Jacquot Grunewald : une conscience dans le siècle

Si tu veux grandir, n’oublie jamais qui tu es et d’où tu viens“, dit le Sage. Du haut de ces presque 90 ans, Jacquot Grunewald, Fondateur de Tribune Juive, sait que son journal ne cessera jamais de grandir parce qu’il nous apprend au quotidien qui nous sommes et d’où nous venons. 

 

Heureux comme Dieu en Alsace.

Sans remonter trop loin, l’Alsace nous a donnés des personnalités remarquables qui ont marqué le XXème siècle. Aux côtés d’Albert Schweitzer, le protestant à l’âme généreuse, citons d’illustres juifs tels Léon Blum, Pierre Mendes-France, Pierre Dac, René Cassin, la famille Debré ou encore Jean Zay. Mais aussi, le Grand-Rabbin Hirshler dont l’une des plus grandes avenues de Strasbourg porte son nom. Jacquot Grunewald voit le jour à Strasbourg.  Homme de culture autant qu’homme de culte. Le judaïsme de Jacquot Grunewald s’inspire des grands principes de la Haskalah, cette philosophie des Lumières juives née à la fin du XVIIIème siècle en Allemagne. 

Faire la guerre à la guerre ! 

En métropole, avoir onze ans en 1945, c’est comme si l’enfance vous était soudainement ôtée, que les puanteurs de la guerre vous sautaient au visage. Tous les enfants de la guerre sont vieux avant l’heure. Mais si ces enfants d’une génération sacrifiée sont juifs, alors, on est tout simplement un miraculé. 

Jacquot Grunewald aurait-il été cet homme de bonne volonté, ce rabbin hors-norme, ce journaliste hors-limite, cet écrivain hors-champ s’il n’avait été un enfant de la guerre ? Je persiste à penser que non.   “Son” Judaïsme nous ramène aux grandes heures de l’intelligence rabbinique, lui-même influencé par l’œuvre du grand-rabbin de France Julien Weill et plus encore par celle de son successeur Jacob Kaplan. C’était l’époque où il fallait sécher les larmes et le sang des Juifs de France. Sans doute Kaplan, professeur à Science Po, membre de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, a-t-il été une référence pour Jacquot Grunewald comme le fut plus tard celle de Léon Ashkénazi plus connu sous le totem de “Manitou”. Kaplan  était de ces hommes à la fois simple et disponible, préférant visiter un malade plutôt que les plateaux de télévision. Il suffit de lire les ouvrages de Jacquot Grunewald pour comprendre qu’il était de la même veine que ces rabbins philosophes qui ont éclairé le judaïsme au moins jusque dans les années 1980. 

Les années Algériennes

Nommé par le Consistoire central rabbin en Algérie, Grunewald ne fait pas que découvrir une communauté juive construite parfois aux antipodes de la rigueur alsacienne. Il apprend sans cesse pour comprendre comme elle est vraiment et non tel que la lointaine métropole aurait bien voulu qu’elle fût.  Il saura, avec l’exode de 1962 comprendre la grande douleur du déracinement. Combien de nos grands-parents, jetés — pardonnez la violence du mot — dans les rues de Paris, ou Marseille et qui se sont éteints de chagrin ? Jacquot Grunewald en est si conscient qu’il décide dès 1965 de reprendre en main un journal dirigé par un de ses oncles et intitulé « Bulletins des Communautés d’Alsace et de Lorraine » dont le titre même fait penser à quelque bulletin paroissial et qui, en devenant “Tribune Juive”, entre dans le paysage médiatique communautaire pour ne plus jamais en sortir. 

Un Judaïsme fort, c’est avant tout un judaïsme pluriel

Dans les années 60-80 le paysage médiatique juif de France regroupe essentiellement trois titres. “Information juive”, organe du Consistoire Central d’un niveau intellectuel assez remarquable, “L’Arche”,  organe officiel du FSJU et “TJ”, lequel, à la différence de ses deux confrères, se situe volontairement en dehors de la sphère institutionnelle. L’immense majorité des Juifs de France ne se reconnaissant pas forcément ni dans le Consistoire ni dans le FSJU a très vite trouvé en TJ une espace médiatique à la mesure de leurs attentes.  D’une décennie à l’autre, d’un événement à une commémoration, TJ reste essentiellement un journal critique au sens noble du terme, qualité qu’on retrouve dans la personnalité même de Jacquot Grunewald. 

