Pour le philosophe, « l’échec de l’intégration républicaine est dû en grande partie aux défaillances du système éducatif français ».
Des véhicules incendiés à l’issue d’une marche blanche en hommage à Nahel, le 29 juin 2023 à Nanterre. © Bertrand Guay AFP
« Racisme systémique », « ensauvagement de la société », « immigration massive » et même « jeux vidéos »… Après la mort de Nahel, tué par un tir policier le 27 juin, toutes sortes d’analyses-slogans ont été mises sur la table pour tenter d’expliquer ce drame et les émeutes qui s’en sont suivies. Quinze jours après, le philosophe, politiste et historien des idées Pierre-André Taguieff livre son analyse de l’état de la société française pour L’Express : ses fractures sur la question de l’antiracisme, les défaillances de son système éducatif, les manques de la classe intellectuelle et politique – parmi lesquels « le courage de dire la vérité ».
« Il faudrait bien plutôt décrire l’observable avec un souci d’objectivité, puis s’efforcer d’expliquer et de comprendre, recommande l’auteur de Où va l’antiracisme ? Pour ou contre l’universalisme (Hermann, 2023). L’esprit d’indignation et le goût de la dénonciation ne doivent pas chasser le désir de connaître et d’agir en connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissance des causes. Sinon, nous verrions s’installer une société formée d’indignés hyperboliques et impuissants qui, appartenant à des camps opposés, s’ostraciseraient les uns les autres. Nous avons déjà un pied dans cette société répulsive ». Entretien.
L’Express : Qu’avez-vous pensé du traitement de la mort de Nahel par les médias anglo-saxons ? Le New York Times a rapproché dans un article la mort de Nahel et l’interdiction du hidjab dans le football féminin, CNN a interviewé la journaliste Rokhaya Diallo, et la chaîne anglaise Channel 4 a sollicité Juan Branco, qui a déclaré que « tout le monde sait que la France est ségréguée »…
Pierre-André Taguieff A quelques exceptions près, les médias anglo-saxons postulent que le système multiculturaliste ou multicommunautariste, celui dans lequel ils vivent et pensent, est le meilleur, notamment parce qu’il ferait obstacle au racisme et à l’islamophobie en institutionnalisant le principe normatif du « vivre ensemble avec nos différences », celles-ci étant considérées comme bonnes en elles-mêmes et donc intouchables. Il s’ensuit que le républicanisme à la française, qui se veut indifférent à la couleur de peau et hostile au culte des identités ethnoculturelles d’origine, apparaît comme un contre-modèle politique, rituellement dénoncé comme intolérant et porteur de racisme et d’islamophobie. Dans cette perspective, l’idée d’une intégration assimilatrice, condition de l’unité et de la cohésion nationales, est criminalisée. Telle est la réaction francophobe spontanée de ces médias qui se montrent ainsi incapables de prendre de la distance à l’égard de leur ethnocentrisme. Leur modèle multicommunautariste, en dépit de ses dysfonctionnements, leur paraît supérieur à tous les autres. Ce qui est vrai, c’est que le refus de toute racialisation ou ethnicisation de la citoyenneté est au cœur de la tradition républicaine française. C’est ce qu’ils stigmatisent, par une inversion singulièrement perverse, comme exprimant le « racisme systémique » de la société française.
L’accusation de « racisme systémique » (institutionnel ou structurel) visant la France républicaine est d’autant plus cocasse que ce concept a été forgé aux Etats-Unis à la fin des années 1960 par des intellectuels révolutionnaires et des universitaires antiracistes, à partir d’une observation du système sociopolitique racialisé étatsunien, qui avait hérité des pratiques de ségrégation et de discrimination dont les Afro-américains étaient encore les victimes.D’où les mesures de discrimination positive (affirmative action) prises dans les années 1970, dont les effets pervers ont été depuis mis en évidence. Il s’agit donc d’une projection sur la société française d’un modèle sociologique proprement étatsunien, utilisé depuis plus d’un demi-siècle par les critiques les plus radicaux de la société américaine, berceau des émeutes raciales allant de pair avec des violences policières exprimant le racisme anti-Noir.
Qu’est-il arrivé à l’antiracisme ?
