Cohen-Hadria Elisabeth. Je ne veux pas cesser d’être une juive arabe … 

Une fois pour toutes et qu’on se le dise, je ne saurais et ne veux pas cesser d’être une juive arabe … Contre toute logique, je cherche à comprendre pourquoi il me faut choisir, renier ceci et privilégier cela, je n’y parviens pas. Tout m’est nécessaire : Le oud (luth) dont jouait mon grand-père, les portes de Sidi Bou et sa baie, le jasmin et ses colliers, l’histoire traversante de ma Tunisie chérie, l’ambre et les bougainvillées, l’odeur des draps qui sèchent en deux heures au soleil d’or, le parfum du pain tabouna qui me fait défaillir, le goût de la mer tiède dans ma bouche …

Et je ne peux pas davantage cesser d’entendre et d’aimer la musique de cette terre que j’aime. Je serai à jamais la juive tunisienne qui vibre au rythme des vagues de cette Méditerranée nôtre …

Et je veux encore marcher pieds nus, hafiana éternelle, dans le jardin de mon père, où ce ne sont pas les lilas qui sont fleuris, mais les eucalyptus …

Il m’est insupportable de lire et d’entendre que tout ceci est révolu, qu’il faut se tourner vers un avenir privé de tous mes symboles, de toutes mes traces …

Je serais vide sans mes histoires de Chrah, sans le bleu des portes cloutées, sans le son du malûf, sans le goût de l’eau dans les amphores, sans l’odeur des épices dans les souks, sans Zina et Aziza, sans la lumière du matin, légère et délicieuse, sans l’image des femmes revêtues du safsari immaculé …

Je ne veux pas que l’on me dise que tout cela a disparu de ma vie depuis longtemps, même si c’est vrai, que la politique est ceci, que l’antisionisme est cela, que cet avenir est à jamais clos, ni que l’on m’arrache à la symbolique de mon passé, qui constitue une part intemporelle de mon essence …

Je ne le veux pas, même si mon délire est total, ce que je n’ignore pas, parce que tout ceci est ma marque de fabrique, mon sceau et mes racines …

Qui comprendra ce que je raconte là d’irraisonnable et d’irraisonné, au mépris de toute logique et de toute cohérence ? Je le sais, allez, je ne le sais que trop, que tout ceci est absurde … Mais au fond de moi subsiste l’espoir, minuscule, invisible presque, d’une filiation possible, d’un lien qui perdure, d’une porte ouverte …

En tous cas, dans mon âme, c’est le cas …. »

Je compléterai ainsi en ce 11 juillet 2023 :

J’ai écrit ce texte il y a plusieurs années déjà, en 2017 précisément.

Bien sûr, je pourrais aussi bien avoir rédigé ces lignes il y a cinq minutes, tant elles demeurent sincères et reflétant parfaitement mes sentiments à l’égard de ce pays qui est nôtre de mille et une manières, mais pareillement à travers la même émotion partagée.

Je sais que la Tunisie, chère à nos cœurs et telle qu’en elle-même, traversera les méandres d’une politique parfois difficile à comprendre, et qu’elle demeurera pleine et entière, par delà les soucis qui sont les siens…

Mais toujours, sa pulsation, entre Méditerranée et sable, entre jasmin et roses, sera la nôtre …

© Cohen-Hadria Elisabeth

Elisabeth Cohen-Hadria est psychanalyste.

Contact: elisabethlevy@hotmail.com

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2 Comments

  1. Je vous comprends étant moi-même Juif né en Tunisie et y ayant vécu plus d’un quart de siècle.
    Cependant, il y a un petit point de vue linguistique sur lequel je voudrais apporter une précision.
    Je suis arabophone, je connais bien les us et coutumes tunisiennes, pour autant je ne pense pas être un juif « arabe » !
    Arabophone certainement, de culture tunisienne oui, mais sachez que l’immense majorité des tunisiens ne sont pas ‘arabes’, arabisés à la pointe de l’épée, certainement, c-à-d convertis de gré ou de force à l’islam, obligés de parler l’arabe, portant des noms arabes, mais cependant ils n’ont pas changé d’ethnie !
    Dans le sud tunisien et dans les îles tunisiennes, beaucoup de gens ont les yeux clairs, voire bleus.
    Pensez-vous que ce sont des arabes ?
    Les Arabes sont caractérisés par une peau blanche, des yeux,la chevelure et la barbe, noires.
    Or beaucoup de tunisiens ont la peau plutôt foncée.
    Je vous pris de bien vouloir prendre en compte mon témoignage.
    Je vous remercie pour votre attention.

  2. Bravo Elisabeth pour ton texte magnifique et pour ces belles photos qui nous parlent tant, à nous autres natifs de Tunisie. Tout autant, pour tes poétiques évocations …de notre mer turquoise, celle qui longeait Le Cap Bon, dans l’été éternel de nos vacances scolaires, à Carthage…mer de notre mère la Tunisie, mère de nos arrières-arrières grand-mères.. qui dorment, bienheureuses, en cette terre maternelle 💕

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  1. "Je ne veux pas non plus cesser d’être cette Arabe juive de Tunis ! Et je ne veux surtout pas que tu cesses d’être une juive Arabe mais peut être autrement …" - Tribune Juive

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