Sonya Zadig répond à Elisabeth Cohen-Hadria
Chère Elisabeth,
Je ne veux pas non plus cesser d’être cette Arabe juive de Tunis ! Et je ne veux surtout pas que tu cesses d’être une juive Arabe mais peut être autrement …
Je me souviens avoir un jour perdu ceux que j’aimais par-dessus nos différences et par-dessus mon propre conditionnement, je me souviens de Simone, de Moshé, Maurice, Sarah, Léa , loulou et de tant d’autres qui avaient fait ronronner mon enfance, je me souviens les avoir perdus par un jour d’été; envolés ! Disparus ! « Ils sont partis », m’a-t-on dit, « Comment ça, partis ? Partis où ? »
Je ne comprenais pas à l’époque que l’on puisse quitter sa terre natale, la terre de ses ancêtres sans rien dire, Simone, Moshé , Maurice , Sarah, Léa, loulou et tant d’autres ont quitté les rivage de notre douce Tunisie dans un silence fracassant.
Je ne savais pas si je devais leur en vouloir de m’avoir laissée seule ou sombrer dans le chagrin de cette perte, car je savais malgré mon très jeune âge que leur départ était notre fin, que plus jamais le soleil ne se lèverait sur le Maghreb.
J’entendais à l’époque la rumeur enfler, j’entendais de sales histoires sur vous se raconter, pourtant je n’ai jamais eu l’ombre d’un soupçon ou de doute, car je connaissais par cœur ma douce Simone et sa bonté à mon égard, je n’oublierai jamais celle qui m’a appris à escalader les murs de ma prison culturelle par l’échelle du savoir, celle qui m’a appris à m’évader sur les ailes de la littérature et à ouvrir les portes et les fenêtres sur les lumières de la modernité.
Je savais bien que le meilleur fabricant de glaces à la fraise de Tunis, ce cher Moshé, ne pouvait pas avoir quitté les rivages de sa belle Méditerranée sans aucune autre raison que celle d’y avoir été poussé, je n’avais pas cru aux mensonges qui se racontaient sur mes Juifs adorés car je connaissais le regard souriant de Moshé et son « Aslama ya Aroussa », « Bonjour poupée » qu’il me lançait à chaque fois qu’il m’enrobait un cornet de glace à la fraise dans un papier journal froissé, comme il m’était impossible de croire que Loulou pouvait trahir et partir sans dire au revoir , nous étions liés et le serons sans doute à jamais par notre amour de cette douce terre que l’on croyait à jamais la nôtre.
Alors, oui, Chère Elisabeth, tout comme toi, je n’oublierai jamais les portes de Sidi Bou et sa baie, ni non plus les jasmins et ses colliers, encore moins le couscous aux boulettes de Léa ou le poisson grillé de la goulette, Jamais ! Car tout cela, nous l’avons en partage, nous partageons en effet, cette mémoire sensorielle qu’a été notre pays commun, la Tunisie.
Mais depuis que vous êtes tous partis, il y a fort longtemps, la mer Méditerranée a perdu de sa houle, la baie de Carthage s’est affaissée de chagrin, l’odeur des Bougainvilliers est devenue fétide, le parfum du pain tabouna, ma foi… quelconque.
Depuis que vous êtes tous partis par un soir d’été, je savais que le ciel ne serait plus jamais le même. Moi non plus je ne pouvais plus rester sous un ciel sous lequel vous n’étiez plus, je disais souvent à ma tendre Simone: « Je serais juive moi aussi, je partirais d’ici puisqu’ils ne veulent plus de nous », vous parce que votre tort est d’être juifs, moi parce que je vous aimais trop et qu’en vous aimant je me libérais de ma condition.
La Tunisie sans ses Juifs est un mariage sans cérémonie, une fête sans musique, un avenir sans avenir.
Je sais, chère Elisabeth, qu’il t’est insupportable d’entendre que ta Tunisie adorée n’est plus, je comprends ô combien ta tristesse ! Mais ne penses-tu pas qu’il est temps pour nous de nous séparer de cette mélancolie ? De cette vaine nostalgie ? Le bruit du ressac, l’odeur des bambalouni et des fricassés, le son d’el oud et les chansons de Raoul Journo et de Saliha feront certes à jamais partie intégrante de nos racines mais notre Tunisie n’est plus, elle a été avalée par l’hydre vert que l’on connait.
Je suis aussi triste que vous d’apprendre cette mauvaise nouvelle, il nous faut avancer avec cette certitude que le passé n’est plus, que nous ne reviendrons plus à Tunis, ni à Carthage, ni à Sfax ou à Djerba, nous ne reviendrons plus jamais sur la terre qui nous a bannis, nous sommes partis depuis si longtemps et la Tunisie a continué sa vie sans nous, la France commence aussi à le faire mais ça c’est une autre histoire.
Cependant, vous avez Israël, ce pays qui n’est certes pas le mien mais que j’apprends à aimer comme tel, ce pays qui m’a accueillie et permis d’y retrouver tous mes amis d’antan, ils ont certes changé de nom et de visage mais ce sont les mêmes âmes amies que j’ai retrouvées sur la terre d’Israël, ce qui me fait dire que malgré notre chagrin, l’espoir est encore permis pour les répudiés que nous sommes, plus en Tunisie mais peut être ailleurs…
Nous reste alors notre Judéo-Arabité, notre Arabo-judéité, nous reste une blessure commune, nous reste surtout l’amour d’un passé commun, nous reste, ma très chère Elisabeth, l’Amour, tout court.
© Sonya Zadig
Voici un tres beau texte plein de l humanité que seule l amitié peut vehiculer .
Juifs arabes? Arabes juifs?
Pourquoi pas.
Mais alors, moi qui suis né d’innombrables générations ayant vécu en Europe depuis des temps immémoriaux; qui ne suis donc nullement arabe.
Moi qui suis allergique à la musique arabe mais qui me prosterne devant JS Bach.
Qu’ai-à faire, qu’ai-je à voir, avec ces Arabes autoproclamés?
RIEN.
En Israel c’est le service militaire qui a rapproché les aschkenazim et les sepharadim. Finalement, nous sommes tous fréres ! même si nous nous querellons et sommes attachés à nos différences culturelles .