Le néo-antiracisme identitaire et racialiste est le résultat de la conjonction de plusieurs phénomènes ou de processus de divers ordres, qui sont les chemins par lesquels s’est opéré le dévoiement de l’antiracisme. Le premier phénomène est l’extension sans limites du champ de ce qu’on appelle « racisme », et donc la multiplication sans fin des catégories de « victimes du racisme ». Le second est l’érection du racisme, généralement associé au sexisme et à l’homophobie (ou à la « haine anti-LGBTQIA + « ), en principe d’explication de la plupart des maux sociaux. Le troisième est le recours à l’accusation de « racisme » pour délégitimer, diaboliser ou criminaliser les contradicteurs ou les concurrents dans l’espace idéologico-politique, en utilisant ces armes redoutables que sont l’indignation morale et la reductio ad Hitlerum. Le quatrième est la transformation de la lutte contre le racisme en chasses aux sorcières lancées, avec cynisme ou fanatisme, contre n’importe quel adversaire, traité comme un ennemi absolu. Le cinquième est la centration croissante de la lutte contre le racisme sur la lutte contre l’ »islamophobie », catégorie d’amalgame empruntée aux idéologues islamistes, puis légitimée par des universitaires d’extrême gauche, et qui permet de disqualifier toute critique de l’islamisme sous ses différentes formes. Le sixième est le rejet et la dénonciation de l’exigence d’universalité, disons l’universalisme, comme une forme idéologiquement acceptable de racisme, et donc particulièrement trompeuse et perverse.
Dans votre dernier ouvrage, « Où va l’antiracisme ?« , vous écrivez que « cet’antiracisme politique’n’est autre qu’une machine de guerre contre’les Blancs’et la’société blanche' »…
Les néo-antiracistes se reconnaissent à leur redéfinition du racisme comme une invention des seules « sociétés blanches », disons européennes ou occidentales, supposées hostiles par nature et culture aux identités et aux différences « non blanches ». Ils ne voient l’ethnocentrisme que dans l’œil du « Blanc ». Il s’ensuit qu’ils ne peuvent concevoir la lutte contre le racisme que comme un combat permanent contre les traits supposés desdites « sociétés blanches », qui professent une vision universaliste supposée porteuse de racisme. Mais essentialiser et criminaliser dans son ensemble le « monde blanc », c’est à la fois racialiser la perception de la diversité humaine et faire du racisme anti-Blanc, en le sachant ou non. Le résultat de ces opérations idéologiques est le surgissement de ce que j’appelle le néo-antiracisme identitaire et racialiste. Ses promoteurs se concentrent dans certaines associations, dans divers secteurs des sciences sociales, et bien sûr dans la plupart des partis ou des groupuscules d’extrême gauche, ralliés à l’idéologie décolonialiste et à la « théorie critique de la race », professant que l’islamophobie est désormais la forme principale du racisme et maniant la baguette magique qu’est l’intersectionnalité (incluant la fumeuse « théorie du genre »).
Dans l’imaginaire militant, le « racisme » ainsi redéfini incarne le diable. Les ruses et les masques du « racisme » étant supposés innombrables, les néo-antiracistes, jouant les démystificateurs, donnent dans la paranoïa routinisée et dans le complotisme. A leurs yeux, le racisme est partout et explique tout ou presque. Mais surtout, cette construction polémique et diabolisante du « racisme », figure du Mal, permet de justifier le recours à tous les moyens pour lutter contre les discours, les attitudes et les comportements qualifiés de « racistes ». D’où ce mélange de fanatisme, de mauvaise foi et de volonté de censure qu’on rencontre dans les campagnes lancées et orchestrées par les milieux néo-antiracistes, qui, en France, prennent modèle, depuis les années 2000, sur les mobilisations contre les violences policières étatsuniennes associées aux émeutes raciales devenues rituelles, sur la base d’analogies douteuses et en avançant divers prétextes.
“L’affaiblissement croissant du consensus de base sur la laïcité fait partie du tableau d’une France menacée de dissociation conflictuelle sur divers plans, si ce n’est de guerre civile”
Certains ont rapproché la mort de Nahel de celle de George Floyd aux Etats-Unis. Ce parallèle vous semble-t-il opportun ?
