Alain Finkielkraut: « Après les émeutes, si on veut rester fréquentable, il ne faut surtout pas dire ce qu’on voit »

Alain Finkielkraut.  Fabien Clairefond

Entretien avec Eugénie Bastié

GRAND ENTRETIEN – « Même quand le réel saute à la figure, comme pendant ces émeutes de juillet 2023, il est toujours aussi difficile de le regarder en face », déplore le philosophe.

À l’heure où Gérald Darmanin nous transporte «dans une réalité parallèle» et où les accusations de racisme fusent à l’encontre de quiconque pointe la haine de la France scandée par certains émeutiers, il ne faut pas sacrifier la vérité sur l’autel des fausses morales. De cet épisode, l’académicien retient aussi la stratégie délibérée de La France insoumise, qui table sur le changement démographique pour arriver au pouvoir et s’enfonce dans le clientélisme. Pourtant, le constat s’impose, selon lui: les événements récents ont montré que la désintégration menaçait notre pays, et que, sans un ralentissement des flux migratoires, elle deviendra inéluctable.

LE FIGARO. – Les émeutes ont-elles été, selon vous, un moment de prise de conscience politique et médiatique? Est-ce, selon vous, un moment charnière dans la fin de l’aveuglement d’une partie de notre élite? Qu’est-ce qui a changé depuis 2005?

Alain FINKIELKRAUT. – Il est toujours aussi difficile de regarder la réalité en face. Si, comme l’ex-directeur de la DGSE Pierre Brochand dans Le Figaro , vous qualifiez les six jours d’émeutes de «soulèvement contre l’État national français d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne présente sur son territoire», votre compte est bon: vous êtes raciste, l’élite médiatique et culturelle imprime la nouvelle lettre écarlate sur tout ce que vous faites et tout ce que vous êtes.

L’antiracisme ne relève plus de l’éthique. C’est devenu, pour notre malheur, une mascarade et un moyen d’intimidation. Pour avoir osé rapporter que certains émeutiers criaient leur haine de la France et brûlaient le drapeau tricolore, François-Xavier Bellamy est accusé par le quotidien de référence de propager la «vieille rhétorique de l’extrême droite». Si on veut rester fréquentable en 2023 comme en 2005, il ne faut surtout pas dire ce qu’on voit. Nous sommes mis en demeure, au nom du Bien, de parler faux. Mais qu’est-ce qu’une morale qui exige le sacrifice de la vérité?

« Il y a eu beaucoup de Kevin et de Matteo », a déclaré Gérald Darmanin, récusant « l’explication seulement identitaire des émeutes urbaines » . Que vous inspire cette saillie?

Cette saillie, comme vous dites, rappelle les propos du ministre de l’Intérieur après les incidents du Stade de France lors du match Liverpool-Real Madrid. Kevin et Matteo sont les dignes successeurs des supporteurs anglais, et nous sommes, une fois encore, transportés dans une réalité parallèle. Avec ces deux prénoms, en outre, Gérald Darmanin signe, sans même s’en apercevoir, l’acte de décès de la France de Claude Sautet. Ce ne sont plus Vincent, François, Paul, Pierre ou Jacques qui viennent spontanément à l’idée. Entre islamisation et mondialisation, notre société saute à pieds joints dans l’ère postnationale. Réinscrire les Français d’origine française comme les Français de fraîche date dans une histoire collective, leur redonner un héritage: telle est la mission que devrait s’assigner, toutes affaires cessantes, l’Éducation nationale. Elle n’en prend pas le chemin. Son ministre préfère sonner le tocsin contre les médias qui lui déplaisent.

Le gouvernement a souligné qu’il y avait 90 % de Français parmi les émeutiers et que donc, cela avait peu à voir avec l’immigration. Est-ce une forme de déni?

Gérald Darmanin a tout à fait raison: 90 % des émeutiers ont une carte d’identité française. Et c’est précisément ce qui est grave. Ce sont des Français en règle qui vomissent la France et qui, en incendiant des mairies, des écoles, des commissariats, lui déclarent la guerre. Ce sont des Français qui à Nanterre ont vandalisé le monument des martyrs de la Résistance et de la Déportation. Ceux qui ont écrit le tag «Bande de chiennes on va vous faire une Shoah» ont le même passeport que vous et moi. Il ne reste presque rien de la communauté nationale: nous ne formons plus un peuple.

On a entendu le président turc Erdogan affirmer que la France était un pays raciste, ainsi qu’une partie de la presse américaine. Que penser de cette alliance inattendue?

