin un de ces jolis âges de la vie, un de ces âges où l’on aime tant, le coeur battant, bravant tous les ridicules, attendre une femme un minuscule bouquet de violette à la main, l’air bête comme un lycéen, partager un sourire, un rire, puis, plus tard s’en aller au cinoche voir un film main dans la main, sa tête peut-être sur notre épaule, sa main peut-être dans notre main.

Les jolis âges, d’ailleurs, ça ne s’arrête pas à cette liste: ce n’est pas seulement vingt-six ou vingt-deux ans. C’est aussi soixante, soixante-dix et bien au delà. Car la douceur d’une peau, car une intelligence qui charme, car un regard qui vous emporte l’âme tant qu’on ne peut de sa vie l’oublier, une voix qui vous trouble, un geste, un mouvement, une façon d’être qui enchantent, qui émeuvent, cela n’a pas d’âge, cela est de l’ordre du philtre de la fée, c’est magique.

© Jacques Neuburger

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