L’incident est minuscule: des jeunes ultra-orthodoxes croisent -le terme est-il approprié?- dans la vieille ville de Jérusalem deux religieuses en conversation. L’un d’eux envoie un ‘ppouh’ sonore et un crachat sur le sol. L’épisode s’arrête là, les deux femmes ont continué de se parler comme si de rien n’était et les hommes n’ont pas ralenti leurs pas. Un non-événement, disent certains, la video fausse la réflexion, il y a dans le monde tant de crimes d’origine religieuse que s’appesantir sur cette scène frise l’antisémitisme…
Je ne suis pas d’accord.
L’absence de réaction des deux nonnes ne peut être fortuite. Ne pas protester est un choix délibéré qui prouve que leur expérience des crachats est habituelle et, de fait, de nombreux religieux chrétiens de Jérusalem l’ont subie. Les affaires ne vont pas en justice. Un jour, un cracheur a porté plainte, le prêtre, mal formé au pardon des offenses, lui avait donné un coup de poing au visage. Le cracheur a été débouté: il y a des juges en Israël…
Des intégristes juifs anglophones hostiles au Saint esprit, Holy spirit, ont-ils inauguré le Holy spit, le crachat sacré? Cracher devant des processions chrétiennes a été une réaction probablement pas exceptionnelle, et plutôt courageuse, chez des Juifs vivant sous l’oppression, mais ceux qui à Jérusalem crachent sans risque, ajoutent la lâcheté à la grossièreté.
Il y a une dizaine d’années, après un incendie dans le monastère de Latroun, puis dans une église sur le lac de Tibériade, on avait arrêté à Bne Berak un groupe d’extrémistes prêts au pire. Il y a eu depuis des déprédations limitées: un cimetière profané, un centre culturel maronite saccagé et une statue de Jésus brisée sur la via Dolorosa. Mais il s’est surtout développé un climat croissant d’hostilité avec multiplication de crachats et d’insultes. Les faits sont trop nombreux pour qu’on prétende que les auteurs ne sont que quelques personnes dérangées. Ils sont les produits d’un endoctrinement où le chrétien est l’ennemi irréductible envers qui toute humiliation est permise. Leurs maitres, que je n’ose appeler spirituels, sont responsables de leur décervellement, mais Ils ne représentent, je continue de l’espérer, qu’une part très minoritaire du monde ultra-orthodoxe.
Fin 2021, les dignitaires chrétiens de Jérusalem ont accusé des organisations ultra-sionistes -on pense à Ateret cohanim- de pousser les chrétiens à quitter la vieille ville , affirmation récusée par le Président Herzog et le ministre Lapid, qui ne sont pas des extrémistes. Depuis lors, le malaise s’est aggravé.
Un colloque organisé par l’Open University a permis de préciser ce malaise. La mairie de Jérusalem ne l’a pas soutenu et a refusé qu’il se tienne à la Tour de David. Arieh King, maire adjoint et chef de file des ultra-nationalistes, a accusé la rencontre d’être antisémite et a prétendu que le seul problème était celui des tentatives de conversion au christianisme.
Certains Juifs éprouvent un sentiment atavique de méfiance devant les chrétiens, plus encore quand ceux-ci sont amicaux. Au fond, ne veulent-ils pas les convertir? Lorsque Herzl fut reçu poliment par le Pape Pie X, celui-ci déclara que si des Juifs venaient en Palestine, il enverrait des prêtres pour les convertir. Mais comment négliger l’extraordinaire transformation du regard de l’Eglise sur les Juifs survenue depuis Vatican II, rendant les tentatives de conversion anachroniques dans le monde catholique?
S’il y a une Église non prosélyte, c’est l’Église arménienne. Or, les religieux arméniens sont les premières victimes des crachats. Le fait que les agresseurs soient indifférents à l’histoire qui a rendu les Arméniens et les Juifs frères de génocide ajoute à la honte.
Si en France des Juifs avaient eu à subir des crachats en marchant avec une kippa près d’une église, les instances catholiques se seraient exprimées. Les réactions d’amitié dans la population israélienne n’ont pas manqué, mais force est malheureusement de constater que la plupart des autorités rabbiniques sont restées silencieuses. Shlomo Amar, actuellement grand rabbin de Jérusalem, ou le Rav Aviner, certainement pas des libéraux, comptent parmi les exceptions.
La configuration politique actuelle donne en outre aux harceleurs une impression d’immunité.
Quels que soient leurs sentiments, ni Ben Gvir, ni Smotrich d’un côté, ni les dirigeants des partis religieux de l’autre, ne poussent à agresser les chrétiens. Le problème est qu’ils ne veulent pas rompre avec leur frange la plus activiste pour un sujet qu’ils doivent considérer comme mineur. Malheureusement, le Premier Ministre israélien semble faire une analyse analogue par rapport aux alliés de sa coalition. De ce fait les fonctionnaires d’autorité ne sont pas incités à un zèle intempestif.
Se met ainsi en place une chaine de compromissions, bien connue dans l’histoire, au bout de laquelle les plus extrémistes, aussi marginales que soient leurs idées, les mettent en oeuvre impunément.
Les conséquences ne sont pas que morales. Benjamin Netanyahu, qui rappelait il y a peu qu’Israël était le pays du Moyen Orient où les chrétiens jouissaient de la plus grande tranquillité, ne cherche pas le conflit avec les Evangéliques américains, ses soutiens de toujours.
Mais ceux-ci sont aussi les bêtes noires de ceux de ses alliés qui sont obsédés par les conversions…
© Richard Prasquier
https://world.hey.com/richard.prasquier
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