Pierre-André Taguieff: “Les croyances complotistes répondent à un besoin d’ordre”

Le philosophe et historien des idées Pierre-André Taguieff analyse depuis plusieurs années le conspirationnisme, cette maladie en pleine recrudescence. Le problème – car c’est un problème – étant permanent, nous avons choisi de le republier.

Le dernier livre de Pierre-André Taguieff : Judéophobie, la dernière vague * (Paris, Fayard).

Pourquoi, comme le révèlent de récentes études d’opinion, les théories conspiratives séduisent-elles tant de monde aujourd’hui ? Parce qu’elles recourent à des mécanismes mentaux inhérents à ce que vous nommez le « national-populisme » ?

P-A. T. : La passion du dévoilement et de la dénonciation des puissances occultes est commune aux esprits complotistes et aux individus sensibles à cette forme moderne et contemporaine de démagogie qu’on nomme, à tort ou à raison, populisme. Je le définis comme un style politique consistant, d’une part, en un appel au peuple contre les élites plus ou moins criminalisées et, d’autre part, en une sacralisation du peuple, paré de toutes les vertus, censé être trompé en permanence par les élites cyniques et corrompues. Un peuple intrinsèquement bon, victime innocente de « ceux d’en haut ». Cette vision d’une société duale et conflictuelle implique une centration sur la souveraineté populaire et une indifférence au pluralisme ainsi qu’à l’État de droit. D’où cette caractérisation paradoxale : l’idéal politique du populisme est un hyperdémocratisme autoritaire. Car si le peuple a toujours raison, pour ceux qui parlent ou gouvernent en son nom, toute opposition devient criminelle.

Aujourd’hui, le mot « populisme » est mis à toutes les sauces. Employé confusément comme synonyme d’ »extrême droite », le terme a largement perdu sa valeur conceptuelle. Cela dit, et c’est là l’essentiel, la tendance à penser les événements comme des indices de complots organisés par des forces hostiles reste présente dans les milieux nationalistes, en Europe comme ailleurs. La nouvelle grande question est celle de la flambée des nationalismes, qu’on croyait à tort appartenir à un passé dépassé en raison de l’entrée dans la globalisation des échanges, censée avoir définitivement affaibli le sentiment national. En d’autres termes, les populismes identitaires sont plus mobilisateurs que les populismes protestataires.

Dans les formes mixtes contemporaines de nationalisme et de populisme, observables en Europe depuis le début des années 1980, donc dans les figures du national-populisme autoritaire, l’offre idéologique tourne autour de l’identification et de la diabolisation des organisateurs et des agents de supposés complots contre les peuples ou les nations. Il s’agit de complots « d’en haut », attribués aux puissants ou aux dominants, en particulier aux élites dirigeantes et aux États, mais aussi de complots supposés venir d’ailleurs, attribués à des groupes internationaux ou à des puissances transnationales visant à imposer leur volonté aux États-nations, à rendre ces derniers dépendants, voire à les dissoudre dans des entités plus vastes.

Le complotisme postule l’action dans l’histoire de forces cachées, obscures…

La pensée complotiste se fonde sur un postulat ; tout ce qui arrive a été voulu par des puissances invisibles. Elle consiste avant tout à attribuer des intentions conscientes et des intérêts réels aux sujets supposés conspirer et qui auraient atteint leurs objectifs, et ce, afin d’expliquer certains événements troublants ou traumatisants, lesquels peuvent être inventés de toutes pièces. À l’ordinaire, ils sont simplement fantasmés sur la base des « fake news » diffusées sur Internet, qui tiennent leur séduction de s’opposer aux informations données par les médias « officiels ».

Dans tous les cas, il s’agit de répondre à la question « À qui profite le crime ? », en désignant des coupables dont le profil est conforme à des attentes idéologiques. Si les récits complotistes séduisent autant aujourd’hui, c’est qu’ils répondent à un besoin psychologique d’ordre et d’intelligibilité qui ne cesse d’augmenter dans un monde dont la marche est indéchiffrable et anxiogène. Les passions motrices de ceux qui croient à des complots fictifs sont, d’une part, l’insatisfaction face aux explications données des événements, et, d’autre part, la peur, laquelle peut se transformer en angoisse face à des signes annonciateurs d’une catastrophe. D’où l’effet pervers des pseudo-explications complotistes qui, censées conjurer les peurs, leur confèrent un horizon apocalyptique.

