Jacques Tarnero. « Une voix politique juive française », de Henri Hajdenberg, chez Hermann Éditions

C’est un passionnant récit de l’histoire contemporaine que Henri Hajdenberg propose à travers cette « Voix politique juive française ». Voilà l’histoire racontée non seulement par un témoin privilégié mais surtout par un acteur. L’histoire a ses coulisses et c’est depuis les coulisses juives de l’histoire que Henri Hajdenberg déroule cet autre récit de ce qui s’est passé en France mais aussi en Israël et au Proche Orient.

Peut -on dire que Hajdenberg a été aussi un acteur, qu’il a pesé sur le cours de cette histoire ? Ce récit présente un homme dont la colonne vertébrale est d’être resté toute sa vie un militant juif. Il possède un héritage lourd à porter, celui des blessures héritées du passé familial.

Les cicatrices sont encore vives mais ce n’est pas le ressentiment qui les maintient, mais plutôt une volonté existentielle de rendre justice, de dire ce qui n’a pas encore été dit, de combattre et de relever la tête.

Dans « L’atelier », la pièce de théâtre présentée en 1979, Jean-Claude Grumberg mettait en scène le silence de Juifs après-guerre. La génération qui avait subi la déportation et la collaboration de Vichy était restée discrète sur ce qu’elle avait eu à vivre. Hajdenberg est né après-guerre. Il appartient à la génération d’après, celle qui interroge la mythologie gaullienne d’une France unanimement résistante et qui grandit en étant le témoin des exploits d’un jeune État porteur d’un renouveau juif dans le monde. C’est dans cette double construction que Henri Hajdenberg va puiser son énergie. Il en a à revendre. De la Fac de droit à Assas où de jeunes fascistes vantent les mérites de Vichy et affichent leur haine des Juifs aux gauchistes de l’après 68 qui projettent sur la cause palestinienne la charge de la guerre d’Algérie, les raisons de se battre ne manquent pas. 

Henri a l’âme militante. Avec son frère Serge et ses sœurs il crée le Renouveau juif, un groupe militant juif constitué à partir des jeunes membres de la LICRA. Après les mots de De Gaulle en novembre 1967 sur le « peuple sûr de lui-même et dominateur », les juifs français sentent que désormais c’est le temps du soupçon qui prévaut à leur égard. La « politique arabe de la France » voulue par De Gaulle et poursuivie par ses successeurs Pompidou et Giscard d’Estaing affiche ses préférences. Au sein de la communauté juive une fracture se creuse entre son establishment traditionnel respectueux du pouvoir en place et la nouvelle génération juive. Henri Hajdenberg sera un de ses animateurs les plus toniques. Il va imposer, d’abord contre les institutions puis en complicité, une voix politique juive pour affirmer un soutien sans équivoque à Israël et dénoncer le retour d’un antisémitisme issu d’une droite qui se prétend nouvelle.

Cette voix politique juive, nouvelle dans le paysage médiatique, va peser sur le déroulé de l’histoire immédiate. Elle va mettre à jour ce fil invisible dans l’histoire européenne d’après-guerre qui offre un autre prisme de lecture. L’effacement par la shoah du judaïsme européen ou plutôt la destruction des Juifs d’Europe met les Juifs en filigrane de l’histoire. C’est leur absence qui donne au « signe juif » toute sa force et la position centrale qu’il occupe dans les consciences. Ce signe juif va devenir un acteur subliminal de tous les débats en France. Il faudra attendre la sortie en 1985 de « Shoah », le film de Claude Lanzmann, puis la déclaration de Jacques Chirac en 1995 sur la responsabilité de la France dans la déportation  des Juifs de France pour qu’enfin une parole vraie soit prononcée. Tous les actes de repentance de l’église de France, toute l’exceptionnelle relation nouée avec Mgr Lustiger dans les rapports judéo-chrétiens s’inscrit dans ces premiers gestes. Henri Hajdenberg y est pour quelque chose.

Depuis la Jordanie Giscard regardait Israël à la jumelle. Cette attitude emblématique d’un homme intelligent mais qui n’a rien compris ni à Israël ni à la charge symbolique de sa posture va lui coûter le prix de sa défaite en 1981. Là aussi, le Renouveau juif sera un acteur efficace. Henri Hajdenberg – et il n’est pas le seul-, va savourer le temps des illusions. Celui des illusions de la Paix d’Oslo, brisées net d’abord par l’assassinat d’Itzhak Rabin par un juif fanatique puis par la duplicité d’Arafat. 

Ainsi va l’histoire, cruelle et tourmentée et c’est le grand mérite de ce livre d’en faire le récit depuis son backstage. C’est l’extraordinaire récit d’une volonté en action. Loin de tout narcissisme et avec, au contraire, une grande pudeur d’écriture, le livre d’Hajdenberg donne à penser et insuffle de l’énergie. Lisez-le, on en a besoin dans ces temps incertains.

© Jacques Tarnero

Jacques Tarnero est essayiste et auteur des documentaires « Autopsie d’un mensonge : le négationnisme » (2001) et « Décryptage » (2003). 

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