« Je t’écris d’Israël ». Voyage en terre de Tikkoun Olam. Chapitre 2 : Sur le sentier de la fille des vagues 

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Tribune Juive vous propose tout au long de l’été un regard décalé sur Israël, berceau du Tikkoun Olam – la réparation du monde brisé -, à travers la correspondance de Valérie Pavia*, artiste photographe qui arpente le pays, avec Yves Lusson**, intervenant en Thérapie sociale resté en France. 

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Photo © Valérie Pavia

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Cher Yves,

Ce tout petit territoire est comme tu le dis si bien un concentré de tout ce que peut vivre l’humanité. Tout y est plus rapide, comme si la terre avait gardé des mémoires, ce qui la rend extrêmement tellurique. Une énergie incroyable se dégage à tout moment. 

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

Chaque personne rencontrée est comme un miroir de ce que nous sommes à l’instant où elle est mise sur notre chemin. Tout y est plus intensifié dans ce que nous devons vivre. L’épreuve de la solitude peut y être décuplée. A devenir parfois quasiment intolérable. Tout comme à l’instant d’après un miracle peut se produire. Cette terre est un miroir de l’âme et nous y devenons ce que nous devons être. Comme une excroissance de ce que nous étions déjà en préparation sur le sol européen ou autre.

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

St Jean d’Acre est une ville un peu particulière, à la fois très tranquille au niveau de la sécurité comme je te le disais,  mais tellement orientale que j’ai dû adopter le code local pour y avoir un peu la paix. Photographier est avant tout une histoire de marcheur, d’arpenteur, une manière de se rendre invisible aussi, et je me rends compte que cette attitude a quelque chose d’occidental. 

J’ai mis un petit foulard sur la tête, ce qui veut dire « femme non disponible ». C’est ainsi que je me promène dans les rues d’Acre et que je peux photographier toutes ces fleurs, tous ces arbres. S’arrêter pour photographier un arbre a quelque chose aussi de décalé car les gens se promènent soit en famille, ou se rendent d’un endroit pour aller dans un autre. La flânerie est une notion quasiment étrangère aux habitants pressés de la Terre Sainte.

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

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Chère Valérie,

Merci pour tes images et tes mots, qui m’expriment l’intensité de la vie, le mystère de sa force qui nous emmène, non pas vers un ailleurs ou vers un destin tout tracé, mais vers notre secrète destinée.

J’habite en ce moment une petite ville du centre de cette France oubliée qui fut industrielle et très active au siècle dernier. Année après année, ses rues se sont vidées de leurs commerces, les façades de ses maisons se sont dégradées, les rideaux ont pris la poussière et ont perdu de leurs couleurs. Mes voisins du dessous, enfermés chez eux et aux minimas sociaux, tombent fous. Alors tu imagines bien à quel point je me nourris de cette saine énergie que tu m’envoies d’Israël. 

Mais, car il y a un mais, et là est peut-être notre sujet : tu me montres et me racontes aussi beaucoup de solitude, voire d’isolement, dans des vies planifiées, organisées, compartimentées, peut-être trop remplies pour être pleines, ne laissant visiblement plus de place à ce que tu t’autorises toi : la flânerie, cette forme d’errance féconde propice au miracle de la vraie rencontre, avec l’autre, avec soi, avec la nature, avec la réalité.

Et si la Réparation du monde qui nous préoccupe était de pouvoir lui redonner, à ce monde, toute sa capacité à cette errance féconde qui remet de la vie dans nos vies ? 

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Cher Yves, 

Ce matin, justement, en me rendant à la plage russe de Haïfa « Bat Galim », ce qui signifie la fille des vagues, j’ai demandé le chemin pour m’y rendre à une jeune femme.

Je me suis adressée à elle très doucement car je voyais bien qu’elle avait un casque sur les oreilles. J’ai cru qu’elle allait alors me foudroyer du regard. Elle m’a montré son casque sur les oreilles et son téléphone portable comme si je l’avais agressée. Je remarque beaucoup d’attitudes similaires de personnes isolées et cloisonnées par l’espace de leur téléphone. Ceci n’est pas spécifique à Israël bien sûr mais plutôt aux espaces urbains.

Aussitôt après, une dame blonde au chapeau de paille, sans téléphone, s’approche de moi et je peux alors naturellement lui demander l’information en russe. Elle est ravie de me renseigner et m’incite à la suivre à pieds jusqu’à la plage. En chemin, j’apprends qu’elle est ukrainienne, comme la plupart des gens ici dans cette ville.

Je t’envoie en parallèle à cette lettre quelques photos de la gare de Haïfa. Une d’entre elles s’est déclenchée automatiquement en noir et blanc.