Le sultan du Bosphore et la presse américaine ont aussi jugé liberticide l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles françaises. Ce n’est qu’un début. Sous la bannière étincelante de la défense des droits humains, l’islamo-wokisme a de beaux jours devant lui.

Jean-Luc Mélenchon et toute une partie de La France insoumise ont fait le choix de ne pas appeler au calme pendant les événements, justifiant la révolte des banlieues par les «violences policières». Que vous inspire ce positionnement?

Jean-Luc Mélenchon voue Renaud Camus aux gémonies, mais il partage son diagnostic. Il croit dur comme fer au grand remplacement. Fort de son score ébouriffant aux élections présidentielles en Seine-Saint-Denis, il mise sur le changement démographique pour accéder un jour au pouvoir. La France insoumise a donc décidé de mettre le paquet. Sortant délibérément du cadre républicain, elle soutient le clan Traoré et cautionne le slogan «Tout le monde déteste la police». Bafouant les principes fondamentaux de la gauche, elle s’en prend violemment à ceux qui refusent de voir les abayas, ces emblèmes de l’islam, envahir les lycées et les collèges. «Vous crèverez la gueule ouverte de votre racisme rance», écrit ainsi le député Thomas Portes. Le racisme, toujours le racisme… Ce clientélisme est dégoûtant.

Qu’est la gauche devenue? Comment lui appartenir encore quand on est sincèrement de gauche? Je crois cependant que Jean-Luc Mélenchon et les siens font un mauvais calcul. Nombre d’habitants, jeunes et moins jeunes, des quartiers «populaires» sont écœurés par les destructions qui affectent d’abord leurs existences. J’espère donc que La France insoumise paiera dans les urnes ses palinodies honteuses et sa démagogie sans limite.

Certains, comme la députée écologiste Sandrine Rousseau, ont avancé la «pauvreté» des quartiers populaires pour justifier les pillages. Cette culture de l’excuse n’est-elle pas aujourd’hui totalement obsolète?

S’il n’y avait que Sandrine Rousseau… Tous les éditorialistes gentils expliquent que les violences urbaines sont la conséquence des violences policières, de la ghettoïsation, de la détresse alimentaire dans les banlieues, du renforcement de l’inégalité sociale par l’inégalité scolaire. Le mal qui nous est fait procède, selon eux, du mal que nous faisons. C’est en réparant nos torts que nous viendrons à bout de la haine dont nous faisons l’objet. Nous devons impérativement nous excuser, nous racheter, pour les terribles dommages que nous venons de subir. La sociologie dominante noie l’événement dans ses causes supposées. La cible – la République française – devient le coupable. De la misère aux discriminations, ces «gamins», comme dit affectueusement Jean-Luc Mélenchon, sont «accablés de problèmes». Mais pourquoi alors, des commerces de proximité aux bibliothèques, brûlent-ils consciencieusement toutes les solutions?

On se réfugie dans le déni pour échapper à ce constat vertigineux: les émeutes ne sont pas un problème à résoudre par de nouvelles allocations aux cités sensibles, mais l’épisode le plus spectaculaire d’une désintégration et même d’un affrontement continus. Que signifie le «retour au calme», sinon un quotidien scandé par les agressions, les provocations, les règlements de comptes et le trafic de drogue, tellement plus tentant pour certains que l’effort à l’école et tellement plus lucratif qu’un travail salarié?

Il faut enfin avoir le courage (et le bon sens) de le dire: si l’immigration se poursuit au même rythme (plus de 500.000 arrivées sur le territoire français dans la seule année 2022), le vivre-ensemble ne sera qu’un cache-misère et la désintégration deviendra inéluctable.

La cagnotte en faveur du policier lancé par Jean Messiha a atteint 1,6 million d’euros de dons. La gauche dénonce une cagnotte de la honte. Qu’en pensez-vous? Que faut-il voir derrière ce succès?

C’est une cagnotte en faveur de la famille du policier qui a récolté en quelques jours plus de 1 million d’euros. S’il s’agit d’applaudir à l’élimination d’un «nuisible», c’est abominable. Mais je ne crois pas que les souscripteurs aillent jusque-là. Ils protestent plus vraisemblablement contre l’idée selon laquelle la police est en proie à un «racisme systémique». Les «keufs» ne font plus peur, ils ont peur, et à juste titre, comme l’attestent les guets-apens dont ils sont l’objet, les cocktails Molotov, les mortiers d’artifice, les boules de pétanque qui les visent et le nombre impressionnant de blessés parmi eux. Cette cagnotte témoigne d’une dégradation très préoccupante du débat en France. On discute de tout et sans cesse, mais on ne s’entend plus sur ce qui est.

