Conduire, voiture ou moto, fait circuler la pensée. Laurence l’a souvent constaté. Aussi, pendant son trajet, elle sonde sa mémoire. Espérant dénicher dans le film des événements la clé de ce gâchis. Ou au moins des indices. Elle regrette déjà son amie. Après plus de trente ans, découvrir qu’on habite à deux pas l’une de l’autre, se rencontrer par hasard, retrouver instantanément sa complicité, sa tendresse, sa familiarité, pour finalement quoi ? Rien ?! Elle aurait préféré ne jamais la revoir. Car la lumière des derniers jours ternit jusqu’à ses souvenirs. Tant pis, on en a vu d’autres ! s’interrompt-elle en se garant en face de chez Zaza.
Six heures vingt-sept, un temps record. Impressionnant, dis donc ! Toujours au taquet, ma Laulau, se flatte-t-elle, mélancolique, en coupant le moteur. Voilà, voilà ! On y est. Il ne lui reste qu’à attendre. Elle tire son siège en arrière pour étendre ses jambes. La paix et la fraîcheur du jour naissant pénètrent par sa fenêtre ouverte, l’enveloppent, la caressent, mais elle ne ressent qu’inconfort. Quelle drôle de situation ! Très détective privé. Il ne lui manque que les jumelles et l’appareil photo, le café avec les donuts, la clope au bec, le chapeau… Non, c’est pas drôle du tout. Elle, la pro du coup franc et de l’attaque frontale, planque devant la maison de sa meilleure amie. Elle l’espionne, la trahit. Et pour quoi ? De quel droit ? Aucune idée. Aucun droit. Elle devrait sans doute repartir et oublier cette histoire.
Une intuition la retient, obscure, indéchiffrable. Pour la énième fois, elle déroule dans sa tête le fil des événements. La joie indéniable de Zaza. Puis son silence pesant, têtu, artificiel. Ensuite sa réapparition, avec invitation au petit déjeuner. Enfin, à nouveau, son rejet. Tout ça n’a aucun sens. Et cette intuition lancinante. Qui dépasse sa seule déception. Cette tristesse immense. Ce nœud au creux du ventre. Cette envie de pleurer qui ne lui ressemble pas. Et pleurer quoi ? Elle l’ignore. Le temps qui passe, inéluctable ? Et « sépare ceux qui s’aiment ». La mort d’une amitié ?
Pas du tout ! Rien n’est mort ! Tant qu’y a de la vie y a de l’espoir ! Elle va offrir à Zaza son amitié éternelle. Sans garantie ni condition. Cette décision suffit à la rasséréner. Les mots lui viennent facilement. C’est qu’ils sont les bons. Forcément. Elle tape à toute vitesse sur le clavier de son portable.
Jeudi 11 avril, 06h35
Salut ma petite Zazou, merci pour ton SMS. Tu pars dans combien de temps ? J’aimerais passer t’embrasser et te souhaiter bon voyage. Permets-moi ça. S’il te plaît.
Ton amie pour toujours
Envoyer ce dernier message ne l’a pas libérée de la sensation d’oppression, n’a pas dissout la boule de larmes qui monte dans sa gorge, qu’elle ravale décidée à ne pas se laisser aller. Elle détourne son attention vers la rue bordée d’arbres de ce quartier pavillonnaire. Îlot bourgeois au cœur de cette banlieue abîmée. Cache ta joie ! ironise-t-elle. Allez, Laulau, changement de cap. Aussitôt dit, aussitôt fait. Elle donne un coup de projecteur sur la maison de Zaza.
Autour de la faible lumière qui brille au premier étage, un mur aveugle et nu aux allures de bunker. Comment peut-on s’épanouir dans un endroit pareil ? Comment peut-on même y survivre ? L’image de la belle Raiponce, emprisonnée dans sa tour, surgit dans l’esprit de Laurence. Raiponce et ses longs cheveux blonds. Comme Zaza à l’adolescence. Elle avait une de ces tignasses ! Et quelle aura ! Quelle classe ! Zaza vous en imposait. Alors que maintenant, avec sa coupe à la garçonne, elle paraît si petite, fragile. Presque invisible. Une ombre ballottée au gré de son destin. Comment aurait-elle pu s’échapper de cette forteresse ? Comment l’aurait-elle voulu même ? Alors qu’elle y était enfermée par son prince charmant.
L’idée de son amie captive lui retourne les sangs. Finalement, c’est bien, Zaza, Vas-y, sauve-toi d’ici. Et le plus loin possible. Tu es mon héroïne. Bravo ! Laurence a enfin compris. Elle n’a plus rien à faire ici. Elle rapproche son siège du volant, ajuste son rétroviseur et démarre la voiture. Sur le siège d’à côté, son portable se met à vibrer.
Jeudi 11 avril, 06h55
Ah mince ! Trop tard, Laulau. Mon taxi vient d’arriver. Je suis en train de partir. À mon retour. Promis.
© Judith Bat-Or
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