Yigal Bin-Nun. « Dieu existe. Il n’y a donc aucune raison de lutter contre lui »

On a l’habitude de dire qu’un athée est quelqu’un qui a renoncé à croire en Dieu. Le préfixe « a » indique une action de suppression. Un athée est quelqu’un qui s’est libéré d’un attachement personnel à Dieu et à la théologie. Il est clair qu’on ne peut supprimer que ce qui existe. L’athée réfute l’affirmation selon laquelle Dieu a créé le monde. Il préfère dire que c’est plutôt l’homme qui a créé Dieu. On ne peut nier le fait que tout au long de l’histoire de l’humanité, l’homme a eu besoin de culte et de divinité. Autrefois, c’était par crainte de la mort et de l’inconnu. L’homme moderne a besoin de Dieu par rejet du chaos et du manque de cohérence dans la nature, mais aussi à cause d’une certaine fascination pour le mystère, le miraculeux, le métaphysique, et tout ce qui est au-delà de notre compréhension. Même le chercheur rationnel est préoccupé par l’origine de l’univers : comment tout cela a commencé ? Il conçoit facilement l’infini, mais a du mal à accepter l’absence d’un commencement. Est-ce grâce à cela que la théorie du Big Bang est née ?

Un événement révolutionnaire produit sur Terre entre 14 000 et 8 000 ans avant notre ère pourrait prouver le besoin naturel de l’humanité pour le culte et peut être même pour une divinité. Je fais référence au site archéologique de Göbekli Tepe, situé au sud de la Turquie, près de la frontière syrienne. Sur ce site et ses environs on a découvert la première occurrence cultuelle de l’histoire humaine. Il comprend environ 300 stèles sculptées de trois à cinq mètres de haut, disposées en une vingtaine de cercles. Le site a été construit des milliers d’années avant Stonehenge et avant les pyramides à une époque où les humains étaient encore chasseurs-cueilleurs. Ainsi, on peut conclure que le besoin de divinité a précédé la révolution agricole et la nécessité de l’homme de vivre sous un toit. De ce fait, la révolution cultuelle a précédé la révolution agricole et peut-être même la découverte du feu. Ce culte inclut-il la croyance en l’existence même d’une divinité ? Il est plausible de le supposer.

À partir du VIe siècle avant notre ère les philosophes pré-socratiques ont conçu une des révolutions intellectuelles les plus fondamentales de l’histoire, qui a profondément transformé la vision du monde. Jusqu’alors, toutes les civilisations, depuis des Sumériens jusqu’à l’empire Perse, étaient principalement focalisées sur leurs dieux et sur les héros de leur mythologie. La philosophie hellénistique a radicalement modifié cette perspective. Elle a considéré la divinité comme faisant partie intégrante de la nature et de ses éléments, adoptant ainsi une vision rationnelle de l’univers. Ces philosophes ont dépouillé les dieux de leurs attributs humains. Ils ont observé l’univers, ses constituants et sa structure pour enfin écarter la divinité de la sphère surnaturelle.

Dans le monde antique, le rapport à la divinité était différent de ce que nous appelons aujourd’hui religion. Le culte officiel ne préoccupait qu’une partie infime de la société. Dans le monde hellénistique-romain, le pouvoir n’utilisait le culte que pour affermir son pouvoir. L’objectif principal avait pour but de garantir une politique globale cohérente qui maintiendrait l’emprise du pouvoir politique sur les différentes régions de l’empire.

Le poète et philosophe grec Xénophane de Colophon (env. 475-570 av. J.-C.) est souvent considéré comme un précurseur du monothéisme. Il a critiqué l’idée selon laquelle Dieu aurait créé l’homme à son image, concept primordial dans le récit de la Genèse. Il a contesté la multiplicité des dieux et s’est opposé à l’anthropomorphisme qui abonde dans les récits mythiques d’Homère et d’Hésiode. A son avis, ces mythes n’ont doté les dieux de faiblesses ou de convoitises que pour justifier le comportement humain: « Si les vaches et les chevaux avaient des mains et pouvaient créer des œuvres d’art comme les humains, les vaches dessineraient des dieux comme des vaches, et les chevaux dessineraient des dieux comme des chevaux. Ils décriraient ainsi le corps des dieux exactement comme le leur « .

