Bernard Arnault et les Restos du cœur: Quand les riches font d’utiles boucs émissaires. Par Olivier Babeau

«À entendre nos politiciens les plus à gauche, la disparition des plus aisés serait synonyme de prospérité universelle» © Julien de Rosa / AFP

Le patron du groupe LVMH et sa famille ont été critiqués par une partie de la gauche après avoir annoncé le versement d’une aide de 10 millions d’euros aux Restos du cœur. L’essayiste Olivier Babeau fustige les attaques caricaturales contre la figure du riche, perçu en France comme le «mal absolu».

Victime collatérale de l’inflation, les Restos du Cœur sont confrontés cette année à une grave impasse budgétaire. Cette association unanimement respectée émet un touchant appel aux dons. Il émeut certains Français qui décident généreusement de contribuer. Parmi eux, Bernard Arnault, capitaine d’industrie que l’on ne présente plus, annonce verser 10 millions d’euros (sans aucune contrepartie fiscale) sur ses fonds familiaux. Dans beaucoup de pays, l’histoire s’arrêterait aux légitimes félicitations adressées au chef d’entreprise. Pas en France, où les prévisibles critiques (et insultes) n’ont pas tardé à pleuvoir comme à Gravelotte. Parmi les nombreuses réactions lues sur X (ex-Twitter): «On devrait refuser cet argent volé sur le dos des salariés». Mieux : «Les riches, pur produit du capital financier, sont responsables de la misère: délocalisations, chômage, spéculation immobilière, sur les produits agricoles et l’énergie.» L’affaire n’est pas anecdotique. Elle révèle la fracture idéologique qui traverse la France, des prémisses radicalement différentes faisant naître des programmes antagonistes qui structurent les grands camps politiques en matière d’économie.

D’un côté, nous avons ceux pour qui la richesse est illégitime par nature et corrompt le lien social. Elle symboliserait et entretiendrait tous les déséquilibres économiques et sociaux: si les services publics, n’est-ce pas, sont si peu performants, c’est que les riches ne paient pas assez! La dette publique ne correspondrait, selon cette vision, qu’à la somme des fraudes et avantages indus dont les nantis se sont rendus coupables. Taxez plus, et le bonheur sera parfait. L’Histoire aura désigné, tour à tour, bien des responsables fantasmés à tous les malheurs du monde; la vulgate communisante y aura essentiellement ajouté la figure du riche. De lui procèderaient toutes les calamités.

Symétriquement, à entendre nos politiciens les plus à gauche, la disparition des plus aisés serait synonyme de prospérité universelle. Ils ne voient d’ailleurs aucune contradiction dans le fait de souhaiter à la fois que ces gens contribuent plus, voire soient intégralement spoliés pour alimenter l’insatiable Moloch budgétaire, et qu’ils disparaissent pour de bon (qui donc remplira les caisses, si, comme dans le conte, on tord le cou à la poule aux œufs d’or?). La lutte des classes constitue encore dans bien des esprits une référence mentale indépassable. On aura beau rappeler la centaine de millions de morts qui est le seul vrai bilan de l’idéologie malsaine du communisme n’ayant jamais produit que des désastres, on trouvera d’importants groupes constitués revendiquant très sérieusement la mise en place d’un régime de ce type. Dans le grand soir du prolétariat (où les lendemains qui devaient chanter ont toujours déchanté), les classes aisées sont la toute première cible. Car rien n’y fait: aux yeux de cette partie de l’opinion, le possédant incarne le mal absolu, quel que soit le nombre d’emplois créés, l’abondance des recettes fiscales produites et plus généralement la contribution d’ampleur à la société. Être riche en France, c’est ainsi faire face à d’insolubles injonctions contradictoires. S’il part, c’est un déserteur. S’il reste, c’est un exploiteur du peuple. S’il proteste, c’est un rebelle. S’il se soumet en se taisant, c’est qu’il avoue ses exactions.

De l’autre côté, il y a une vision qui a souvent du mal à s’exprimer tant elle est peu enseignée et défendue. Elle se souvient, car elle a lu Paul Veyne, que dans l’Antiquité l’institution de l’évergétisme reconnaissait un rôle social important aux plus aisés, respectés pour leurs contributions importantes (et volontaires!) aux dépenses de la cité. Cette vision s’inscrit en faux contre le sophisme de la «valeur travail» selon lequel seul le travail serait créateur de valeur ajoutée (à l’exclusion du capital), et adhère à l’approche schumpetérienne qui reconnaît le rôle fondamental de l’entrepreneur dans la dynamique d’évolution économique. Les tenants de cette approche favorable à la liberté d’entreprendre remarquent que les pays les plus prospères sont toujours ceux qui savent attirer les investisseurs et les entreprises, jamais ceux qui les font fuir ou les maltraitent. Ils savent aussi qu’avoir moins de riches n’a jamais garanti moins de pauvres, que l’économie n’est pas un jeu à somme nulle où ce que gagnent les uns serait nécessairement pris aux autres.

Ils savent d’ailleurs que la France vient de battre son record historique de prélèvements obligatoires et qu’elle est le pays qui dispose du système redistributif le plus étendu et le plus réducteur d’inégalités du monde. Ils soupçonnent un État boursouflé, soucieux de s’occuper de tout et incapable de résister aux pressions des corporations qu’il emploie, de mener une course à l’abîme à coups de chèques tirés sur les promesses de leurs efforts futurs. Ils pensent que nos problèmes sont surtout l’incapacité de leur pays à se réformer, sa difficulté à trouver sa place dans un siècle où tout change et son déclin progressif mais indubitable.

Pour cacher ces dures réalités aux yeux des plus crédules, les riches font d’utiles boucs émissaires. Cette partie de la France qui ne hurle pas à l’éradication des plus aisés pense que notre pays aurait intérêt à avoir cent fois plus de telles fortunes entrepreneuriales sur son sol, et que leur départ constituerait non pas la solution mais une calamité.

© Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et président de l’Institut Sapiens (think-tank). Il vient de publier « La Tyrannie du divertissement » aux Éditions Buchet-Chastel.

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7 Comments

  1. « La charité, c’est le contraire de la justice. »

    « Je comprends qu’il faut se méfier des gens qui vendent des outils mais qui s’en servent jamais. »

    Marcel Pagnol (la fille si Puisatier)

  2. Je pense qu un melenchon qui a amassé une fortune sans travailler une minute de sa vie pourrait aider les pauvres …..🤠
    En plus j ai entendu dire qu il est de gôche 🙃

  3. Le nombre de SDF a triplé en 20 ans, la pauvreté et la précarité explosent (tout comme la criminalité qui touche surtout les milieux populaires), le service de santé est une ruine…Ceux qui soutiennent la politique criminelle de l’UE sont responsables et devraient rendre des comptes. Voilà le fond du problème. Et Bernard Arnault fait partie des coupables, au même titre…que les membres du PS et de la NUPES qui soutiennent presque tous l’UE et sa politique (économique ou/et migratoire). Bernard Arnault, LREM et NUPES même combat. Ce genre de polémique pour neuneus sert d’écran de fumée afin de cacher la nature du problème, l’ampleur du désastre et la responsabilité de TOUS ceux impliqués dans cette politique détruisant d’innombrables vies. Je n’ai pas plus de sympathie pour ce milliardaire que pour les fascistes rouge bruns de la NUPES…et réciproquement : c’est le même fléau au pouvoir depuis plus de 40 ans. Les deux faces d’une même médaille.

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