Un sionisme raisonné pour un journal raisonnable

Le sionisme n’est pas une marque de fabrique. Ce n’est pas non plus une “façon de penser” ou une  “manière de voir Israël”. C’est avant tout un engagement qui, en toute logique, se solde par une Alyah. Comme j’ai souvent l’occasion de le dire, il faut faire une différence entre “être sioniste” et affirmer son soutien à Israël. Les deux comportements sont valables. Grunewald, dès 1985 a choisi de faire son Alyah, de concilier ses propos avec ses actes. L’homme, à bien des égards, n’est pas de ces discoureurs qui s’époumonent devant micros et caméras pour donner le change. Il n’est pas ce que j’appelle un “marane idéologique”, c’est-à-dire le genre d’individu qui dit au dehors ce qu’il ne pense pas forcément en privé. A la manière de Louis Jouvet qui disait à ses élèves “Si tu le dis, ne le fais pas, et si tu le fais, ne le dis pas, les spectateurs ne sont pas des imbéciles”, Jacquot Grunewald, considérant que les Juifs ne sont pas des imbéciles, a fait ce que beaucoup disent … mais ne font pas. 

Jacquot Grunewald — et ce n’est pas la moindre de ses qualités — est un homme pour qui les mots ont un sens, les idées une rigueur et la volonté une ligne de conduite. Israélien depuis 1985, il regarde le monde, les gens et les choses avec la même acuité d’esprit et une lucidité qui, souvent le met en porte-à-faux du discours convenu. La parole officielle, aseptisée, débarrassée de tout ce qui dépasse du rang n’est pas sa tasse de thé.  Chez Grunewald, être rabbin ou journaliste ou écrivain ne signifie pas dire le monde mais chercher à le comprendre. Pour lui, la raison est indissociable de la découverte, mais quand le rabbin se fait journaliste, les articles qu’il écrit font polémiques parce que rien en ce bas monde n’est ni blanc ni noir.  Quant au romancier, disons qu’il s’amuse allègrement avec les mots, invente des histoires, fabrique des destins, joue avec ses personnages. Comme je dis toujours, la réalité a besoin de la fiction pour se faire une place au soleil.  “Ils sont fous ces Juifs !”  ou encore “Orthodox Street”, voilà bien des titres que seul un rabbin — ayant un solide “sense of humour” comme disent les Anglais — pouvait écrire. 

Comme toujours ce qui grandit un homme ce n’est pas de s’enfermer dans le fanatisme étriqué, mais bel et bien dans le rire de soi-même. 

Les années 2.0

Les temps changent, le monde évolue — ou involue, c’est selon —, les gens avancent dans la vie comme des êtres perdus dans le désert. Et pour ceux qui pensent — il y en a — que l’Histoire s’est arrêtée en 1945 au point de croire qu’il suffit de crier  “plus-jamais-ça” pour que la bête immonde pourrisse dans la géhenne, les événements se chargent toujours du contraire. La hausse de l’antisémitisme en Europe, l’islamisme politique, la haine d’Israël, l’islamo-gauchisme, le wokisme et autres perversions en “isme”  se sont invités dans cette seconde moitié du XXème siècle et risquent bien de prendre racine dans notre XXIème. “Information Juive” n’est plus à l’ordre du jour, “L’Arche” n’est plus que l’ombre d’elle-même et les quotidiens ou radios juives d’aujourd’hui emploient des journalistes aux ordres, au garde-à-vous, le doigt sur la couture du pantalon.

Dans cette forêt médiatique incendiée par la pensée unique, TJ est un contre-feu. Il y a dans ce journal comme une marque de fabrique “Jacquot Grunewald”. Les années 2.0 ont considérablement modifié la perception du monde. Désormais tout se doit d’aller vite. “On n’a pas le temps”, telle est la maîtresse expression des temps modernes. On lit en “diagonale”, parfois même on se contente du “chapeau”, cette introduction par laquelle on est sensé recueillir “l’essentiel”. Tout cela n’est qu’un ersatz de lecture.

Pourtant, un article quel qu’il soit et quel que soit le média se doit d’être disséqué pour le bien comprendre, le critiquer ou l’encenser, selon ses opinions. La génération 2.0 répond à un GPS mental bien particulier et pour tout dire dangereux. Techniques pointues, discours étudiés par d’habiles psychologues, ajoutez un soupçon de complotisme, et un zeste de panique-de-fin-du-monde, c’est ça la pensée unique.  Ce poison mental — comment lui donner un autre nom ? — est aux antipodes de la dialectique juive, ce fameux pilpoul  où la question est plus importante souvent que la réponse.

Grunewald est précisément un homme en constant questionnement. En doutant, il boute hors les murs toutes les certitudes. Refusant l’ultra-orthodoxie qui chez d’autres forment une sorte de bouclier théologique, il nous enseigne que seul le débat est “chose humaine”. Dès lors les fanatismes, les intégrismes, les perversions idéologiques, les discours formatés, les thèses qu’on voudrait irréfutables, tout cela n’appartient pas à la religion de Jacquot Grunewald. Et de même, tel un jeu de miroir, tout cela n’appartient pas à la religion de Tribune Juive. 

© Michel Dray

Jacquot Grunewald, au soir de sa riche existence reste et demeurera une référence, une conscience. Juifs, chrétiens, musulmans, agnostiques voire athées, TJ est une partie de vous, un espace de convergences où se rencontrent bien des divergences. Et cela s’appelle tout simplement la liberté de penser.  

Merci Jacquot. 

© Michel Dray

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