Le Thriller de l’été. “Liquidation à Pôle Emploi” -22- Judith Bat-Or

À l’instant fatidique du silence suspendu, Dominique s’est figé. Il aurait dû rebondir. Renvoyer habilement la balle. En tant qu’ancien journaliste, il maîtrise l’art de l’enchaînement. Pourtant, il a séché. La situation lui semblait inextricable, désespérée, lorsque, contre toute attente, Laurence a ajouté : « J’ai un mauvais pressentiment »… l’enfonçant plus encore. 

Il sent que se joue ici son avenir avec Laurence. Donc si, en toute logique, il a envie de lui répondre de ne pas s’inquiéter. Que tout paraît limpide. Que sa copine Zaza a dû changer d’avis. Qu’elle n’a pas envie d’en parler. Et surtout pas avec cette amie retrouvée. Dont elle craint le regard. Et le mépris sans doute aussi. Parce que Laurence a tendance à juger à l’emporte-pièce… Il sait qu’en le lui disant il signerait la fin de leur amitié fraîchement déclarée. Et bien sûr de l’amour dont il n’ose pas rêver. Un peu quand même. Mais en secret. En effet, comment éluder le sale coup du pressentiment ? Un argument massue dans la bouche de Laurence. 

Elle lui a exposé un jour sa théorie à ce sujet. Laurence et ses théories ! « Tu vois, ces trucs mystérieux qu’on ne peut pas expliquer, comme l’intuition, le rêve, les pressentiments, les réflexes… » – Dominique se rappelle avoir lâchement glissé sur les approximations – « … ces trucs à la limite magiques, tu vois ? Eh bien, tout le monde est d’accord qu’ils viennent du plus profond de nous. D’un endroit accessible à personne, même pas soi. À vingt mille lieues sous nos mers, quoi. Mais moi, je vais plus loin. Je dis que ce n’est pas seulement le plus profond de nous, mais notre nous tout court. Notre unique nous, vrai et entier. Enfoui sous des couches et des couches de conscience, d’inconscience, subconscience, ego et tout le bastringue, des écrans de fumée pour protéger le noyau de notre réacteur – elle est belle cette image. Tu ne trouves pas ? Moi si. J’aime son côté dangereux et fragile à la fois, tu vois. Touche pas à mon noyau ou je t’explose à la gueule. Tout ça pour protéger ce nous des mauvaises vibrations, des influences en général, négatives en particulier, qui risqueraient de le corrompre. Comme dit le fameux proverbe, pour vivre heureux vivons cachés. Si c’est pas de l’instinct de survie ! »

Dominique ne se souvient pas des détails de la suite, mais le message premier, il ne l’a pas oublié. Aussi, contester la justesse du pressentiment de Laurence revient dans son esprit à la contester, elle. À questionner son elle unique, vrai et entier. Étroit comme marge de manœuvre, sachant que Laulau ne connaît aucune nuance de gris entre tout noir et tout blanc. Aucun intermédiaire entre le pour et le contre. Avec ce « pressentiment », elle lui pose donc clairement la question de confiance. Au pied de ce mur-là, quel choix lui laisse-t-elle sinon celui d’abonder dans son sens ?

« Putain, Do ! explose-t-elle.  Qu’est-ce que tu fous ? Tu hibernes ?

– Attends, sursaute Dominique. Je réfléchis aux hypothèses.

– T’es con ou quoi ? Quelles hypothèses ?

– Eh bien, les raisons possibles, avance-t-il à tâtons… de ses explications bidon. Par exemple, admettons, rame-t-il, que Zaza soit tombée malade. 

– Malade ? N’importe quoi. Si t’es malade, au contraire, tu le cries sur les toits. Pour te faire dorloter… »

Dominique note au vol cette précieuse révélation : quand Laurence est malade, elle aime se laisser dorloter.

« … Et tu ne balades pas tes amis avec des salades et des voyages autour du monde. Partir du jour au lendemain. Moi oui. Zaza jamais. »

Autre révélation, que Dominique note aussi, cette fois le cœur serré : Laurence pourrait disparaître de sa vie du jour au lendemain. Mais pour l’instant, elle est là. Il ferait mieux de l’écouter.

« Je suis certaine, conclut Laulau, que le problème de Zaza n’est pas une vulgaire gastro. Ni même une maladie honteuse. Parce qu’avec moi, tu vois, même d’une maladie honteuse, elle n’aurait pas honte, ma Zaza. Vraiment, plus j’y réfléchis, plus ça me préoccupe, je te jure, Do. Pourtant, je suis pas hystérique.

