Quelque temps avant l’exil.
Une chaude soirée d’été à Tunis.
Ça embaume le jasmin.
Dans le patio, il fait plus frais, Lila à préparé plusieurs brocs de citronnade.
Des voisins sont passés, les conversations vont bon train sur la « situation ».
Bourguiba est-il bon pour nous ?
Pourquoi partir ? Nous sommes là depuis si longtemps. Qui s’occupera de nos cimetières et de nos morts ?
Il faudra laisser nos maisons et nos souvenirs.
Et où partir ?
Bien sûr la France.
Ou Israël, ce pays inconnu.
…
J’ai du trébucher au moins deux fois, je commence, à peine, à apprendre à marcher.
Cette fois-ci, j’ai décidé de rester par terre à pleurnicher.
Personne ne fait attention à moi, la conversation s’est emballée.
Nous sommes avant tout des Tunisiens, martèle celui-là, et nous nous sommes toujours bien entendus avec nos voisins musulmans.
Nous resterons des juifs, ils nous tolèrent c’est tout, lui répond mon oncle.
Lila s’est levé difficilement, elle se fait vieille.
Elle m’a assis sur ses genoux.
Lila est très belle avec ses yeux clairs et ses cheveux fins qu’elle enserre dans un foulard.
Elle est d’origine berbère, cette terre est la sienne, elle ne comprend pas ce débat.
Elle me fait un peu peur avec son regard sévère, mais ses mains sont douces et les quelques mots en judéo-arabe qu’elle m’a chuchoté à l’oreille, ont suffit à me calmer.
Lila est mon arrière-grand-mère.
J’habite chez elle quand mes parents s’absentent.
C’est elle la chef du clan, tout le monde lui obéit.
Elle m’appelle « yeled zrir », le petit enfant.
Elle a décidé qu’il était l’heure d’aller se coucher, les voisins prennent congé. Il sera encore temps demain de décider si il faut faire nos valises.
…
J’ai du m’endormir très rapidement, sans entendre la mélopée que m’a chanté Lila au dessus de mon lit.
…
Je ne retournerai jamais en Tunisie.
Ce pays a sombré en moi.
Ou alors, juste une fois pour déposer une pierre sur la tombe de Lila.
© Daniel Sarfati
C’est un déchirement l’exil, tout quitter tout abandonner ,les souvenirs de la douceur, des odeurs, et continuer à vivre quand même ailleurs. Lila, la grand-mére de Daniel Sarfati qui poètise ses souvenirs.
Simplement beau !.
La nostalgie est la maladie infantile de l’exil.