Sur la sortie des « cent jours » et le phénoménal marasme politique français. Entretien Maxime Tandonnet-Michel Guénaire

  1. Lors du Conseil des ministres de ce vendredi 21 juillet, Emmanuel Macron a présenté ses quatre priorités de l’été avec l’objectif de « consolider un pays plus juste ». En quoi Emmanuel Macron se trompe-t-il dans son analyse et dans ses mesures pour répondre aux émeutes urbaines dans son objectif pour l’été 2023 ? N’est-il pas difficile de gérer à court terme un problème aussi vaste ?

La crise des banlieues qui s’est traduite par 4 nuits de destructions et de violences a été désastreuse pour le pouvoir macronien. Après trois mois de chaos dus à la réforme des retraites et la promesse d’un apaisement, le pays a de nouveau plongé dans un climat de guerre civile. Le régime a donné le sentiment qu’il ne contrôlait plus rien. Il s’est trouvé déstabilisé par la révolte de la jeunesse des cités dont il se considère comme le protecteur. Cette tragédie a renvoyé à la scène du chef de l’Etat balayant le rapport Borloo de 2018 dès lors que « deux hommes blancs » ne pouvaient prétendre régler la question des banlieues. Compte tenu du l’alourdissement de la dette publique lié au « quoi qu’il en coûte » et la distribution de chèques sans provision (560 milliards € en deux ans), M. Macron peut difficilement se permettre d’annoncer une nouvelle valse des milliards. Dès lors, le discours est à peu près vide sur cette question, en dehors d’une vague référence à une improbable réforme de l’immigration. La question des banlieues recouvre un immense chantier sur plusieurs décennies touchant à l’éducation, l’autorité, la culture, la sécurité, la guerre à mener aux trafics, et aussi la lutte contre le chômage, un sujet tabou puisque le macronisme se prévaut d’une victoire contre ce fléau. Tout cela n’a rien à voir avec un effet d’annonce de court terme.

  • En quoi Emmanuel Macron se trompe-t-il dans son analyse et dans ses mesures pour répondre à la sécheresse pour l’été 2023 ? N’est-il pas difficile de gérer à court terme un problème aussi vaste d’autant que la sécheresse est déjà là ?

La France a connu de graves sécheresses en 1976 par exemple où il n’a pas plu pendant un an ou en 1990. Elle s’en est sortie sans drame. Il est mensonger d’affirmer que le pays manque cruellement d’eau et que le sujet est en passe de devenir dramatique. Souvenons-nous, pendant la crise du covid 19, avant le deuxième confinement de l’automne, le pouvoir macronien, reprenant les prédictions apocalyptiques des prétendus experts, mettait en garde contre la certitude de plusieurs centaines de milliers de morts, quoi qu’il arrive.  Cela ne s’est évidemment pas produit. Fin août 2022, alors que l’épidémie s’achevait, le président parlait de « la fin de l’abondance » et d’une future pénurie d’électricité en hiver – qui n’a pas eu lieu. Aujourd’hui, le pouvoir joue sur la peur d’un manque d’eau. Les actions qu’il annonce paraissent dérisoires : créer un outil pour mieux informer le public des mesures de restriction. C’est-à-dire rien du tout. Le sujet appelle des réponses locales et non des déclarations grandiloquentes destinées à inquiéter les gens une fois de plus. L’idée, c’est qu’il faut agiter l’angoisse pour tenir le pays. Le pouvoir macroniste a compris que la peur était le meilleur moyen d’asservir un peuple.

  • En quoi Emmanuel Macron se trompe-t-il dans son analyse et dans ses mesures pour la santé pour l’été 2023 ? N’est-il pas difficile de gérer à court terme un problème aussi vaste ?

Le chef de l’Etat veut désengorger les urgences. Mais là aussi, il ne met aucun moyen, aucune solution concrète en avant. On est dans le vœu pieux. Certes il veut inciter les médecins à prendre en charge les maladies de longue durée. Mais quel rapport avec le désastre de l’hôpital public ? Le redressement du système de santé français est un autre chantier gigantesque qui passe par la formation des professionnels, la revalorisation des carrières, le renouvellement des infrastructures et la débureaucratisation du système. Il ne suffit pas de désigner la santé publique comme une priorité à des fins de communication. Le véritable enjeu est d’offrir des perspectives de long terme, sur plusieurs décennies, pour sortir le système de santé français du marasme.

  • En quoi Emmanuel Macron se trompe-t-il dans son analyse et dans ses mesures pour répondre à l’augmentation des prix de l’énergie pour l’été 2023 ? N’est-il pas difficile de gérer à court terme un problème aussi vaste ?