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

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Chère Valérie,

Ton histoire de la « fille au casque sur les oreilles » me plonge dans un océan de perplexité. Peut-être était-elle en conversation téléphonique avec sa mère restée en Ukraine ? Ou même avec son frère, sur le front russe ? 

Nos téléphones nous connectent à l’autre tout au bout de la Terre, mais en même temps ne nous coupent-ils pas de notre prochain ? Ce prochain que nous ne connaissions pas trente secondes plus tôt, mais que nous pourrions rencontrer au hasard de la vie, dont nous pourrions croiser le regard, ici et maintenant, sentir l’odeur, toucher la main, ou avec lequel tout simplement partager un sourire. « Voir le visage, c’est parler du monde. Parler, c’est rendre le monde commun », nous dit Emmanuel Levinas. Que reste-t-il de nos espaces d’humanité, dans lesquels nous pourrions prendre le temps d’engager une conversation, nous rencontrer, nous parler vraiment, rire avec, pleurer avec, trinquer, partager un silence, une émotion, écouter la mer ensemble, transformer ensemble la vie ou tout simplement la célébrer ?

Tu es si proche, mais tu es si loin.   

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Cher Yves,

Je te reçois bien quand tu m’écris que je suis à la fois loin et proche.

Je crois que cela a à faire avec quelque chose même de l’essence de la photographie.

Être photographe, c’est être à la fois loin et proche. 

Photographier c’est prendre le temps, pour être en mesure d’être dans la présence pour capter l’instant présent. Et je constate, pour le moment, que la culture arabe en Israël se fond assez bien avec cette notion de savoir prendre son temps.

Il semblerait en effet que cette culture ici soit plus propice à un certain art de vivre, où les gens prennent encore le temps de vivre. Comme ces deux hommes en train de manger des pépites en bord de mer. Le narguilé semble autoriser une respiration dans la journée et contribue à entretenir cette atmosphère de sérénité. 

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

Je m’étonne de voir les enfants toujours extrêmement bien habillés et heureux d’aller et venir en toute liberté. Je n’ai jamais perçu cette décontraction dans la culture arabe en France. D’ailleurs c’est assez amusant comme ici, quand on détecte mon accent français, on me dit qu’il y a beaucoup de troubles en France à cause de la population arabe. 

Pour le moment, que ce soit à Acre ou à Haïfa, les deux populations semblent cohabiter tout à fait pacifiquement. 

Photo © Valérie Pavia
Photo © Valérie Pavia

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Chère Valérie,

Et si la France avait beaucoup à apprendre d’Israël à ce sujet ? Les Juifs n’ont-ils pas appris au cours des siècles à vivre au milieu des Musulmans et des Chrétiens ? Peut-être ainsi apprennent-ils – sans le vouloir – aux Musulmans à vivre au milieu des Juifs ? 

Cette paix que tu décris des Arabes d’Israël, pourquoi ne finirait-elle pas par s’installer chez les Musulmans de France ? 

Tu sais à quel point j’observe désormais ma société française à la lumière inédite de la thérapie sociale que m’enseigne Charles Rojzman. Et je me pose plein de questions sur cette culture française, justement, qui est aussi celle de la « fille aînée de l’Eglise ». Une culture de la tolérance, mais au risque d’un laxisme criminel ? Une culture de la générosité, mais au risque de se faire frapper la joue gauche après la droite, indéfiniment ? La sécurité et la fermeté, notamment dans les banlieues, ont mauvaise presse en France, mais ne font-elles pas partie de nos besoins fondamentaux pour pouvoir être libres ?

J’ai hâte que tu m’apportes ton regard sur ces questions 

Je t’embrasse

Yves

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À propos des auteurs

Valérie Pavia. Photo Bruno G.

*Née à Montpellier, l’artiste Valérie Pavia a nourri une œuvre conséquente dans les domaines de la vidéo, de la photographie, de la peinture et de l’écriture. Après des études de théologie à Strasbourg, elle a enseigné le grec et l’hébreu dans des associations de langues bibliques. En Israël cet été, elle n’y est pas partie pour y faire son Alya à proprement parler, mais elle arpente la « Terre Sainte » en quête de sens pour sa vie, et peut-être d’un pays où poser ses valises.  

Yves Lusson. Photo Valérie Pavia

**Yves Lusson, journaliste scientifique et social pendant plus de vingt ans, se forme depuis une dizaine d’années à la Thérapie sociale auprès de son inventeur, Charles Rojzman. Contributeur régulier de Tribune Juive, il voit dans le voyage de Valérie une occasion de questionner la destinée de cette « terre de Dieu » qui le fascine depuis l’enfance, et tout particulièrement sa vocation à la « réparation du monde » que la tradition juive nomme Tikkoun Olam (photo Valérie Pavia).

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