L’analogie, plus que douteuse, a principalement une visée polémique : assimiler la société française à la société américaine, dénoncée comme intrinsèquement raciste. Il s’agit de faire passer dans le champ des évidences, sans attendre les résultats de l’enquête, l’idée que Nahel aurait été assassiné en raison de ses origines ethniques, et donc que le policier responsable de sa mort l’aurait exécuté en raison de ses propres convictions racistes, reflétant elles-mêmes le « racisme systémique » de la société française ou le « racisme d’Etat français » dont la police serait le bras armé. C’est là un argument caractéristique de la mauvaise foi idéologisée qui tient lieu de pensée critique dans les mouvances néo-gauchistes et joue le rôle d’une grille de lecture des événements dans lesquels la police se trouve aux prises avec des délinquants issus de l’immigration, en particulier s’ils sont de culture musulmane.
Au cours des émeutes qui ont suivi la mort de Nahel, la haine ultravisible de la police s’est accompagnée d’une haine moins visible, celle des juifs. Le 29 juin 2023, à Nanterre, lors de la marche blanche pour Nahel qui s’est terminée par des violences, des émeutiers ont tagué « On va vous faire une Shoah ! » non loin du Mémorial des Martyrs de la Résistance et de la Déportation.
L’extrême droite a abordé le débat sur les émeutes sous le prisme de l’immigration, alors que, comme l’a rappelé Gérald Darmanin, 90 % des personnes interpellées lors des révoltes sont françaises. A l’extrême gauche, certains interprètent ces émeutes comme une réaction au « racisme systémique ». Quel est le facteur clef à prendre en compte pour comprendre ces soulèvements ?
Ce sont là deux visions qui occultent le problème qui s’impose brutalement à nous. S’il est un fait bien établi et fortement inquiétant, mais qui reste à analyser sérieusement, c’est la dynamique de la division et de la partition observable en France, qu’elle soit sociale, territoriale ou culturelle. Le problème vient de ce qu’on n’observe pas seulement un échec de l’intégration d’une partie des populations issues de l’immigration extra-européenne, disons la non-intégration de fait d’une partie de la population française. On observe aussi et surtout dans ces populations un refus rageur de l’intégration, qui s’exprime par des révoltes ou des émeutes accompagnées de pillages, dans lesquelles on pourrait voir un mouvement anti-intégrationniste dont se réjouissent autant les partisans du multiculturalisme et de la société pluriethnique que les militants révolutionnaires. Ce refus de l’intégration ne se limite plus aux diatribes des intellectuels gauchistes contre l’assimilation à la française, dénoncée comme un mode de déculturation raciste des populations immigrées, appelées à oublier leurs identités culturelles respectives et ainsi à accepter leur « ethnocide ».
Voilà le fait majeur dont les causes sont multiples : le surgissement dans la population française, dont témoignent notamment les émeutes, d’une partition ou d’une sécession, sur la base de mouvements d’auto-ségrégation de citoyens français se sentant étrangers à la France républicaine et à ses valeurs. Avoir la citoyenneté française n’implique plus de se sentir français, c’est-à-dire de reconnaître comme sienne l’identité française (notion qui, certes, ne va pas de soi, mais c’est là un autre débat). Et ceux qui se sentent étrangers à la France, ces étrangers de l’intérieur, peuvent devenir des ennemis de la France. C’est là ce qui justifie le recours à la notion, certes contestable dans ses emplois polémiques, de l’ »ennemi intérieur ». L’un des indices de cette sécession politico-culturelle est la dénonciation virulente de la laïcité comme instrument du « racisme anti-musulmans » ou de l’islamophobie par des islamistes comme par des idéologues qu’on peut qualifier d’islamophiles et d’immigrationnistes, faisant partie de telle ou telle mouvance néo-gauchiste ou de ce que j’appelle la « gauche gauchiste », dont les représentants se sont installés dans les universités, ont envahi certaines disciplines universitaires et pris le pouvoir dans nombre de centres de recherche en sciences sociales. L’affaiblissement croissant du consensus de base sur la laïcité fait partie du tableau d’une France menacée de dissociation conflictuelle sur divers plans, si ce n’est de guerre civile.
Le président de la République a appelé « tous les parents à la responsabilité » qui, selon lui, doivent garder leurs enfants à la maison… Qu’en avez-vous pensé ?
