Tribune Juive

Opinion. Pierre Boccara. « Quelle démocratie avec des juges über alles »

La Knesset. © Shutterstock

La limitation de durée du mandat du Chef de l’exécutif

La limitation de durée du mandat du Chef de l’exécutif n’existe pas dans un régime parlementaire où le chef de l’exécutif est désigné par la majorité au Parlement et peut donc être déposé et remplacé par celui-ci soit sans élection (voir Margaret Thatcher en Grande Bretagne), soit avec élection (Israël).

La limitation du mandat de l’exécutif n’existe que dans les régimes présidentiels, France (et c’est une création très récente) et USA par exemple.

Elle n’est en aucune façon une garantie de démocratie comme l’ont démontré la Russie (Poutine, Medvedev) et la Turquie (Erdogan, Abdullah Gül).

Il n’y a aucune limite au mandat d’un premier ministre au Royaume Uni, en Nouvelle Zélande et encore mieux en Allemagne (voir Angela Merkel qui est restée 16 ans au pouvoir sans discontinuer ! Netanyahou est un rigolo à côté d’elle. Merkel était-elle un dictateur fasciste ?) et pratiquement partout en Europe où ailleurs où existe un régime parlementaire. Cette exigence est donc parfaitement non pertinente et doit être rejetée.

L’exigence d’une Constitution ne résoudrait pas le problème israélien

Ni le Royaume Uni ni la Nouvelle Zélande ne possèdent de Constitution. Qui oserait dire que ce ne sont pas des démocraties ? Des imbéciles ignorants.

D’autre part le nombre de pays non démocratiques, voire carrément des dictatures sanglantes pourvues de Constitution, est infini, les plus emblématiques aujourd’hui sont la Russie et l’Iran, mais aussi quasiment tous les pays d’Afrique, d’Amérique du Sud et centrale et d’Asie.

Bref l’exigence d’une Constitution n’est absolument pas pertinente, et ne résoudrait en aucune façon le problème israélien.

Le contrôle constitutionnel des lois

Concernant le contrôle constitutionnel des lois, il pose un sacré problème de principe. À quoi servent le Parlement et le suffrage universel si un comité très restreint de personnes non élues indéboulonnables, sans le moindre contrepouvoir, peut annuler une loi ?

Or plusieurs exemples montrent le caractère très dangereux de ce type de Cour suprême :

aux USA les jurisprudences changent au gré de la composition de la Cour dont les membres sont nommés à vie (!) et notoirement marqués politiquement. J’étudiais déjà au lycée en classe de première les difficultés rencontrées par le président Roosevelt pour mettre en place son new deal. Il a fallu attendre la mort de certains membres de cette Cour suprême pour permettre des législations salvatrices. Jusqu’à récemment les Républicains râlaient contre l’activisme de gauche de la Cour (Juge Ruth Ginsberg), tandis que la gauche la portait aux nues. Et maintenant qu’elle penche à droite, les démocrates  sont furieux et il a même été question d’augmenter le nombre des juges pour y faire revenir une majorité activiste (Kamala Harris).

Bref cette Cour suprême américaine n’est pas vraiment un bon exemple à suivre.

En France la dérive est patente comme l’analyse  magistralement l’ancien secrétaire du Conseil constitutionnel Jean-Eric Schoettl (de 1997 à 2007) dans son livre « La démocratie au péril des prétoires »: « Le Conseil constitutionnel se donne le droit non seulement d’annuler les nouvelles lois mais aussi d’annuler d’anciens textes de lois pour lesquels on ne lui a rien demandé, (contrôle rétroactif des lois) et a fait rentrer le préambule de la Constitution puis la Devise de la Nation dans le bloc de constitutionnalité avec des possibilités infinies d’interprétation ». (Fraternité)

Laurent Fabius a même déclaré qu’il se donnerait le droit d’annuler le résultat d’un référendum. Des fous!