Les mécanismes complexes de la mondialisation font l’objet de nombreux fantasmes. Peut-on tout de même être contre la mondialisation et résister au complotisme ?

Il est bien sûr possible de critiquer la mondialisation en tel ou tel de ses aspects sans sombrer dans le complotisme, qui réduit le complexe au simple et dénonce des coupables imaginaires au lieu d’identifier et d’analyser des causes objectives. Un examen critique nuancé, faisant appel à des arguments rationnels, de certains processus impliqués par la mondialisation est à la fois possible et tout à fait légitime. Il en va de même pour la critique de ses effets qu’on juge négatifs. Ces analyses critiques et évaluatives, tenant compte de la complexité des processus en interaction, n’ont rien à voir avec la diabolisation globale de « la mondialisation » que présupposent de nombreux récits complotistes qui la construisent comme la figure de l’ennemi absolu. Lorsque nous refusons de céder au chant des sirènes qu’entonnent les idéologues de la « mondialisation heureuse », nous ne sommes pas voués au simplisme et au manichéisme. J’observe cependant que, dans les écrits « antimondialistes » de gauche comme de droite, « la mondialisation » est souvent essentialisée et dénoncée comme si elle incarnait à elle seule la causalité diabolique. Elle permet ainsi de réduire tous les ennemis à un ennemi unique. Dans la rhétorique islamiste, par exemple, l’ennemi est « l’alliance judéo-croisée », autour de laquelle gravitent les ennemis secondaires. Dans certains courants gauchistes, c’est « l’axe américano-sioniste » qui joue ce rôle, à côté de la « finance internationale » ou du « capitalisme mondialisé ». D’autres suggèrent qu’il y aurait une alliance secrète entre les États-Unis et Daech.

Pour comprendre le succès des croyances complotistes, il faut supposer qu’elles répondent à une demande de sens et de cohérence : pour les adeptes du complotisme, l’ennemi invisible et diabolique explique tous les malheurs des humains et, en même temps, réenchante le monde, serait-ce en le peuplant de démons. Il est difficile de dissiper des illusions lorsqu’elles fonctionnent comme des nourritures psychiques. Les esprits complotistes tiennent à leurs croyances fausses.

Pourquoi Israël focalise-t-il tout un imaginaire conspiratif ?

Les noms « Israël » et « sioniste » tendent depuis un demi-siècle à remplacer le nom « Juif ». Il faut remonter aux origines de la judéophobie pour comprendre pourquoi Israël est perçu comme la tête d’une conspiration internationale. Quelques repères historiques sont ici nécessaires. Le motif du complot juif contre la société chrétienne se constitue historiquement autour de l’accusation d’empoisonnement des fontaines et des puits, qui surgit en 1321 en Aquitaine sous la forme de la fiction d’un complot judéo-lépreux. Durant l’hiver 1321, cette accusation de complot valut aux lépreux d’être massacrés avec l’aval de Philippe V le Long, roi de France. La chronique du monastère de Sainte-Catherine (Mont-Saint-Aignan) rapporte les faits en caractérisant, sur la base des aveux des lépreux, les deux thèmes d’accusation visant ces derniers : s’ils ont comploté, c’est à la fois pour tuer les non-lépreux et pour dominer le monde. La thèse du complot maçonnique ou maçonnico-philosophique pour expliquer la Révolution française est une invention de l’abbé Lefranc, en 1791-92, reprise et développée par l’abbé Barruel en 1797-99 dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme. Sa thèse centrale est que la Révolution française a été préparée par une conspiration associant les Encyclopédistes, les Francs-Maçons et les Illuminés de Bavière, en supposant que les Francs-Maçons, héritiers des Templiers, ont été les « instruments inconscients du complot ourdi par les Templiers ». D’où la légende complotiste qui ne cesse de refaire surface : celle des « Illuminati ». C’est la fusion du complot juif et du complot maçonnique qui alimente l’imaginaire conspirationniste au cours du XIXe siècle.

