Les juges des référés du Conseil d’État ont confirmé ce jeudi 7 septembre l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école après qu’une association a saisi l’institution pour demander la suspension de la mesure. Une décision salutaire, souligne Nathalie Wolff, maître de conférences en droit public et vice-doyen en charge de la culture à l’Université Paris-Saclay et autrice notamment de Des hommes, des femmes, nos libertés, coécrit avec Laura El Makki et paru chez Dalloz.
Les juges des référés du Conseil d’État, en formation collégiale, ont donc solennellement rejeté jeudi 7 septembre la demande de suspension de l’interdiction de l’abaya et du qamis à l’école. « Le port de ce type de vêtements, qui ne peuvent être regardés comme discrets, constituent une manifestation ostensible de l’appartenance religieuse des élèves », tranche le juge en se fondant de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation issu de la loi de 2004 qui proscrit ces comportements. Dans un contexte de forte augmentation des atteintes à la laïcité dans les établissements d’enseignement public, la Haute juridiction a mis en évidence l’intention de celui qui porte le vêtement : le port de l’abaya et du qamis est à relier à des « discours mettant en avant des motifs liés à la pratique religieuse, et inspiré d’argumentaires diffusés sur les réseaux sociaux ».
Une décision claire et logique. Les juges confirment ici sans surprise qu’un vêtement peut bien être un étendard. Ne suppose-t-on pas qu’un supporteur de foot portant le maillot de l’OM soutienne Marseille, plutôt que Paris ou Lille? En d’autres termes, prétendre en l’espèce que ces vêtements sont dénués de toute visée religieuse confinerait à l’aveuglement sinon à la mauvaise foi.
Les opposants à l’interdiction ministérielle ont invoqué l’atteinte à la liberté religieuse et au principe de non-discrimination. En réalité, l’ordonnance du Conseil d’État n’est que la réaffirmation de règles consacrées à une époque bien antérieure à la présence des musulmans en France et ne sont en rien dirigées contre l’islam en particulier.
CEUX QUI VOULURENT RENVOYER « L’ÉGLISE CHEZ ELLE »
Depuis 1882, le concept de laïcité est devenu une notion juridique opérante à l’école, cet espace privilégié où l’esprit s’éveille et la liberté se constitue. Jules Ferry, alors ministre de l’Instruction et des Beaux-Arts, crée une école obligatoire, gratuite, égalitaire et laïque. Ferry est lui-même le maître d’œuvre d’une instruction pensée un siècle plus tôt par Condorcet qui a lutté contre la peine de mort, créé la première Société des amis des Noirs, pris courageusement la parole pour le droit de vote des femmes. Condorcet, ce grand visionnaire, nous a légué un système d’enseignement où tous les savoirs doivent pouvoir être discutés, avec des classes mixtes où les garçons, comme les filles, reçoivent une éducation laïque.
Non que le philosophe des Lumières, élevé par les Jésuites, se méfiait de la religion, mais il combattait ses excès, notamment le fanatisme pouvant conduire aux pires dévoiements du sentiment religieux. Rappelons également à tous que Victor Hugo (récemment associé de façon délirante et obscène au rappeur Médine), bien que croyant, était un farouche défenseur de la séparation des pouvoirs qu’il résuma dans sa célèbre formule prononcée contre le projet de loi Falloux : « L’Église chez elle, l’État chez lui ».
COUPABLE CÉCITÉ
Grâce à ces vrais progressistes, le législateur a ensuite interdit en 1884 les prières lors de la rentrée parlementaire, adopté la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, avant que la laïcité ne soit élevée au rang constitutionnel sous la Vème République. La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école, comme la note du ministre sur l’abaya aujourd’hui, s’inscrivent dans ce droit fil. Faire exception, pour les musulmans, de l’application de toutes ces règles admises de tous au prix d’une histoire tumultueuse et de longs combats, serait discriminatoire. Une forme de condescendance postcoloniale suggérant que les musulmans ne pourraient être qu’intégristes. Et quid des femmes musulmanes ? Ne peuvent-elles pas, à l’instar des Afghanes dont le taux de suicide est le plus élevé au monde, ou des Iraniennes qui meurent d’ôter leur voile, être elles aussi avides de liberté ?
Quant à ceux qui feignent de croire que l’on met en place une police du vêtement, ils éludent que le port de l’abaya ne se réduit pas à la question de la « liberté de s’habiller comme on veut ». Celui-ci s’inscrit au sein de revendications bien plus larges liées au refus d’aborder certains sujets en classe, de participer à des cours ou d’être interrogé par un professeur d’un autre sexe. La laïcité est le gage du bon fonctionnement du service public, et non d’une école à la carte où chacun revendiquerait ses préférences. À des parents qui refusaient que leurs filles suivent des cours de natation à l’école jugés attentatoires à leur liberté religieuse, la Cour européenne des droits de l’homme a répondu, dans un arrêt de 2017, que « l’intérêt des enfants à une scolarisation complète permettant une intégration réussie selon les mœurs et coutumes locales prime sur le souhait des parents de voir leurs filles exemptées des cours de natations mixtes » ajoutant que « l’importance de l’enseignement du sport à l’école réside aussi dans la pratique d’une activité en commun avec tous les autres élèves, indépendamment de la religion et du sexe ».
« LA LAÏCITÉ N’EST PAS UN PRINCIPE À PART »
Certains de nos concitoyens voudraient, souvent de bonne foi, troquer notre modèle laïc contre une conception à l’anglo-saxonne, plus tolérante. Mirabeau se méfiait, lui, de cette dite tolérance, la jugeant parfois pernicieuse dans la mesure où celui qui tolère se place toujours en position dominante. « Mais, messieurs, ce n’est pas la tolérance que je réclame ; c’est la liberté », ajoutait le pasteur Rabaut Saint-Étienne, député du Tiers-État, lors des débats sur la liberté religieuse en 1789. Aux États-Unis où le président jure sur la Bible au moment de son investiture, le modèle choisi est certes plus souple sur l’expression des cultes. Mais il a aussi l’inconvénient de favoriser une vision faite de communautarismes juxtaposés et de grandes inégalités. Près de la moitié des états fédérés interdisent ou limitent aujourd’hui l’avortement pour des considérations religieuses. Au nom de cette même morale et du retour du puritanisme, on censure les livres. Gagnerait-on vraiment à changer de philosophie politique ?
© Nathalie Wolf
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