Bref la dérive du Conseil constitutionnel français est très inquiétante et il ne saurait être un exemple.

À l’opposé nous trouvons à nouveau la Nouvelle Zélande où il n’existe strictement aucun contrôle de constitutionnalité des lois. Rien. Le Parlement élu au suffrage universel selon le système de la représentation proportionnelle mixte  est totalement souverain. Il vote, modifie ou annule les lois et aucune Cour suprême ne vient interférer. Qui oserait dire que la Nouvelle Zélande est une dictature et que Madame Jacinta Adern, icône de la gauche mondiale progressiste,  était un dictateur ?

Au Royaume-Uni c’est pareil, et ce malgré cette Cour suprême créée en 2005 et mise en place en 2009 sous la pression de l’Union européenne à l’époque des premiers ministres européophiles.

Mais cette Cour n’a jamais franchi le pas de censurer une loi votée par la Chambre des Communes qui demeure envers et contre tout le siège de la souveraineté populaire de la nation.

Elle est devenue un organe consultatif mais c’est la Chambre des Communes qui aura toujours le dernier mot.

Le Royaume-Uni est-il une dictature fasciste ?

L’absence de Sénat est lui aussi totalement non pertinent

En France le Sénat, mises à part ses prérogatives en cas de révisions constitutionnelles et en cas de vacances (décès ou démission) du Président de la République, n’a qu’un pouvoir consultatif. En matière législative, c’est l’Assemblée nationale qui aura toujours le dernier mot. Toujours. Et c’est peu de dire que beaucoup s’interrogent sur l’utilité du Sénat français, surtout compte tenu du mode d’élection des Sénateurs.

Je ne parlerai pas du Sénat américain qui, curiosité originale, se renouvelle par tiers avec une représentativité surprenante (heureusement qu’il y a les Représentants).

La Chambre des Lords

Revenons au Royaume-Uni où il existe une Chambre des Lords.

Son rôle en matière de création législative est nul. Il fonctionne comme Cour suprême en matière judiciaire comme la Cour de cassation et il y a quelques curiosités comme les Lords de l’église d’Angleterre. En fait et en droit, c’est la Chambre des communes qui détient le pouvoir.

On ne peut pas parler ici de parlement bicaméral.

Et bien sûr la Nouvelle Zélande : là-bas il n’y a pas de Deuxième Chambre. Le Parlement est strictement monocaméral. Une seule Chambre dans le Parlement néo-zélandais. Pas de Sénat, pas de Chambre des Lords. Rien.

Et il n’est aucunement question d’en créer une deuxième. Gauche et droites confondues.

En Russie, le Parlement est bicaméral (Chambre Basse Douma et Chambre Haute Conseil de la Fédération )

En Iran, il y a deux Institutions aptes à créer des lois: le Majlis et le Conseil de discernement de l’intérêt supérieur du régime.

Sont-ce des Démocraties ?

Des exemples de ce type, il y en a des wagons.

Bref l’existence d’un Parlement bicaméral n’est aucunement un gage de démocratie. Zéro.

Cette exigence n’a aucune pertinence.

L’absence de Conseil d’État et de Cour de Cassation

Restent l’absence de Conseil d’État et de Cour de Cassation.

Rappelons que là aussi, en France, existe une dérive de ces deux Institutions en partie sous la pression du droit supranational.

Les lois françaises sont de niveau inférieur aux traités internationaux. Tout le contraire de ce qui se passe au Royaume-Uni où là encore c’est la Chambre des Communes qui en décide.

Le Conseil d’État français est notoirement politisé. Son utilisation exhaustive du « contrôle de proportionnalité » (tout comme le fait le Conseil constitutionnel d’ailleurs) et des Référés administratifs comme le référé-liberté avec le concept d’ « atteintes graves et manifestement illégales à une liberté fondamentale », tous deux dépendant d’une appréciation totalement subjective de la part des juges administratifs,  font que ses arrêts sont imprévisibles, et ses jurisprudences souvent contradictoires (tout comme le Conseil constitutionnel  et la Cour de Cassation – voir L’Affaire Sarah Halimi et le caractère aggravant ou au contraire allégeant la responsabilité en cas de prise de cannabis).