Et qui nourrit l’idéologie anti-républicaine…

Le complot juif se transforme alors en un complot international, soit sur le mode d’une refonte du complot maçonnique dénoncé par les théoriciens contre-révolutionnaires, d’où l’invention du « complot judéo-maçonnique », soit, dans les milieux socialistes et révolutionnaires, sur le mode du complot ploutocratique ou capitaliste illustré par la famille Rothschild, ce qui donnera le « complot judéo-capitaliste ». Dès 1918-1919 surgit une troisième figure, fondée sur l’assimilation polémique des bolcheviks aux Juifs : celle du complot « judéo-bolchevik ». Au XXe siècle, la vision du grand complot juif mondial trouve son principal vecteur dans le célèbre faux antijuif connu sous le titre Protocoles des Sages de Sion, document publié pour la première fois en Russie fin août/début septembre 1903 sous le titre « Programme de la conquête du monde par les Juifs » (sous-titre : « Protocoles des séances de l’Alliance mondiale des francs-maçons et des Sages de Sion »). La propagande nazie a utilisé massivement le faux jusqu’en 1939. Après la création de l’État d’Israël, les Protocoles ont entamé une nouvelle carrière dans le monde arabo-musulman, notamment en Égypte sous le règne de Nasser. L’objectif était de diaboliser l’État hébreu, dénoncé comme la direction centrale du « complot sioniste mondial ».

L’israélophobie n’est que la pointe visible de l’antisionisme qui, dans ses formes radicales, a pour objectif la destruction de l’État juif. La dénonciation du « complot sioniste mondial » est le produit d’un héritage de l’antisémitisme européen qui, depuis les années 1920, s’est peu à peu mondialisé, avant de s’islamiser d’une façon croissante à partir des années 1950. Les victimes imaginaires du paléo-complot juif étaient les chrétiens. Celles du grand « complot sioniste » sont d’abord et avant tout les Palestiniens, les Arabes et plus largement les musulmans. On constate que la plupart des accusations stéréotypées contre les Juifs sont projetées sur Israël : haine du genre humain, tendances criminelles, volonté de dominer le monde, propension à conspirer, à mentir et à manipuler l’opinion, racisme (« apartheid ») et impérialisme.

Quelles sont les formes contemporaines des Protocoles des Sages de Sion ?

Publiés en Russie sous plusieurs versions (1903, 1905 et 1906), les Protocoles des Sages de Sion, depuis le début des années 1920, lorsqu’ils commencent à être traduits dans la plupart des langues européennes, fonctionnent comme un stock de stéréotypes antijuifs. Il faut distinguer la circulation internationale du célèbre faux et les usages de ses formes dérivées, adaptées à différents contextes. Les propagandistes diffusent des thèmes d’accusation, des croyances et des représentations antijuives qu’ils empruntent, parfois sans le savoir, aux Protocoles, qui dévoilent l’existence d’un grand complot judéo-maçonnique ou « sioniste » international visant à conquérir le monde par les moyens les plus divers afin de dominer l’humanité non juive. Dans les pays arabo-musulmans, les prêches du vendredi se réfèrent souvent aux Protocoles ou s’en inspirent pour dénoncer les méfaits des Juifs qui « dirigent l’Amérique » et donc le monde (puisque « l’Amérique dirige le monde ») et orchestrent la désinformation au niveau mondial.

En France, l’agitateur antijuif Alain Soral ne cesse de faire des variations sur les thèmes conspirationnistes dérivés du célèbre faux. Ennemi déclaré de l’ »histoire officielle » diffusée par « l’Empire », Soral lui oppose sa propre vision du monde, centrée sur la dénonciation de la « domination juive », la domination de « cette communauté juive organisée internationale qui règne aujourd’hui sur le monde occidental », expression de la « montée » du « capitalisme financier ». Et de s’écrier le 14 mars 2018 devant la XVIIe chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance de Paris :

« Le judaïsme contemporain, judaïsme talmudo-sioniste, est bien une religion de haine, belliqueuse et raciste. L’État d’Israël en est la démonstration, la réalisation pratique. (…) Dénonçons ces fanatiques racistes et dominateurs. Assez de la tyrannie de la minorité ! De cette minorité qui, pour continuer à régner, pousse à la haine toutes les minorités derrière elle : féministes, jeunes, gays, immigrés… conduisant ce pays au chaos ! » Soral semble vraiment croire au message diffusé par les Protocoles : pour lui, les Sages de Sion dominent le monde. Mais Soral n’est que l’un des innombrables propagateurs professionnels, sur Internet, de la vision complotiste véhiculée par les Protocoles.