– Sûrement pas hystérique, sourit Dominique, ambigu.

– Tu te moques, là ? grogne-t-elle.

– Non, voyons, absolument pas. D’où tu sors ça ? » se défend-il, ravalant sa pointe d’ironie. Et, pour se rattraper, il change à la hâte de sujet. « Quoi que tu veuilles, Laulau, tu peux compter sur moi.

– Si je ne me retenais pas, je t’embrasserais », bondit Laulau, et se rassoit aussitôt.

Elle l’aurait embrassé ?! Dominique serait chaviré à la pensée de ce baiser s’il ne se demandait dans quoi il vient de s’embarquer. Il préfère l’ignorer encore.

« T’es génial, Do, merci ! poursuit Laurence, enthousiaste. J’en étais sûre, d’ailleurs. Tu ne le regretteras pas. »

Il le regrette déjà. Il a comme un pressentiment… Décidément, aujourd’hui !

« Alors, c’est quoi ton idée ?

– Ultra facile, tu vas voir. Tu entres chez Zaza. Par effraction, évidemment. Moi, je n’y arriverais pas. Les murs sont vachement trop hauts. Et puis, la varappe en talons, faut pas exagérer. Mais pour toi, vu comme t’es bâti, le flatte-t-elle à dessein, ce sera du gâteau. Pendant ce temps, je fais le guet. J’ai déjà repéré la commère du quartier, je la neutraliserai. Avec doigté, t’inquiète. Ensuite, tu m’ouvres, et voilà. Une fois à l’intérieur, je la cherche, je la trouve. Tu peux rester au cas où. Si tu veux. T’es pas obligé. Tu en auras fait assez… »

Le temps de récupérer de l’effet de surprise, Dominique lui reprend la main. 

« Attends, Laulau, je te suis plus. Revenons en arrière. Pour le plan, c’est prématuré. Je t’ai demandé ton “idée”, appuie-t-il sur ce dernier mot. Pas ton “plan ”, tu comprends. 

– Tu fais chier, là, à pinailler…

– Bon, alors, d’après toi, il lui arrive quoi à Zaza ? Quelle est ton interprétation de la situation ?

– Tu crois que je serais venue te déranger en plein boulot avec juste une idée ? Une interprétation ?!

– Eh bien…

– Cette fois, c’était rhétorique. T’es lent, dis donc, aujourd’hui. Bien sûr que je n’ai pas juste une idée sur la question. J’ai une certitude. Une idée ! » marmonne-t-elle, avant de poursuivre à pleine voix. « Voilà ce qui s’est passé. Zaza a prévenu son fils qu’elle allait vendre la maison. Le fils a essayé de l’en dissuader. Elle n’a pas voulu en démordre. Alors, pour l’en empêcher, il lui a ordonné de couper les ponts avec moi. Ou peut-être… Oh putain ! Mais oui, c’est évident. Il lui a piqué son portable. Et m’a écrit à sa place. Tous ces SMS à la con, c’était lui ! Oh, l’enfoiré ! Je vais m’le faire, ce salopard. Depuis, il la séquestre, contre sa volonté. 

– Par définition, séquestrer…

– Je sais ça, merde ! Putain, t’es lourd. Autrement dit Zaza est retenue prisonnière. Pour une sordide histoire d’argent. D’héritage. De confort. Parce que cet horrible fils n’a pas envie de vivre seul. Et de devoir se débrouiller. Si tu le voyais, son Hugo ! Un merdeux puant, prétentieux, cet enfant de salaud ! Bien dans la lignée de son père. Je ne l’ai jamais rencontré. Mais vu les dégâts sur Zaza, ce mari soi-disant parfait était une sacrée pourriture. Et ne viens pas me balancer ma tendance à avoir des jugements à l’emporte-pièce. Je ne suis peut-être pas psy, mais j’ai de l’intuition. Et je connais assez Zaza pour savoir que jamais elle n’aurait disparu sans me donner de nouvelles. »

