Il aurait préféré qu’elle entre dans une colère noire, qu’elle braille, qu’elle gesticule, en vomissant des flots d’injures. Avant que les flots se tarissent, il se serait ressaisi, aurait trouvé le moyen de lui parler, de l’amadouer. Finalement, de capituler. Parce qu’il aurait capitulé. Aucun doute là-dessus. Les choses se seraient arrangées. Au lieu de ça, elle l’a salué d’un « au revoir » formel. Elle paraissait déçue. Déçue, Laulau, à cause de lui ! Comment se le pardonner ? Il n’y a rien de pire que décevoir ceux qu’on aime.
Elle s’est levée dignement, a marché d’un pas mesuré jusqu’à la porte vitrée qui a coulissé devant elle, comme on s’incline devant une reine, en rajoute Dominique, débordé par son cœur. N’empêche, persiste-t-il, qu’elle est sortie en souveraine. Le port altier. Superbe. Elle n’a même pas grimacé, comme à son habitude, quand le carillon de l’entrée lui a hurlé dans l’oreille. Déçue, mais pas abattue. Il l’a laissée partir et l’a suivie des yeux en commentant dans sa tête : Elle s’éloigne. Quelle allure ! Élégante et gracieuse dans son costume de rockeuse, elle les emmerde tous. Moi avec, a-t-il convenu. Et bien sûr, comme toujours, elle traverse sans regarder. La vie lui appartient ! Laurence est indestructible.
Il espérait qu’elle se retourne, piquée par une pointe de regret. Laulau ne se retourne pas. Laulau ne regrette pas. Elle avance. Et qui l’aime la suive. Il ne l’a pas suivie. Voilà ! Tout est fini.
Jamais il ne s’est senti aussi misérable et perdu que quand il ne l’a plus vue. Brusquement accablé par une solitude inédite. Non, il n’a pas le droit de s’infliger une peine pareille. De renoncer à elle. Il trouvera la solution. Ils la trouveront ensemble.
« Laurence ! Laurence ! » s’époumone-t-il, depuis le seuil du magasin.
Il la prend pour qui ? Pour une chienne ? S’il croit qu’elle va revenir, à son premier sifflet, il se trompe dans les grandes largeurs. Elle n’a besoin de personne. Elle, non. Bien sûr que non ! Mais peut-être Zaza, négocie sa raison. Même Zaza. On se débrouillera ! clôt-elle, tranchante, le débat. Et continue sans sourciller. Ce journaleux de mes deux ! Qui parle aux macchabées. Forcément, avec eux, c’est plus facile d’avoir raison ! Elle nourrit sa méchante humeur pour ne pas s’avouer que le refus de Dominique, sa défection, l’a blessée. Elle pensait qu’il l’aimait. Et même s’il l’aimait ! Ça va pas ? T’as l’Alzheimer ou quoi ? L’amour, plus jamais ça !
Dominique a pris son élan et la rattrape au coin de la rue.
« Putain, Laurence, merde, là, tu merdes », crie-t-il hors de ses gonds.
Laurence retient un éclat de rire. Elle le trouve mignon quand il jure. Il manque clairement de pratique.
« C’est ça, pour toi, l’amitié ? s’énerve Dominique. Un lien malsain entre un tyran et un béni-oui-oui ? Tu dictes et j’obéis ? »
Il ne se reconnaît pas, remonté comme un coucou. Comme un coucou ? Vraiment ? Si Laurence l’avait entendu, elle ne l’aurait pas raté. Comme quand elle lui a balancé : « Putain, Do, saute le pas, et entre au xxie siècle ». Ou quand elle l’a traité « d’anachronisme ambulant ». Elle adore se moquer de lui, de sa manière de s’exprimer. Elle a tellement d’humour. Un humour détonant. C’est pas le moment de s’attendrir !se rabroue-t-il car sa colère menace de retomber.