Quels sont les liens historiques du Front national avec les théories du complot ?

Le premier Front national, celui dont Jean-Marie Le Pen était le leader charismatique, rassemblait des cadres et des militants nationalistes dont la formation politique devait beaucoup à la lecture des textes de complotistes professionnels comme Henry Coston, Jacques Ploncard d’Assac, Léon de Poncins ou Jacques Bordiot, dénonciateurs du « gouvernement invisible » ou du « gouvernement mondial » occulte, de la « finance internationale » ou de la « haute banque ». Leur maître à tous était Édouard Drumont, l’auteur de La France juive (1886). Leurs continuateurs, depuis les années 1980, furent les journalistes Yann Moncomble et Emmanuel Ratier, auteurs complotistes très lus dans les milieux lepénistes. Il faut également tenir compte de l’influence diffuse de la culture politique maurrassienne, dont les milieux lepénistes retenaient surtout la fameuse théorie des « quatre États confédérés », rassemblant Juifs, protestants, francs-maçons et « métèques » (remplacés par les immigrés), auxquels un idéologue national-catholique comme Jean Madiran a ajouté les communistes. Le romancier et pamphlétaire François Brigneau, dans National-Hebdo, a donné une couleur littéraire à la dénonciation litanique des ennemis intérieurs de la vraie France.

Avec ces héritages idéologiques, les farouches défenseurs de la nation française comme identité et souveraineté ont construit les figures de leur ennemi, baptisé « internationalisme », « cosmopolitisme » ou « mondialisme ». Cet ennemi a pour premier attribut d’être plus ou moins masqué et d’agir en secret, en trahissant la « France française » au profit de forces étrangères. Sa nature est donc de comploter contre la France et le peuple français, crucifiés par les suppôts de Satan. La dénonciation euphémisée du « complot judéo-maçonnique » s’opère à travers la mise en cause de « lobbies » composant le grand « lobby mondialiste ». Le 11 août 1989, interviewé dans le quotidien Présent (dirigé par Jean Madiran), Jean-Marie Le Pen dénonce « les forces qui visent à établir une idéologie mondialiste » et désigne notamment « la Maçonnerie », « la Trilatérale » et « l’internationale juive » : « Les grandes internationales, comme l’internationale juive, jouent un rôle non négligeable dans la création de cet esprit antinational.

Je dirais qu’il est presque naturel que des forces structurellement, fondamentalement internationales se heurtent aux intérêts nationaux. » Pour Le Pen, l’ennemi occulte de la nation française est par nature international. Une brochure publiée en janvier 1990 par le journal Présent porte un titre classiquement conspirationniste : Ce que l’on vous cache. Largement diffusée et plusieurs fois rééditée, elle est consacrée à la dénonciation du B’nai B’rith, association érigée en « lobby judéo-maçonnique » censé diriger la politique française selon Le Pen qui déclarait à propos des partis au pouvoir (la « bande des quatre ») : « Ils défèrent aux ordres du B’nai B’rith ». La surestimation du pouvoir de l’ennemi fantasmé est l’un des traits de la pensée complotiste.

En diffamant l’ensemble de l’univers médiatique français, Jean-Luc Mélenchon donne-t-il à son tour dans le conspirationnisme, ou s’essaye-t-il tactiquement à un mode de raisonnement qui plaît à nombre de ses soutiens ?

La dénonciation du complot des puissants, des riches ou des dominants fait partie du répertoire politico-culturel des démagogues depuis l’Antiquité, leur stratégie étant d’ameuter les masses contre les élites dirigeantes afin de prendre le pouvoir. La dénonciation des complots (imaginaires) des États a commencé sa carrière rhétorique dans les années 1950, sans faire disparaître les complots fictifs attribués à des minorités agissantes, elles-mêmes plus ou moins chimériques. Celle des complots organisés par les milieux de la « finance internationale », nouvelle figure de l’ennemi absolu des « peuples » incarnant le Capital prédateur et parasitaire international, fait fusionner ces diverses traditions. Le nouvel esprit anticapitaliste, de style populiste car « antisystème » et anti-élites, est ici dans son élément. Il se traduit notamment par la croyance, fort répandue, qu’il existe un « parti médiatique » au service d’une « Caste » ou d’une « oligarchie » mondialiste, voire d’un « impérialisme », toujours le même, « l’empire américain ».

