En Israël, la vie n’a jamais été mémère, mais l’année qui s’achève a atteint des sommets en termes de brutalité
Il y a les périodes « long fleuve tranquille ». Quand les conversations agonisent après les nouvelles des enfants, de la santé et de la météo. Pas de conflit à commenter, de débat à envenimer ou d’émotion à partager. On creuse, creuse et creuse encore le vide qui s’étend, qui s’étire, où rien n’accroche notre regard, rien n’arrête notre cœur, n’éveille notre attention. On s’abîme dans cet infini, éperdu, inquiet, assoiffé. Le désert. Propice à la méditation. Du moins, je l’imagine.
Et il y a les ères volcaniques, avec leur compte de destructions, leur parfum apocalyptique. Alors, les événements déboulent en avalanche. Pas le temps de creuser ce trop-plein au quotidien. L’angoisse existentielle remplace la réflexion. Et les passions se déchaînent en polémiques, conflits et bientôt en violence.
Nous vivons une de ces époques. La nature n’en finit pas de démontrer sa puissance, pour se venger du mépris que nous, l’humanité, lui témoignons. À moins que je ne nous accorde trop d’importance à ses yeux. Quoi qu’il en soit, sur ce front, les victimes tombent par milliers. Incendies, tremblement de terre, inondations, glissements de terrain. Et comme ça ne suffit pas, les hommes s’entretuent partout, pour ceci, pour cela, toujours pour de bonnes raisons…
En Israël, la vie n’a jamais été mémère, mais l’année qui s’achève a atteint des sommets en termes de brutalité. Le rythme et l’intensité des attaques, verbales ou physiques, n’ont cessé de monter depuis le mois de janvier. Harcèlements et tabassages dans les cours de lycées, petite enfance maltraitée voire martyrisée dans des crèches par des personnels « de confiance », viols dans des écoles talmudiques, agressions sur les routes, pour un geste d’impatience, une manœuvre maladroite ou un coup de klaxon (au pays où les conducteurs en ont un greffé à la main !). Homicides crapuleux, règlements de compte, attentats. Menaces de mort à l’encontre de contrôleurs de bus, de juges, d’élus !
Le droit semble s’être égaré. Et l’espoir perdu en chemin. Et les politiciens, au lieu de calmer le jeu, nourrissent cette folie
Le droit semble s’être égaré. Et l’espoir perdu en chemin. Et les politiciens, au lieu de calmer le jeu, nourrissent cette folie. Au point que ces dernières semaines, alors que Jérusalem se préparait au débat que tous s’accordaient, pour une fois !, à qualifier d’historique, sur l’annulation de la clause de raisonnabilité, il était impossible, à moins de s’y consacrer, de suivre l’enchaînement de déclarations, ripostes, accusations, tweet, et retweet.
Cette histoire avec un grand H adviendrait aujourd’hui. Et c’est ce jour que, par hasard, j’avais choisi pour profiter de mon cadeau d’anniversaire : une journée kif au spa du Waldorf Astoria, avec petit déjeuner, massage, piscine et sauna.
Ce que l’argent peut acheter ! Pas le bonheur dit-on ? Pourtant, ça y ressemblait. Dès mon entrée dans le palace, je me suis sentie transformée. L’argent m’offrait, comme un miracle, la visibilité. J’ai été saluée par une équipe souriante, qui n’a semblé préoccupée que de mon petit plaisir. Épiant mes moindres regards, à l’affût de mes désirs. Encore un café ? Ou un verre d’eau ? Gazeuse ? Je me suis régalée d’un déjeuner copieux. Quel luxe de variété ! Je me suis retenue de penser au gâchis. À ce que dans une heure atterrirait dans les poubelles. Le prix de l’abondance. J’ai préféré imaginer que les employés se partageraient les restes en échangeant des impressions sur les hôtes de l’hôtel – sur moi aussi, pourquoi pas ? –, qu’ils en distribueraient aux pauvres. Ben quoi, on peut rêver.
Ensuite, je suis descendue pour le massage détente. Et là, j’ai perdu tout contact avec la réalité. J’ai pu tout oublier. Pure extase. J’ai senti mon corps s’alléger, les tensions de cette année s’envoler vers le passé. J’étais arrivée au pays où tout n’est qu’ordre et beauté, luxe calme et volupté. Et j’avoue… je prenais mon pied (pardonnez, c’était pour la rime). Jouissant de ce luxe de paix et de confort, je me suis juré de m’abstraire le plus longtemps possible de l’actualité.
Enfin, je suis sortie. Dehors, le bruit m’a fauchée. Par réflexe, j’ai fouillé mon sac à la recherche de mon portable. Je devais savoir. Tout savoir. Et puis non.
© Judith Bat-Or
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