L’histoire de ma vie, je n’ai jamais reçu ce que je méritais, à part une parasha à mon nom !
Je suis un membre de la tribu de Levi, cousin du Golden Trio Moshé, Aaron et Myriam.
Moshé avait nommé son frère Aaron grand prêtre (Cohen Gadol) et ses neveux prêtres, prétendument sur ordre de D.ieu. Si c’est pas du népotisme !
Ça ne pouvait pas bien se passer entre Moshé et moi : je suis la réincarnation de Caïn et lui d’Abel, c’est pourquoi il m’en veut.
Mme Korah, c’est ma femme, n’arrêtait pas de râler : Dire qu’en Egypte, tu étais trésorier de Pharaon, quelle belle situation on avait ! Moshé ne perd pas une occasion de t’humilier : alors que tu aurais dû être chef de la famille des Kehatim, Moshé a nommé à ta place un gamin moins savant et moins riche! Ne te laisse pas faire ! etc.
Ma famille, les Kehatim était chargée de porter dans le désert les ustensiles sacrés du Mishkan (Tabernacle), c’est une mission prestigieuse quand même, mais qu’est-ce que je pouvais lui répondre, à part « Tu as raison ma chérie ». Parce que dans les couples juifs, c’est toujours l’homme qui a le dernier mot, qui est « Tu as raison ma chérie ».
Le moment était venu pour moi de prendre le pouvoir.
En effet, les hommes étaient amers car Moshé venait d’annoncer qu’à cause de la faute des Explorateurs, nous allions tourner 40 ans dans le désert et y mourir.
Je les entendais récriminer contre Moshé et Aaron :
– Les Explorateurs, Moshé ne les a pas envoyés à l’hôtel à Eilat, ça ne donne pas une idée très réjouissante du pays, c’est normal qu’on n’ait pas eu envie d’y aller,
– Moshé aurait pu négocier avec D.ieu pour diminuer les 40 ans dans le désert, c’est pas Abraham qui nous aurait laissés condamner comme ça sans discuter.
-Moshé est peut-être bègue mais il parle bien aux femmes, c’est pour ça qu’il a répudié Tsipora, il peut les avoir toutes, et comme tous les prêtres sont de sa famille, pas la peine de demander l’épreuve de la Sotah (procédure devant un prêtre pour confirmer l’adultère d’une femme) le système est verrouillé.
Je ne sais pas d’où est sortie cette dernière rumeur, moi je disais juste que Moshé m’avait dépossédé d’une affaire qui me revenait, la prêtrise, ce que nos Sages appellent une forme d’adultère.
Quoi qu’il en soit, ils étaient prêts à lyncher Moshé et Aaron.
Je suis un politicien né, j’ai d’abord trouvé un bon slogan :
« D.ieu dit que vous êtes tous saints, vous n’avez donc pas besoin de chefs »
Bon, j’ai un peu changé le temps du verbe être qui est au futur dans la parasha qui précède la mienne, Nombres-15 : la citation exacte est “Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur de se faire des franges (tsitsits) aux coins de leurs vêtements, dans toutes leurs générations, et d’ajouter à la frange de chaque coin un cordon d’azur….
40 Vous vous rappellerez ainsi et vous accomplirez tous mes commandements, et vous SEREZ saints pour votre Dieu. »
Ensuite, je me suis adjoint une petite bande de mécontents :
- les inénarrables Dathan et Abiram, qui détestaient Moshé depuis l’Egypte, des Réouvenim dépités que la tribu de l’ainé de Jacob n’ait aucun privilège,
- On ben Pelett, un type insignifiant qui suit le dernier qui a parlé,
- et 250 notables, jaloux des Léviim, qui rêvaient d’expérience mystique.
Nous avons publiquement apostrophé Moshé et Aaron, revêtus de vêtements bleu azur:
“Vous allez trop loin ! Toute la communauté, oui, tous sont saints, et au milieu d’eux est le Seigneur ; pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur?”