D’aucuns évoquent l’arrivée inéluctable au pouvoir de Marine Le Pen après ces événements. Cela vous paraît juste?

Si Marine Le Pen remporte la prochaine élection présidentielle, le parti du déni dressera immédiatement la liste noire des intellectuels qui ont acclimaté les idées d’extrême droite dans notre pays. Encore un mensonge. Le Rassemblement national prospère sur le refus obstiné d’ouvrir les yeux et d’appeler les choses par leur nom. La non-pensée de la bien-pensance est le meilleur agent électoral de Marine Le Pen.

Diagnostiquer le présent, telle est la tâche qui nous échoit et nous devons l’accomplir, quoi qu’il en coûte.

https://www.lefigaro.fr/vox/societe/alain-finkielkraut-apres-les-emeutes-si-on-veut-rester-frequentable-il-ne-faut-surtou

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8 Comments

  1. En jetant de l’huile sur le feu, Alain Finkielkraut contribue plus agiter le débat en reprenant certains éléments de langage de l’extrême droite qu’à trouver des solutions.

    • Vous tirez sur le messager. Ne pas nier l’évidence signifierait « jeter de l’huile sur le feu »? Le faire serait plutôt défendre la politique actuelle de l’apaisement, l’esprit de Munich.
      Un immense merci à M. Finkielkraut pour sa lucidité et son courage face aux nouveaux bien pensants.

      • @Alon Vous parlez à un sympathisant de la fachosphere indigéniste et mélanchoniste chez qui inverser les rôles est la manière habituelle de procéder…

  2. Pauvre Alain Finkielkraut !
    Avec sa phrase:  » la stratégie délibérée de La France insoumise, qui table sur le changement démographique pour arriver au pouvoir « , il nous ramène piteusement le discours ultra-conformiste et éculé de la bourgeoisie réactionnaire.
    De même, il est pitoyable de voir Finkielkraut ironiser avec son « votre compte est bon: vous êtes raciste » si jamais vous adhérez aux propos de l’ex-directeur de la DGSE Pierre Brochand ayant qualifié les six jours d’émeutes de  » soulèvement contre l’État national français d’une partie significative de la jeunesse d’origine extra-européenne présente sur son territoire  »
    De même, avec sa phrase  » l’antiracisme ne relève plus de l’éthique … […] .. et n’est qu’un moyen d’intimidation « , Finkielkraut nous livre sa soupe indigeste de vieux réactionnaire nostalgique. Idem avec sa saillie  » l’islamo-wokisme a de beaux jours devant lui  »
    Finkielkraut ment de manière effrontée en affirmant que J-L Mélenchon croit dur comme fer au grand remplacement.

  3. @ Luigi C. 17 JUILLET 2023 À 12 H 35
    .

    Mélenchon est un démagogue opportuniste. Il a compris qu’ il y a un important réservoir de voix dans les banlieues.

  4. @jérôme O. Je suis à 100% d’accord avec Alon. Et nous savons tous que la France creuse sa tombe. Mais mélanger la fachosphère avec les mélanchonistes dessert votre commentaire. Il est avéré que l’extrême gauche en France est antisémite puisqu’elle prend le parti des prétendus pauvres Palestiniens, qui entre nous sont le seul peuple subventionné à 100% par les Européens et se déclarant comme réfugiés ! Celle que vous appelez la fachosphère n’est pas antisémite et tente de lutter au contraire pour préserver les valeurs de la République française.
    Il est évident et ce serait malhonnête de le nier, que les voix que Mélenchon a obtenues en 2022 sont celles des immigrés des banlieues.
    L’extrême gauche veut le chaos et se délecte de la décadence de la France. Sauf que ce sont les classes moyennes qui paient et quand elles auront disparu, qui paiera ?

    • @CDG Vous n’avez pas saisi mon propos. Ce qu’on appelle généralement l' »extrême gauche » est une extrême droite déguisée (qui a remplacé la lutte des classes par la lutte des « races » comme les nazis). Et La NUPES est un parti fasciste : elle aurait été qualifiée de telle il y a 40 ou 50 ans avant la grande inversion des valeurs. Bref le mot « fachosphere » est ici synonyme de « Mélenchosphere » parce que c’est la véritable nature du parti melenchoniste et de ses alliés (certains macronistes). Celle que la plupart des gens ne veulent pas voir.
      BAV

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