Sans mollir, elle fait abstraction des trente dernières années, de silence et d’absence, remarque Dominique malgré lui, avant de corriger le tir : Abonder dans son sens. Abonder dans son sens. Quand même, résiste-t-il, prétendre après si longtemps connaître encore quelqu’un ! N’est-ce pas nier la vie ? Sa force d’érosion ? Le poids de ses enseignements ? Les gens ont le droit d’évoluer. Et de se bonifier. Il l’espère, en tout cas. Il détesterait ressembler au Dominique de sa jeunesse. Égocentrique sur les bords. Froid, coincé, ambitieux. Snob aussi. Oh mon Dieu ! Le « merdeux puant prétentieux » correspondrait assez à celui qu’il était alors. Si Laulau l’avait rencontré quand il avait vingt ans, elle l’aurait détesté. Il l’aurait certainement détestée en retour. Passant à côté d’une rencontre, merveilleuse, extraordinaire. Combien de ces rencontres a-t-il ratées par distraction ? Par dédain ? Stop ! s’ordonne-t-il, pris de vertige. A-t-il vraiment changé ? 

À part les rides, la calvitie et les poignées d’amour, s’assène-t-il au passage, il a quitté son métier, son beau quartier, ses amis – Seulement des accointances, des relations de circonstances. En existe-t-il d’autres, d’ailleurs ? Passons, ce n’est pas le moment !

En quoi a-t-il changé vraiment ? insiste-t-il, décidé à ne pas se ménager. D’abord, il s’est décoincé, avance-t-il timidement. Déjà prêt à reculer. Finalement, il se l’accorde. Il a aussi gagné en générosité. En empathie. Et en souplesse ! Par exemple, il tolère les intrusions de Laurence. Il les apprécie même quand elles le déstabilisent. Oui, mais Laurence ne compte pas. Parce qu’elle compte trop, justement. Pour elle, il serait prêt à tout, s’égare-t-il un instant. Si ce n’est pas dommage de découvrir l’amour quand on n’a plus rien à offrir qu’un corps flapi, une âme aigrie… Toujours à te dénigrer, s’interrompt-il, mécontent. Toujours à te diminuer. De ce côté, rien n’a changé. Il va falloir t’en occuper. Parce que, franchement, c’est pas sexy !

« Ého, t’es où ? l’appelle Laurence.

– J’en suis à la séquestration. C’est grave, comme accusation.

– C’est sûr que pour un scoop pareil, j’avais besoin d’un journaleux. »

Elle pile brusquement, désolée.

« Excuse, Do, je m’emballe. Tu as raison, bien sûr. La situation est très grave. C’est justement ça, le problème. Et surtout, n’essaie pas de dédramatiser. Ou de me raconter qu’elle a changé d’avis. Qu’elle craint de m’affronter. Ou ce genre de conneries.

– Non, non. Bien sûr que non. 

– Alors, maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

– D’abord, on fait le point.

– Très bien, alors, vas-y.

– Très bien, alors, j’y vais, commence-t-il sur des œufs. Admettons que tu aies raison…

Et le premier œuf casse.

« Comment ça, admettons ? s’écrie Laurence. Tu ne crois pas…

– Si, attends, ma langue a fourché. Je voulais dire “étant donné”. Étant donné que Zaza est séquestrée par son fils, dans sa propre maison, si aucun proche ne s’en inquiète, je veux dire à part toi, qui n’es pas une proche à proprement parler… Même si… Tu vois… Disons que côté police… Comment veux-tu le prouver ? 

– Mais on s’en fout de la police. Et on s’en fout de le prouver. On veut la libérer, putain !, tu sais pas écouter ?! Tu entres dans la maison pendant l’absence du fils. Et après si on veut, on va parler à la police. Pour qu’il paie, ce salaud. Mais plus besoin de rien prouver. On est avec Zaza, tu vois. On a son témoignage.

– Entrer par effraction. En plein jour par-dessus le marché. Je ne sais pas. Je ne crois pas… patauge Dominique, tiraillé entre la raison et l’envie de dire oui à Laurence.

– Tu crois quoi, Do. Dépêche. Au cas où t’aurais pas compris, il s’agit d’une urgence. 

– Pas tout à fait quand même. Une séquestration sans violences… Je crois, moi, au contraire qu’il vaudrait mieux laisser aux choses le temps de s’apaiser. Telle que tu la décris, Zaza a de la ressource. Elle saura raisonner son fils. Il la libérera. Et elle te recontactera.

– C’est-à-dire non, Dominique ? Tu ne veux pas y aller ?

– Je voudrais bien, mais, tu vois…  je pense…

– C’est bon, Do, laisse tomber. Merci. Je me démerderai. »

© Judith Bat-Or

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