C’est vrai, on a tous entendu la parole de D.ieu au Sinaï !
Ensuite j’ai habilement introduit un débat destiné à ridiculiser Moshé sur les commandements qu’il nous a prescrits :
N’importe quel habit deviendrait saint grâce au fil d’azur réglementaire teint avec une teinture de sang de poisson mêlé aux tsitsit, alors que nos habits qui sont entièrement teints en bleu, ce qui m’a coûté une fortune (les poissons sont rares dans le désert), ne seraient pas cashers ?
Et pourquoi devrait-on accrocher à sa porte une mézouza contenant quelques versets de Torah alors que la maison est déjà remplie de livres de Torah ?
« Ces choses-là ne nous ont sûrement pas été ordonnées, tu les as inventées toi-même… »
Vous saisissez mes messages subliminaux :
– tout l’habit bleu est saint / toute la maison est sainte -> tout le peuple est saint.
– pas besoin de fils bleu / pas besoin de mézouza -> pas besoin de Moshé et Aaron
Dathan et Abiram ont dit à Moshé : « Est-ce peu que tu nous aies fait sortir d’un pays ruisselant de lait et de miel, pour nous faire mourir dans ce désert, sans prétendre encore t’ériger en maître sur nous! »
Le sarcasme, ça marche toujours : qualifier l’Egypte de pays où coule le lait et le miel !
Et les 250 fanatiques avides de sensations fortes ont tous affirmé être plus dignes d’être Cohen Gadol qu’Aaron, et ont demandé à profiter de cette petite remise à plat, car justement ils avaient apporté de l’encens. Deux des fils d’Aaron venaient de se faire foudroyer en apportant de l’encens le jour de l’inauguration du Mishkan, mais eux se voyaient déjà avec le manteau à clochettes et le pectoral !
Moshé a essayé de nous convaincre de laisser tomber, mais nous nous sommes entêtés. Il m’a ensuite provoqué en compétition d’encensoir le lendemain matin, en ces termes : « Prenez chacun votre encensoir, mettez-y du parfum et apportez devant le Seigneur chacun votre encensoir, deux cent cinquante encensoirs; toi aussi et Aaron, chacun le sien.”
Pendant toute la nuit, j’ai distribué cadeaux, calomnies et phrases creuses, et j’ai convaincu les hommes de se joindre à nous en leur disant « Croyez-vous que je ne me soucie que de moi seul ? C’est vos intérêts à tous que je défends ! Ceux-là sont venus s’approprier tous les honneurs : à lui la royauté, et à son frère la prêtrise ! »
Mais le lendemain, ils se sont dégonflés, On ben Pelett a fait la grasse matinée, mes fils se sont repentis, et nous nous sommes retrouvés Dathan, Abiram, nos familles et moi, et la terre s’est ouverte pour nous engloutir, nous et nos biens, un phénomène surnaturel qui a été créé spécialement pour nous au début de la création, un honneur dont je me serais bien passé !
Est-ce que j’ai mérité une telle sévérité ! Myriam aussi a critiqué Moshé quand elle a dit à Aaron : « Est-ce que l’Eternel n’a parlé qu’à Moshé ? Ne nous a-t-il pas parlé à nous aussi ? ». Est ce qu’elle a été avalée par la terre ? non, juste une petite semaine de lèpre, et c’est tout ! OK elle n’a pas essayé de fomenter une révolte mais quand même, ses arguments ressemblent aux miens.
Quant à mes 250 pieux acolytes, ils ont été foudroyés, les mêmes causes produisant les mêmes effets.
Après ça, le fils d’Aaron a mis des rappels sur l’autel pour que les non Leviim ne soient plus tentés d’aller bruler de l’encens pour le service divin.
On a dit que j’étais populiste, que je faisais le malin, mais en fait j’étais un précurseur, quand j’ai dit que c’était inutile d’accrocher à sa porte une mézouza quand sa maison est remplie de livres de Torah.
