Le Thriller de l’été. « Liquidation à Pôle Emploi », de Judith Bat-Or

Ce soir, on fait relâche

La porte claque.

« Allez, Luciole ! » tonitrue Laurence en entrant. 

À ce niveau sonore, ce n’est plus une entrée. Une irruption plutôt. Les murs en tremblent presque. En fait, sa mère n’entre jamais. Elle s’engouffre, elle jaillit, elle déboule, elle surgit, elle se précipite, elle chambarde, emportant tout sur son passage. Sa mère est un tourbillon. Irrésistible, le tourbillon. Sauf que là, c’est non ! Pas question.

« Ça va pas ? À ton âge ! poursuit le tourbillon. En pyjama, à cette heure ?! Avec les pieds sur la table et la télécommande ? Il te manque plus que les chaussons et de péter dans ton caleçon. Tu files du mauvais coton. Allez, chérie, bouge ton cul. Tu t’habilles. Et plus vite que ça. J’ai une faim de louve. On va dîner dehors. J’ai plein de trucs à te raconter. Ça te changera du boulot. Alors, t’as envie de quoi ? Chinois, thaïlandais, italien ? Tout mais pas japonais. Parce que, franchement, les sushis, là, moi, c’est over… out… »

Et elle part d’un rire explosif, à en courir aux abris. Les « ahahah » de salon, c’est pas le genre de la maison.

« Tu te rappelles chérie “moi, c’est over… out…” ? 

– Bien sûr, maman, je me rappelle !

– Ben quoi, alors, dis-moi !…

– Puisque je te dis que je sais, se défend Luciole, mollement.

– Ben alors pourquoi tu ris pas ?

– Parce que c’est pas marrant, maman. 

– Vas-y, dis, c’est quel film ? »

Luciole n’y coupera pas. Si elle ne répond pas, elles y passeront la soirée.

« Prête-moi ta main ! cède-t-elle enfin. C’est bon, maintenant ? Tu me lâches ?

– Couscous merguez, ça te dit ? enchaîne Laurence, victorieuse. Moi, j’ai pas trop envie, ce soir. Mais pour toi, ma chérie… Ou bien on essaie le malien qui vient d’ouvrir au coin. À moins que tu préfères jouer la sécurité. Avec McDo ? Oh oui, allez ! Big mac, frites et Sundae ! Et pour la digestion : petite séance potins. Mais qu’est-ce que tu fous, putain ? C’est pour aujourd’hui ou pour demain ?

– Je t’ai dit pas ce soir, maman… 

– Tu n’es pas obligée de te changer non plus. Y en a bien qui sortent en jogging. Et franchement, les joggings, tu vois… Peut-être que je suis vieux jeu, mais c’est vraiment dégueu. Surtout les hommes, c’est d’un sexy ! Avec leurs machins qui se baladent, on dirait même, enfin tu vois, je vais pas te faire un dessin… 

– Maman !

– Ok, d’accord, j’ai compris. Alors que ton pyjama, à côté, c’est la classe. Si tu veux j’en mets un aussi. Seule, ça peut faire déglingue, mais à partir de deux, ça fait déjà tendance. Et si on lançait la mode ? part-elle dans un autre sens. Allez, viens, on se marre. Toi, tu t’occupes du marketing. Tu envoies le jus sur le Net. Mot d’ordre : soirée pyjama. Tout le monde se retrouve dehors en pyjama et bouillotte. Géniale, la bouillotte accessoire ! Le sac à main bouillotte. Tu vois un peu le genre ? Ça peut se décliner à l’infini, tu vois. On vend l’idée à Vuitton – ça colle bien à leur ligne – et on se fait des couilles en or… Cela dit, en attendant, retourne-t-elle à ses moutons, nous, on s’en fout, de toute façon, que les gens aboient quand on passe… 

– Maman, c’est non… c’est non, martèle Luciole, au bord du tilt. Même pas en rêve. Je ne bouge pas. »

Laurence ne l’entend pas. Continue de virevolter. 

 « … On les a pas sonnés. Tu enfiles une veste par-dessus, et ni vu ni connu. Ou un peignoir de bain. Oh oui ! Le manteau rayures en éponge pour la nouvelle collection hideuse 2019, et j’ai déjà le slogan : « Vuitton, voilà du bidon »… Et maintenant, assez discuté, je te laisse cinq minutes… 

 – Maman ! bondit Luciole. Ça fait trois heures que je dis non ! »

Voilà : elle a crié ! Sa mère a encore gagné. Elle réussit toujours à la faire sortir de ses gonds. Et lui donner mauvaise conscience. Tant pis. Ce soir, c’est non. Un non définitif. Non négociable. Et pour clairement le signifier, elle se rassoit, renfrognée. C’est vrai, quoi, à la fin, elle n’avait qu’à pas la chercher ! Elle a envie de se détendre. Seule devant sa télé. Pas de parler à sa mère. Avec sa pêche d’enfer. À vous coller des complexes. Elle a le droit quand même !

« Maman, ce soir, si tu pouvais… Je sais pas, moi…

– Dégager ? » s’arrête soudain Laurence.

Elle réfléchit, regarde sa fille, fonce sur elle, l’embrasse sur le front, et repart, presque en dansant. 

« Je comprends, ma chérie. Pas de problème, j’y vais seule. Je te rapporte quelque chose ?

– Merci, maman, non, pas la peine. Non, maman, t’es pas obligée, bredouille Luciole, piteuse.

– C’est rien, chérie, t’inquiète. On ne peut pas toujours être au top à ton âge… »

Encore un rire, et elle s’en va.

© Judith Bat-Or

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