Marcel Dalio, de son vrai nom Marcel Blauschild, fut un acteur emblématique de son époque. Né à Paris en 1899, il passa une partie de son enfance dans la rue des Rosiers. Dans sa biographie il décrit cette période de sa vie avec beaucoup de truculence. En voici quelques extraits :
« Isidore Blauschild, mon père, était venu d’Odessa après les pogroms. Il avait connu Sarah, ma mère, à Paris où elle était née ainsi que ses treize sœurs. Très vite, nous nous sommes installés rue des Rosiers chez le grand-père maternel, Simon Cerf, propriétaire d’une épicerie qui allait devenir le centre de mon univers. De quelles odeurs, de quels parfums se souvient-on lorsqu’on évoque les souvenirs de notre petite enfance ? La brioche, l’eau de Cologne, la réglisse, le chocolat chaud ? Moi, c’était le hareng. Il régnait en maître dans l’épicerie avec sa suite de gros cornichons, de bœuf séché, de carpe farcie et de pain azyme. Dans le fond, une pièce meublée de canapés en ruine et de fauteuils fatigués. Mes tantes—celles qui n’étaient pas mariées— dormaient là, installées comme elles le pouvaient sur ces lits de fortune.
A côté de l’épicerie, un bois et charbon, tenu par un Auvergnat, résistait au ghetto environnant. Le bistrot cachait des délices interdites ; en passant par la salle on empruntait un escalier qui menait à un petit bordel fréquenté par les pompiers de la rue de Turenne et les employés de l’Hôtel de Ville. Dans la journée, je me faufilais dans le pauvre logement où attendaient quatre filles qui ressemblaient à des garçons bouchers, et là une autre vie commençait. Je devenais le fils de ces dames, le petit qui remplaçait, l’espace d’un moment, l’enfant exilé à la campagne chez quelque nourrice. J’étais leur famille. Elles étaient la mienne. Les juifs du quartier ne venaient pas chez l’Auvergnat. Ils avaient leurs femmes, amenées d’Europe centrale ou de Russie, et d’autres soucis en tête. En priorité, celui de trouver du travail.
L’épicerie de mon grand-père était devenue une espèce d’ambassade, de refuge pour les malheureux qui arrivaient tous les jours, fuyant quelque persécution. Malgré l’affaire Dreyfus, encore fraîche, la France restait le pays du bon sens, de la raison, de la liberté. Tous les jours, ils débarquaient dans l’épicerie du grand-père Cerf pour y être pris en charge, selon un rituel bien établi. Ils couchaient par terre, avec pour oreiller une caisse de harengs (toujours eux); Quarante-huit heures plus tard ils se trouvaient pourvus d’un emploi. Il suffisait à mon grand-père de donner leurs noms à un employé des Galeries Lafayette ou du Printemps, chargé de recruter des tailleurs. Car ils étaient tous tailleurs ! Et tout de suite ils commençaient à s’entasser avec leur famille dans des masures du Marais ».
Merci à Michel Mandel
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