Et pourquoi devrait-on circoncire sa chair quand on a le cœur circoncis, ça ne vous dit rien ?
Et pourquoi ne pas manger du porc et des fruits de mer quand ils deviendront sans danger grâce aux progrès de la science ?
J’étais juste en avance sur mon temps…
Nos Sages me citent en exemple dans les Pirké Avot : « Toute Ma’hloket (dispute) qui est “Léchem Chamaïm (pour l’honneur du Ciel) aura des résultats durables et toute dispute qui n’est pas pour l’honneur du Ciel n’aura pas de résultat durable. Quelle fut la Ma’hloket pour l’honneur du Ciel ? Celle entre Hillel et Chamaï. Et quelle fut la Ma’hloket qui ne fut pas pour l’honneur du Ciel ? Celle de Korah et de son assemblée. »
C’est ceux qui ont gagné qui écrivent l’histoire…
Ya même un petit malin qui a comparé ma rébellion à une lutte de pouvoir entre chimpanzés mâles d’un zoo hollandais !
Quand je compare ma révolte à la quasi-guerre civile des Israéliens sur leur réforme judiciaire, je trouve que je suis un petit joueur !
Pour finir sur une note optimiste,
il est écrit dans la Torah « Quant aux fils de Korah, ils ne moururent pas ».
Mme Korah n’a pas été de bon conseil mais elle a appris la politesse aux garçons : quand Moshé est venu dans notre tente le dernier soir pour nous raisonner, ils se sont levés de table par respect pour lui.
D.ieu les a épargnés et ils n’ont pas été engloutis avec moi.
Ils écriront plusieurs psaumes que vous trouverez dans tous les livres de Tehilim avec ceux du roi David, excusez du peu !
Ce sont des prières d’inspiration divine, belles comme des poèmes, que les Juifs lisent dans les moments de joie et de détresse :
Tehilim 45 «1-Au chef des chantres. Sur les lys. Par les fils de Korah. Maskil. Chant d’amour. … 14- Resplendissante est la fille du roi dans son palais, sa robe est faite d’un tissu de mailles d’or. »
Tehilim 44 « 1-Au chef des chantres. Par les fils de Korah. Maskil …12- Tu nous livres comme des troupeaux dont on se nourrit, et nous éparpilles parmi les nations….
23- Mais pour toi nous subissons chaque jour la mort ; on nous considère comme des brebis destinées à la boucherie. »
C’est joli, non ?
Un autre de mes descendants est très connu, c’est le prophète Samuel, semblable à Moshè et Aaron réunis. Je l’avais vu par vision prophétique, du coup je me suis dit que si toute cette grandeur descendrait de moi, c’est que je méritais honneurs et gloire.
Faut croire que l’orgueil et la jalousie m’ont empêché de voir ce qui se passerait entretemps…
© Joëlle Galimidi
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Sources
Pirké Avot paragraphe 5 – mishna 6 et 20
Tehilim 99, 6
Midrach Raba (18,3)
Cours du rav Gronstein du 6 juillet 2016
Cours du Rav Shoushana du 2 juillet 2023 au Beth Annaelle
Kora’h était pourtant intelligent, par Rabbi David Hanania Pinto Chelita
https://www.hevratpinto.org/voie%20a%20suivre_n/5771/682_korah_5771.html
LE COIN PARACHA KORA’H
Parashat Korach https://kolrinanj.org/wp-content/uploads/2023/06/Parashat-Korach-June-24-2023.pdf
https://akadem.org/paracha/parachat-hachavoua-5783/kora-h–moise-nous-pique-nos-femmes/46750.php
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Merci aux groupes Limoudénou et Haverot
© Joëlle Galimidi
Me Joëlle Galimidi, avocate depuis 35 ans, est associée du Cabinet d’avocats HM GALIMIDI, à Paris. Impliquée dans des associations juives (Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett, Me Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett.
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