« Eh bien, si c’est comme ça, reprend-il son élan, je te le dis tout net : j’en veux pas de ton amitié. De ton amitié à la noix ! »
À la noix ? relève-t-il encore. Laurence aussi l’a relevé. S’ils n’étaient pas en pleine dispute… Sauf qu’ils sont en pleine dispute. Leur première vraie scène de ménage. Parle pas de malheur ! L’enfer ! Et pour conjurer le sort, elle crache deux fois par terre. Déconcentrant Dominique.
« Franchement, Laurence, c’est dégoûtant. Qu’est-ce qui te prend ? proteste-t-il.
– C’est rien, un chat dans la gorge. Continue. Je t’écoute. »
Dominique s’empresse d’enchaîner.
« Non, Madame, je n’ai pas besoin, tente-t-il un second essai, d’une telle amitié. »
Sérieusement, Dominique ?
« De ton amitié de merde, fonce-t-il dans l’inconnu. Oui, je dis bien de merde. Ton putain d’esclavage, tu peux te le mettre où je pense. Au cul, tu peux te le mettre ! ose-t-il préciser. Va te faire foutre, Laulau. »
Ces quelques phrases l’ont épuisé. Il réalise soudain qu’il lui a dit d’aller se faire foutre. Il n’arrive pas à le croire. N’a-t-il pas dépassé les bornes ? Même pour Laurence. Il doute. Il a trop peu d’expériences en matière d’explosion de rage et d’usage de l’insulte pour pouvoir en juger. En tout cas, elle a intérêt à ne pas jouer les chochottes. Il ne faut pas exagérer. C’est elle qui l’a entraîné sur ce terrain bourbeux. Merdeux, se corrige-t-il. Et elle le planterait pour outrage ? Ce serait culotté ! Pourtant, Laurence est encore là. Et elle semble attendre la suite. Gagné ! exulte-t-il.
« Bon alors, tu reviens ? Parce que j’ai tout laissé ouvert…
– T’as peur que tes morts se barrent ?
– Elle n’est pas neuve celle-là. Faudrait voir à pas radoter. Et un peu de respect, non mais. »
Encore un point marqué à l’aise – un tournant dans leur relation. Et avec un certain plaisir. Est-il en train de se découvrir un don insoupçonné pour le combat frontal ? Ce ne serait pas trop tôt. Ils repartent ensemble côte à côte. Retournent s’asseoir aux mêmes places. Se défient en silence.
« Donc ! attaque Dominique. Procédons avec méthode. Qu’est-ce qu’on tient, concrètement ? Elle t’a signé un contrat ? Pour embaucher Mamie Galère.
– Zaza et moi, un contrat ? Entre amies ? Tu délires ou quoi ? Franchement, si c’est ça, ta conception de l’amitié, je veux pas de la tienne non plus.
– Un contrat, ça n’a rien de sale. C’est un engagement. Pas seulement un garde-fou.
– Entre amis, on se fait confiance.
– Mais ça n’a rien à voir avec une histoire de confiance. Le mariage, par exemple.
– T’es décidé à faire chier.
– Arrête, c’est juste pour t’expliquer qu’amitié et contrats n’ont rien d’antagoniste.
– C’est ce que je dis. Tu fais chier. »
On dirait bien que le nouveau Dominique est arrivé. Un Dominique qui se rebiffe. Qui n’hésite pas à l’affronter. Elle a joué avec le feu. C’est le prix à payer. L’aime-t-elle plus docile ou rebelle ? Elle ne l’aime pas du tout. Ni comme ci, ni comme ça. Basta !
« Autrement dit, pas de contrat, la relance Dominique.
– Non.
– En gros, on n’a rien de concret.
– Ben si, les SMS.
– Tu parles de concret ! Enfin, vas-y, montre quand même.
– Non, mais ça va pas la tête ? Tu me parles sur un autre ton !
– Montre-les moi, s’il te plaît. »
© Judith Bat-Or
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