« Josiane Sberro, un exemple pour jours difficiles », par Richard Prasquier

Les Yamim Noraïm, ces « jours redoutables » entre Rosh Hachana et Kippour, sont des moments de retour sur nos carences. Une  triste  constatation s’impose : l’animosité  entre Juifs, je me refuse à utiliser le mot haine, a cette année  atteint des sommets . Plutôt que d’épiloguer encore sur cette débâcle, je voudrais aujourd’hui honorer un de ces acteurs -une de ces actrices- d’un judaisme inclusif, exigeant mais ouvert, porté par l’amour pour Israël et celui de la culture française, rejetant le fantasme du métissage généralisé comme celui de l’exclusivisme arrogant. Ils sont  plus nombreux qu’on le pense, mais ils ne cherchent jamais à se faire valoir.

Josiane Sberro est infatigable. Philosophe de formation, chef d’établissement en milieu spécialisé, elle a passé jusqu’à sa retraite, dans les années 2000,  30 ans à inculquer  avec acharnement et dans la dignité connaissances et sens des responsabilités à des enfants dits défavorisés. Des enfants qui étaient élevés dans ces banlieues créées à la hâte avec une nonchalance politique, sociologique, architecturale et éducative dont la France ne finit pas de payer les conséquences cinquante ans plus tard.

Josiane est active dans le dialogue entre musulmans et Juifs et entre juifs et chrétiens, mais elle l’est particulièrement dans la dénonciation de l’antisémitisme sous ces formes qu’on ne finit pas de dire « nouvelles » et dont la haine d’Israël est le pivot.  

 Elle parcourt la France avec son exposition pour faire connaitre le monde juif et elle a forgé  dans le Val d’Oise, avec son mari Raoul aujourd’hui décédé, une communauté juive traditionnelle dans ses pratiques religieuses. Aujourd’hui encore, elle est au premier rang de la défense d’Israël.

Une hyperactivité stupéfiante pour quelqu’un qui a l’âge de ne pas avoir  oublié l’image terrifiante du soldat allemand de l’Afrika Korps de Rommel pointant sa mitraillette  contre sa mère en 1942, dans la petite ville de Gabès où elle est née, aux confins du Sahara tunisien. Une activité d’où s’exprime rarement la colère, et jamais l’imprécation. 

« L’école de l’Exil », son livre de souvenirs publié par Balland  alors qu’elle ne le destinait qu’à un usage familial, porte un beau titre  pour un beau livre. Le parcours de Josiane est unique: à seize ans, elle fuit l’école, quitte une famille aimée et le confort d’une vie privilégiée pour les rigueurs d’un camp de pionniers agricoles de l’ Hashomer Hatsair en France puis un kibboutz israélien où toute communication directe avec sa famille tunisienne est impossible.

Puis reprise des études, retour clandestin en Tunisie à la mort du père, mariage et début de son travail d’éducatrice dans une communauté juive en pleine crise.

Départ en catastrophe pour la France, où le moins qu’on puisse dire est que, du fait de leur citoyenneté tunisienne et non française, elle et son mari, malgré leurs diplômes, ne sont pas bien reçus, jusqu’à leur naturalisation assez tardive qui permettra d’intégrer l’éducation nationale et d’assister aux premières loges au désastre éducatif.

Faisant la synthèse entre les traditions religieuses provenant d’un grand-père rabbin hautement respecté, l’engouement de jeunesse pour un collectivisme toujours sioniste, son expérience de travailleuse agricole, sa formation philosophique à l’université et son métier d’enseignante à des enfants en difficulté, Josiane Sberro a su rester fidèle à tous ses engagements.

***

Ce livre a suscité en moi quelques surprises et bien des réflexions, dont voici très brièvement quelques unes

La Tunisie d’abord. Je pensais  le gouvernement de Bourguiba des années suivant l’indépendance plutôt ouvert, soucieux de la promotion des femmes et du respect des minorités. La description très précise que fait Josiane Sberro des spoliations  de sa famille, organisées et cyniques (« Mets ta traite dans un verre d’eau et bois-la, ça te fortifiera « ) fait réfléchir sur la façon insidieuse dont les Juifs ont été dépossédés et amenés au départ. Elle replace malheureusement  dans un autre contexte historique les déclarations ouvertement antisémites du Président tunisien actuel à propos de cette tempête « Daniel » qui a frappé les « frères Libyens » et à qui les « sionistes », entendez les Juifs, ont donné le nom d’un de leurs prophètes, entendez qu’ils en sont les véritables responsables.  L’opposition à l’islamisme s’accommode fort bien des imprécations contre les Juifs. Il suffit de se référer aux nationalisme arabe depuis Nasser jusqu’au Baath syro-irakien.

Israël, bien sûr, dont Josiane Sberro fait revivre avec justesse le monde difficile et enthousiaste des années 50, celui du kibboutz et des maabarot.

La France, où j’ai découvert avec surprise que le camp d’Arenas, à Marseille, où étaient cantonnés les Juifs d’Afrique du Nord qui voulaient partir en Israël, n’avait probablement pas progressé en matière de sordide et d’indifférence administrative par rapport aux camps d’internement français pendant la guerre. 

Et puis cet autre pays, cher à Josiane, la Grèce, où sa famille a passé bien des vacances dans un coin perdu de Macédoine. Une figure unanimement admirée y était Mikis Theodorakis, grand poète national. Cet homme, qui avait, disait-il, sauvé des Juifs pendant la guerre, et dont un poème célèbre portait le titre de Mathausen, est  brusquement devenu  un antisémite fier de son antisémitisme, allant ainsi jusqu’au bout d’une trajectoire que d’autres continuent d’emprunter aujourd’hui…

Un livre qui fait réfléchir, témoin d’une vie admirable.

Bonnes fêtes 

© Richard Prasquier

https://world.hey.com/richard.prasquier

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