L’homme moderne aborde l’idée de la divinité différemment du monde polythéiste, monde  qu’il qualifie péjorativement de « païen ». Le monothéisme par contre a profondément endoctriné les religions historiques. Par contre, le polythéisme n’a donné naissance à aucune structure religieuse ni à des textes dogmatiques canonisés comme l’ont fait les religions monothéistes. Par conséquent, le polythéisme n’est nullement une religion au sens propre du terme.

Aux yeux des monothéistes, l’ère polythéiste n’était rien d’autre qu’une période d’obscurité pour les peuples primitifs qui n’avaient pas encore atteint la compréhension. L’apologie d’un Dieu unique servait de prétexte à la suprématie du colonialiste européen pour conquérir de nouveaux pays. On peut même se demander si la croyance en un seul Dieu, que chaque religion se revendique, est préférable à l’idée que chaque peuple aurait droit à son propre dieu. Ou encore, en quoi un dieu unique est préférable à un dieu avec sa parèdre Asherah ?

Les peuples monothéistes ont tué des millions de personnes pour imposer leur religion sur d’autres peuples, même si ceux-ci croyaient aussi en un seul Dieu. Au nom de la religion, de nombreux croyants ont trouvé la mort parce qu’ils n’étaient pas strictement conformes aux préceptes canonisés. Curieusement, ces religions ne sont pas fondées sur des croyances, des convictions ou sur des principes moraux, mais plutôt sur une obéissance totale à des dogmes. Le judaïsme rabbinique a même dépourvu la religion de la foi, et ne lui préfère que l’obéissance stricte aux commandements.

Les méfaits du monothéisme ne sont en fait que les méfaits de ses représentants. Ce sont eux qui ont créé Dieu à leur image et qui ont fait de la divinité un instrument au service de leurs intérêts. Dans ce but, ils ont inventé l’idée de la providence divine qui surveille l’individu et le contrôle. Curieusement, Dieu punit ceux qui enfreignent les lois rédigées par ceux-là même qui ont créé la divinité. Le problème réside donc non pas dans l’existence ou la non-existence de Dieu, mais dans les intentions que ses créateurs lui attribuent, principalement afin d’imposer des contraintes à ceux qui sont indifférents ou opposés à ces lois.

Il n’y a aucun mal à ce qu’une personne en détresse s’adresse à une entité virtuelle. Certains soutiennent même qu’ils observent les commandements non par conviction ou en raison d’une surveillance divine, mais par  volonté personnelle. Yeshayahou Leibowitz a choisi d’observer des commandements religieux bien qu’ils contredisent souvent ses principes moraux et son raisonnement scientifique. Ce comportement pour le moins irrationnel, ne provient à mon avis, que d’une faiblesse humaine.

Le judaïsme rabbinique a révolutionné le rapport à la divinité en plaçant le Juste au-dessus de Dieu. Il a établi une nouvelle hiérarchie selon laquelle « le Juste décide et le Saint Béni soit-il exécute » ; ou bien: « Le Saint Béni soit-il décide et le Juste annule. » En d’autres termes, la divinité n’est autre qu’un instrument entre les mains du sage du Talmud. Le récit talmudique audacieux connu comme  « le four d’Akhnaï » se termine par une proclamation solennelle de Dieu: « Mes enfants m’ont vaincu. » Ce qui veut dire en fait, les rabbins ne sont pas les serviteurs de Dieu, mais Dieu n’est que le serviteur des rabbins pour accomplir leurs volontés. Qui, alors, est le maitre de l’humanité ? Dieu ou ses représentants ?