Le prix de l’électricité va augmenter de 10% dans les jours à venir en raison de la fin du bouclier tarifaire qui a permis au pouvoir macronien de limiter la hausse des tarifs au prix d’un creusement du déficit et de la dette publique. Alors comme toujours, dans sa logique habituelle, pour tenter de masquer une catastrophe, il lance des contre-feux sur le plan de la communication. La question du coût de l’électricité est un sujet gigantesque qui renvoie au bradage de l’industrie nucléaire depuis 2012, la fermeture de Fessenheim voulue par le président Macron et l’opprobre lancée sur cette source d’énergie pendant des années. Elle renvoie aussi au mode de fixation réglementé des tarifs fixé par le droit européen qui oblige la France a sur-tarifer l’énergie produite par le nucléaire. Mais impossible à remettre en cause au regard du dogme européiste qui est un fondement idéologique du macronisme. Dès lors, on reste dans le vœu pieux et les effets de communication.

  • Qu’est-ce cela nous dit du macronisme et de la vision politique d’Emmanuel Macron ? Pourquoi Emmanuel Macron communique autant sans donner les moyens d’agir à son gouvernement ?

Depuis six ans, nous sommes habitués au mode de fonctionnement du macronisme. Plutôt que d’affronter la vérité et la réalité, le pouvoir politique ne cesse de fuir dans la grandiloquence. « J’incarne le goût des Français pour le romanesque » prétendait le chef de l’Etat nouvellement élu en 2017. Le macronisme consiste principalement à raconter aux Français une histoire, à forger un récit autour de son héros. Initialement, il prétendait refonder la France ou la transformer, mettre fin à « l’ancien monde » et ouvrir un nouveau monde. Nous avons eu « le grand débat » à l’issue de la crise des Gilets Jaunes. Puis nous avons eu « le monde d’après » pour sortir du premier confinement. Nous avons eu « les Cent Jours » qui suivaient le mouvement social contre la réforme des retraites. Désormais, un nouveau slogan : « changer la vie, en vrai ». Plutôt que de regarder humblement la réalité en face et de retrousser les manches, le pouvoir macronien s’enferme dans la grandiloquence, un culte de la personnalité et une logique de l’esbroufe qui ne font (presque) plus illusion.

  • Emmanuel Macron a-t-il tiré toutes les leçons de ces derniers mois après les émeutes et la crise des retraites et le bilan mitigé du cap des 100 jours ?  

 Non, il se comporte toujours de la même manière. Le macronisme repose depuis le début sur une personnalisation à outrance du pouvoir. L’image d’un homme se substitue de manière caricaturale au bien public ou à l’intérêt général. On aurait pu imaginer que l’absence de troisième mandat possible allait changer cette approche. C’est le contraire qui se produit. Dès lors, plutôt que de se remettre profondément en cause, à chaque crise, à chaque drame, le pouvoir macroniste s’enfonce toujours davantage dans l’autosatisfaction. La réalité ne compte pas. La seule chose qui importe, c’est l’image du chef. En dépit du bon sens le plus élémentaire, le pouvoir macronien se déclare satisfait de ces « cent jours » voués à l’apaisement. Toujours en dépit du bon sens le plus élémentaire, il présente la dernière crise des banlieue – qui a coûté un milliard d’euros en incendies, saccages et destructions – comme un succès du maintien de l’ordre. Le problème, c’est que le pouvoir macroniste qui s’enfonce dans le déni en permanence a perdu toute crédibilité aux yeux d’une immense majorité de Français : 87% selon un sondage ne sont pas convaincus par le succès des « cent jours ». Peu importe, non seulement le gouvernement est pour l’essentiel maintenu, avec sa première ministre, mais les quelques retouches qu’il comporte consistent à promouvoir des fidèles du président Macron. Les traits du macronisme semblent se durcir en vieillissant. La grandiloque se présente comme le masque d’une incapacité à accomplir des choix audacieux ou prendre des risques : dissoudre, recourir au référendum ou changer le gouvernement… Et puis toujours cet incroyable dédain de la sensibilité populaire : plus les signes d’un mécontentement profond du pays se multiplient, plus le macronisme, s’enferme dans la déconnexion. Il lui reste toutefois un atout essentiel : l’incroyable médiocrité des oppositions écartelées entre une timidité pathologique à son égard (ou admiration cachée) et naufrage dans la violence extrémiste ou démagogique.

Entretien réalisé pour Atlantico

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1 Comment

  1. Les 100 jours napoléoniens ont fini sur un désastre…mais avec la gloire et l’héroïsme !
    Les 100 jours Macroniens ne sont qu’un désastre supplémentaire (la routine depuis pas mal de temps) mais avec la déshonneur et la lâcheté.

    Fun Fact 🥳 : Bruno Le Maire un des pires ministres de l’économie au monde, peut-être le seul agissant délibérément contre les intérêts de son pays, est…l’un des ministres les plus populaires auprès des Français 🤡

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