La question posée est celle de l’autorité, qui suppose qu’il y ait des détenteurs reconnus de l’autorité et qu’ils aient les moyens de l’exercer. Or, les parents sont de quatre types : les responsables, les irresponsables, les complices et les dépassés. Encore faut-il tenir compte des familles monoparentales, dans lesquelles les mères sont loin de pouvoir exercer leur autorité. L’exhortation du président Macron ne s’adresse qu’aux parents responsables et sachant ou pouvant faire preuve d’autorité, ce qui revient à donner un coup d’épée dans l’eau.
Comment interprétez-vous le rapprochement opéré entre plusieurs militantismes, tels l’écologie, le féminisme, l’anticapitalisme, avec les émeutes en banlieue ?
L’internationale communiste est morte mais son fantôme continue de hanter le monde politique et intellectuel. Le communisme fonctionne comme une bombe à fragmentation aux effets retardés. On en trouve des éclats et des échos dans toutes les nouvelles idéologies et toutes les mobilisations de style contestataire-radical qu’on rencontre dans l’espace néo-gauchiste : écologisme gnostique, postcolonialisme, décolonialisme, néo-féminisme intersectionnel (à la fois éco-féministe et éco-décolonialiste), néo-antiracisme racialiste ou identitaire (et anti-occidental ou anti-Blanc), etc. Dans l’univers de leurs abstractions séduisantes, les militants néo-gauchistes ont ajouté à la classe non seulement le genre et la terre mais aussi, d’une façon inattendue, la race et la religion, socles d’identités victimaires devenues motifs déclencheurs de revendications, de révoltes et d’émeutes.
On observe à la fois des convergences et des alliances tactico-stratégiques entre les mouvances néo-gauchistes, qui toutes prétendent être « antifascistes » et « antiracistes », et, à ce titre, s’engagent dans la défense des musulmans présentés comme les victimes de l’ »islamophobie », ce nouveau racisme imaginaire dont la dénonciation litanique est destinée à faire oublier la réalité de la menace islamo-terroriste. La réorientation de l’antiracisme interfère avec la stratégie politico-culturelle des multiples associations créées par les Frères musulmans, dont l’objectif consiste soit à infiltrer certains mouvements antiracistes, soit à se donner le visage d’organisations antiracistes. Placée au cœur de l’antiracisme, la « lutte contre l’islamophobie » se métamorphose ainsi en mode de légitimation de l’islamisme.
Faut-il voir dans ces « convergences » la cause des multiples « soulèvements » auxquels nous assistons ?
Le culte des « soulèvements » résulte de ces convergences et de ces alliances. Lesdits « soulèvements » sont célébrés comme « spontanés » et interprétés comme des insurrections de « ceux d’en bas » (supposés « racisés ») contre « ceux d’en haut ». Au misérabilisme victimaire ethnicisé du discours sur les « quartiers populaires » s’ajoute ainsi un populisme racialisé appelant les nouveaux « damnés de la terre » à se révolter. Percevant comme une « divine surprise » les émeutes déclenchées par la mort de Nahel en ce qu’elles remettraient « la question raciale au centre du débat politique », le Parti des Indigènes de la République salue le 4 juillet 2023 ce « soulèvement de la jeunesse indigène » et appelle à « soutenir cette révolte contre l’ordre racial » [sic].
Les adeptes de ce culte néo-révolutionnaire sont moins obsédés par l’exploitation, chère à leurs ancêtres marxistes, que par la domination, qu’elle soit de genre ou de sexe, de race, d’ethnie ou de religion. Toutes ces mouvances ont pour ennemi commun l’ensemble flou formé par les démocraties libérales-pluralistes occidentales et le capitalisme globalisé ou le « néolibéralisme » – catégorie d’amalgame d’usage polémique qui, synonyme vague de « mondialisation marchande », de « libéralisme autoritaire », de « capitalisme financier » ou de « fondamentalisme du marché » (quatre expressions polémiques), est dénuée de contenu conceptuel. Mais la vacuité conceptuelle n’a jamais été un obstacle empêchant les fanatiques et les démagogues de séduire et de mobiliser les foules, en exploitant les inquiétudes, les frustrations et les ressentiments (« c’est leur faute si… »).
“La concentration de populations pauvres et d’origine extra-européenne dans les « quartiers populaires » n’est assurément pas faite pour faciliter leur intégration.”
Alors comment refaire société ?