L’athéisme et la laïcité sont des concepts provenant du champ sémantique de la religion. Ainsi, les déclarations telles que « Je ne crois pas en Dieu » ou « Dieu n’existe pas » appartiennent au domaine religieux. Pour le laïc, la question de l’existence ou de la non-existence de Dieu est une question cruciale. Il est persuadé que si l’on arrive à prouver la non-existence de Dieu cela ferait écrouler le monde religieux. En fait d’un point de vue purement philosophique Dieu existe. Il existe parce que c’est un des concepts abstrait qui préoccupe de tout temps et très intensément l’humanité. On ne peut douter de l’importance irréfutable de son existence. Dieu existe tout comme l’âme existe, que la conscience existe, que l’esprit existe, que l’amour, la jalousie ou la haine existent. Tous ces concepts abstraits sont difficiles à démontrer scientifiquement, mais s’efforce-t-on à prouver leur non-existence ? Par conséquent, les efforts effectués  pour prouver l’inexistence de Dieu sont tout à fait stériles et ne mènent nulle part.

Le clivage religieux-laïcs est loin d’être schématique. Les laïcs n’ignorent pas le poids du sentiment religieux. Malgré les déclarations haineuses de certains rabbins extrémistes du domaine politique il s’avère de plus en plus aujourd’hui que la masse des religieux éprouve une grande admiration aussi bien pour la science que pour l’attrait du monde laïc. Par contre, certains laïcs se sentent complexés face à « l’étagère de livres juifs ». Du point de vue historique la pensée, la science et la recherche n’ont fleuri que lorsque l’humanité s’est libérée de l’emprise de la religion.

La religion a eu un impact négatif sur le progrès humain. Il a fallu beaucoup d’efforts pour se libérer  des mythes et des croyances populaires. Les dommages que les religions ont causés à la société et à la morale nécessitent une réaction appropriée. Pour cela, il est indispensable  de procéder à une étude critique des religions. Leurs origines et leurs écrits canoniques méritent un examen scientifique impartial. Si les religions ont placé la divinité au centre du monde, aujourd’hui, l’humanisme moral place l’homme au centre de son existence. Il n’est donc pas nécessaire de lutter contre Dieu, mais contre ceux qui l’utilisent à des fins néfastes.

© Yigal Bin-Nun

Enseignant-chercheur à l’Université Paris VIII où son cours porte sur l’Histoire du Maroc indépendant, l’historien Israélien Yigal Bin-Nun s’est intéressé aux « Relations secrètes entre le Maroc et Israël de 1956 à1972 », Doctorat, 2005, et à l’historiographie des textes de la Bible et au culte des divinités aux royaumes d’Israël et de Juda, Doctorat, 2010.

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2 Comments

  1. Dieu existe? Peut-être.
    AUCUN scientifique ne prétendrait à la certitude du contraire.
    La génèse de l’univers est toujours un mystère; ignorant ce qui s’est passé « avant » (si le terme existe, sachant que le sens du « temps » nous dépasse et qu’en conséquence les notions « avant » et « après » sont une invention humaine).
    MAIS on n’a pas besoin de certitude dans ce domaine pour vivre car le problème est ailleurs.
    Dieu créateur de l’Univers existe peut-être; MAIS RIEN ne permet de prétendre qu’il (elle?) voudrait que nous évitions de manger du porc (et le reste…).
    Là, on est dans les inventions du clergé intéressé à la recherche du pouvoir politique.
    Escroquerie à rejeter par-dessus bord.

    • Il vous reste à prouver « l’escroquerie » !!!
      Facile d’accuser sans preuves et sans connaissance du sujet.
      La révélation divine au mont Sinaï avec tout un peuple présent, vous en avez entendu parler ?
      L’esprit critique développé dans le Talmud et très présent dans le peuple juif n’aurait pas permis à un ‘clergé’ d’imposer quoi que ce soit !
      Renseignez-vous et ensuite vous pourrez parler ou écrire votre ressenti !

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