Mais même si nous considérons que ces deux Institutions sont indispensables, la situation de la Cour suprême israélienne n’en est que plus monstrueuse puisqu’elle cumule les pouvoirs du Conseil d’état , de la Cour de cassation et du Conseil constitutionnel.

Tout ça dans les mains de 15 personnes quasiment cooptées entre elles, auto-nommées jusqu’à leur retraite, c’est-à-dire parfois pendant plus de 20 ans. Une fois de plus en termes de longévité de fonction, Bibi est un rigolo à côté de ces gens.

Le problème du système électoral israélien est réel

C’est très simple: avoir une majorité pour un seul Parti est très difficile et en fait impossible.

Les coalitions sont obligatoires.

Il faut là aussi une réforme.

Mais laquelle ?

En France, le système électoral donne presque toujours une majorité qui se dégage des urnes (mais pas toujours) mais la représentativité du Parlement est très médiocre. Des millions d’électeurs sont soit non-représentés, soit sous-représentés.

Ça n’est pas satisfaisant.

En Israël, si vous visitez la Knesset, la dame qui vous guidera vous expliquera que le système est fait pour que tout le monde soit représenté au Parlement et que les systèmes comme celui de la France ne sont pas représentatifs et donc pas vraiment démocratiques. Évidemment c’est vrai.

Notons que ces nécessités de coalition ne sont pas l’apanage d’Israël : c’est le cas partout, en particulier en Europe et c’est souvent fichtrement difficile: Suède, Allemagne, Italie, Espagne, Pays Bas, etc… etc… et aussi la Hongrie, la soi-disant démocrature.

Mais concernant le problème de la Cour Suprême, le mode de scrutin quel qu’il soit n’a pas d’influence.

Si nous avions eu un système à la française, Bibi aurait eu une majorité beaucoup plus large au Parlement et l’opposition aurait eu beau jeu de lui dire qu’une grande partie de son opposition a été éliminée par le système.

Scrutin proportionnel ou scrutin majoritaire pour le problème de la Cour Suprême : pas de différence. C’est kif kif.

La Cour Suprême israélienne

Une chose ne doit pas être oubliée :

La Cour Suprême israélienne est constituée de manière opaque, selon un système de cooptation de fait, sans élection, sans contrôle du public ou du Parlement, par des personnes nommées parfois pendant plusieurs décennies totalement irresponsables en fait et en droit, elle s’est octroyé des droits à elle-même indépendamment de toute disposition législative, droits  fondés sur sa propre jurisprudence et menaçant d’aller jusqu’à annuler une loi fondamentale en contradiction absolue avec sa propre jurisprudence. C’est une monstruosité juridique à tous égards.

Il n’y a absolument aucun contrepouvoir contre cette section judiciaire spéciale.

En face, (car c’est le terme qui malheureusement s’impose) de ce bloc inexpugnable , disposant d’un pouvoir dont il est impossible de déterminer les limites si tant est qu’il y en ait, se trouve un Parlement et un Gouvernement évoluant sous la menace permanente d’une rupture de coalition conduisant à de nouvelles élections dont on sait qu’elles conduiront à une absence de majorité avec de nouvelles négociations pour obtenir une coalition valable. Le Parlement est élu pour 4 ans et l’histoire a montré qu’une législature dure presque toujours moins de 4 ans.

C’est un contrepouvoir surpuissant à l’encontre de tout Gouvernement et de tout premier ministre israéliens.

Mais contre la Cour Suprême, il n’y a strictement aucun contre-pouvoir. Aucun.

© Pierre Boccara

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