Bon
Dimanche
Des chiffres et des lettres
Je suis née Michèle Chabelski.
Ainsi déclarée dans les registres de l’état civil de la République française.
Puis mon nom fut un peu négligé au profit des ketseleh, maideleh, schepseleh murmurés d’une voix de miel par un papa qui leur donnait la tendresse d’un baiser …
Puis à l’école, on lâcha le Michèle devenu encombrant.
Chabelski! Au tableau !!
Certains profs élidaient un L gênant et m’appelaient Chabeski jusqu’en juin.
Trop peu de temps pour s’entraîner sans doute…
Et puis quelle idée d’avoir un nom pareil…
Les copines m’appelaient Michèle.
Quelques-unes, Mimi…
Les diminutifs sont le signe de l’amitié qu’on vous porte…
On n’appelle pas Jeannot, Pierrot, Lucette, quelqu’un qu’on déteste…
Eh ! Mimi!
T’es libre demain ?
Je voudrais qu’on déjeune ensemble…
A mi – voix:
J’ai un truc à te dire…
Le truc c’était Alain, Serge, Marco..
Mimi écoutait et s’extasiait…
Nan… il t’a appelée le lendemain ?
Puis vint l’heure des “mon amour”, “mon bébé”, “ma chérie”, qui signaient l’entrée dans le monde de la romance …
Mon amour…
J’ai une surprise…
Deux billets pour Venise…
Qui alternait parfois avec des :
T’es conne ou quoi?
T’écoute quand je te parle?
Qui indiquait le chemin de la sortie…
Puis vint le “ma femme”, “mon amour”…
Michèle devint Madame Cohen
“Je vais demander à ma femme”
“J’espère que ma femme sera libre mercredi…”
“Mon épouse et moi même…”
“Monsieur et Madame Cohen seraient heureux de…”
Après beaucoup d’attente, dans les larmes de bonheur jaillit enfin le tant espéré “Maman” qui me donna l’impression que le monde se couvrait d’orchidées…
Un second “Maman” paracheva ce rêve enfin réalisé…
“Maman” !!
Le plus beau mot du monde…
Mais un jour “ma chère épouse” devint un : “cette femme !!!” qui fit sécher les orchidées sous le tampon sec de la juge qui signa la scission conjugale.
Des “Mimi”, des “Bichette”, des “Cocotte” firent danser des rondes endiablées à l’univers des copines et des fous rires…
Quelques “Chérie” fleurirent sur le sentier d’un célibat joyeux…
“Dis-moi chérie…”
“On pourrait vivre ensemble…”
Ben non…
On ne pourrait pas…
Puis il fallut s’identifier…
Le monde changeait…
“Vous n’avez pas votre carte?
Votre mail?”
Je devins “Michèle arobase”.
C’était une évolution qui marcha à l’amble avec l’arrivée des “Mamie” doux et sucrés comme des
carambars qui collaient le coeur et les joues…
“Ma Mamie d’amour…”
Une pluie de fleurs sur un coeur qui ne vieillissait pas…
Et enfin, le simple, l’épuré, le primitif, l’élémentaire :
“Vous n’avez pas votre carte?”
“Téléphone?”
“06 73…”
Ça y est …
Michèle s’est perdue dans la déchetterie du monde moderne.
Elle est identifiée par un moyen rationnel qui n’oblige pas l’interlocuteur à faire répéter, à demander : “un r? deux n? Un v ou un w? Un i ou un y?”
O6…
C’est un gain de temps, une rationalisation du dialogue, une identification sans méprise, car le brassage ethnique actuel a dessiné une carte d’état civil où les consonnes et les voyelles cohabitent dans un ordre parfois imprévisible et déconcertant…
Déjà Michèle Chabelski…
Alors pour faire simple et rapide, nous voilà tous des 06 quelque chose…
Effrayant…
Et maintenant je suis un QR Code…
Que cette journée signe les “chéri, amour, sweetheart, ketzele, maman, papa, mamie, papy”, qui sont les fleurs que l’amour fait pousser pour éclairer ce monde numérique anxiogène…
Je vous embrasse
© Michèle Chabelski
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