Il n’y a bien sûr pas de recette miracle. Qu’on parle de décivilisation, d’ensauvagement de la société, de désocialisation ou de désaffiliation, on découvre à l’analyse qu’il s’agit de phénomènes multifactoriels, ce qui complique les modes d’action envisageables, dont par ailleurs les effets pervers sont bien connus. Dénoncer par exemple, avec de grands gestes d’indignation, la banalisation ou la légitimation de la violence, c’est à la fois inquiéter les citoyens et fournir des alibis aux délinquants et aux professionnels de la violence « révolutionnaire », qui se sentent portés par le vent de l’Histoire.
On a souvent pointé les responsabilités de la classe politique. Quelles sont-elles ?
Le courage de dire la vérité est celui qui manque le plus dans la classe intellectuelle comme dans la classe politique. Il faut bien sûr, comme on nous y invite régulièrement avec les clichés requis, voir et dire ce que l’on voit, et dénoncer le déni des faits lorsqu’ils sont bien établis. Il faut donc résister fermement à l’intimidation idéologique, ce qui ne va pas sans prise de risque – la diabolisation suivie d’une ostracisation. Mais il est regrettable de voir tant d’intellectuels, qui refusent pourtant courageusement de garder les yeux fermés sur les processus de dislocation de la société française, se contenter de ressasser un petit nombre de formules magiques (comme le « voir ce que l’on voit » emprunté à Péguy), remplaçant ainsi la critique rationnelle par la leçon de morale, l’imprécation et le discours sloganique. Car l’on sait que ce que l’on croit voir est souvent ce que les médias nous donnent à voir et que les réseaux sociaux nous incitent à croire. Point de vérité sans critique préalable des évidences trompeuses qui circulent.
Il faudrait bien plutôt décrire l’observable avec un souci d’objectivité, puis s’efforcer d’expliquer et de comprendre. L’esprit d’indignation et le goût de la dénonciation ne doivent pas chasser le désir de connaître et d’agir en connaissance de cause, c’est-à-dire en connaissance des causes. Sinon, nous verrions s’installer une société formée d’indignés hyperboliques et impuissants qui, appartenant à des camps opposés, s’ostraciseraient les uns les autres. Nous avons déjà un pied dans cette société répulsive.
Le réalisme politique, qui implique une forme de sagesse pratique, doit commencer par rejeter la tentation de l’angélisme ainsi que les visions optimistes et utopiques qu’il inspire, cet angélisme qui est l’opium des dirigeants politiques et fait pendant à l’apocalyptisme, cet opium des opposants politiques. Le pessimisme méthodologique que le réalisme politique implique fonde la stratégie baptisée « catastrophisme éclairé » par le philosophe Jean-Pierre Dupuy au début des années 2000. Il s’agit d’envisager non pas le mieux (la fiction d’une société idéale sans haine, ni pauvreté, ni discrimination), mais le pire afin qu’il ne se produise pas et qu’on se donne les moyens de le combattre. Or, le pire, dans l’ordre du politique, c’est la sécession et le séparatisme, la partition et la dislocation de la communauté nationale.
Quelles devraient être, dans ce cas, les préoccupations prioritaires de la classe politique ?
Comme l’échec de l’intégration républicaine est dû en grande partie aux défaillances du système éducatif français, les dirigeants politiques lucides et courageux devraient commencer par imaginer les réformes nécessaires et les mettre en application, sans se contenter des bavardages officiels vertueux sur « l’inclusion scolaire ». Mais ils devraient aussi, parallèlement, se préoccuper des facteurs socio-économiques de ce relatif échec de l’école, qui sont les mécanismes de ségrégation urbaine et la concentration de problèmes dans les quartiers ghettoïsés (pauvreté, économie parallèle liée au trafic de stupéfiants, etc.). La concentration de populations pauvres et d’origine extra-européenne dans les « quartiers populaires » n’est assurément pas faite pour faciliter leur intégration.
Enfin, la politique migratoire doit être refondue dans le sens d’une restriction et d’un contrôle strict de l’immigration légale et d’une lutte efficace contre le détournement du droit d’asile ainsi que contre l’immigration dite irrégulière ou clandestine. Mais les projets d’une politique réaliste et responsable de l’immigration se heurtent depuis un demi-siècle à des groupes de pression et des lobbies exerçant avec succès une intimidation permanente à base d’indignation morale instrumentalisant la compassion et l’invocation des droits humains. Voilà l’obstacle.
Propos recueillis par Alix L’Hospital
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