On se saurait s’étonner qu’un tribun du peuple aussi éloquent que Jean-Luc Mélenchon, pressé de parvenir au pouvoir, puisse recourir aux croyances complotistes qui marchent. À propos de tout événement, il raconte des histoires qui monnayent un seul grand récit, lequel met en scène un monstre à peine nommable, quelque chose comme un vampire ubiquiste à visage mondialiste voué à sucer le sang des peuples et en particulier celui du peuple français. Il se situe ainsi dans le registre victimaire, sachant que la croyance au mythe du peuple-victime est largement partagée et suscite indignation et colère, haine et ressentiment, passions mobilisatrice. Un démagogue habile peut être intelligent et cultivé. C’est le cas du leader de La France insoumise. Étant dépourvu de la faculté de sonder les âmes pour y dénicher les convictions profondes, je me contenterai d’une hypothèse, celle d’un certain machiavélisme du tribun : avec une bonne dose de cynisme, Mélenchon, jouant son rôle de « dissident », adapte son discours aux valeurs et aux attentes de son auditoire, rassemblant tous ceux qui se montrent résolument incrédules face aux promesses de la « mondialisation heureuse » passant par la « start-up nation ». Mais, en voulant séduire à tout prix cette majorité potentielle, il prend le risque de les décevoir pour apparaître comme simplement rusé et trompeur. Je ne crois pas qu’il adhère vraiment à ses énoncés complotistes. Il semble ne les solliciter que pour la galerie.

Il en va de même pour son incitation à la haine contre les médias « officiels », lorsqu’il ose déclarer que « la haine des médias et de ceux qui les animent est juste et saine ». Je ne suis pas sûr non plus qu’il prenne vraiment au sérieux ce que les perroquets gauchistes qui l’entourent lui susurrent, à savoir qu’il incarnerait un vertueux « populisme de gauche », chimère néo-péroniste à laquelle se raccrochent les marxistes désemparés qui ne croient plus au Grand Soir et admirent désormais l’héritier de l’autocrate Chávez, le bravache Nicolás Maduro, infatigable pourfendeur de l’impérialisme yankee. L’avenir radieux selon Mélenchon serait-il un chavisme à la française ? On imagine les députés de La France insoumise entonner à l’Assemblée le « Notre Père » en version chaviste, tel qu’il a été récité le 1er septembre 2014 en clôture du « premier atelier de formation socialiste » organisé par le Parti socialiste unifié du Venezuela (PSUV) : « Notre Chávez, qui es aux Cieux (…) Ne nous laisse pas entrer en tentation avec le capitalisme, et délivre-nous du mal de l’oligarchie. »

Comment interprétez-vous la réaction de Jean-Luc Mélenchon à l’égard du Crif, à la suite de la marche blanche en hommage à Mireille Knoll le 28 mars 2018 à Paris, dont il a dû partir ? 

Le 2 avril 2018, dans son article intitulé « Le jour de la honte » publié sur son blog « L’ère du peuple », le leader de La France insoumise a dénoncé avec virulence le Crif comme une « secte communautariste » coupable d’une « allégeance de principe à un gouvernement étranger et à sa politique ». On ne voit pas, sur ce thème, ce qui le distingue d’un Dieudonné ou d’un Soral. Mais le député « insoumis » jouant à l’indigné ne s’en est pas tenu au grief de double allégeance. On sait que, parmi les formes dérivées de la vieille accusation de meurtre rituel, la représentation stigmatisante de l’armée israélienne comme une « armée de tueurs » assassinant les enfants palestiniens innocents semble être la plus courante. On la rencontre autant dans la propagande palestinienne et islamiste que dans la propagande antisioniste d’extrême gauche.

On ne s’étonne donc pas de voir Mélenchon conclure son article « antisioniste » par une allusion codée aux victimes palestiniennes de Tsahal, cachant le fait qu’ils s’agissait pour l’essentiel de provocateurs et d’activistes du Hamas, soucieux de fabriquer des « martyrs » pour alimenter sa propagande. Le Lider Maximo à la française écrit donc : « (…) une armée de tueurs tiraient [sic] sur une foule sans défense en Palestine. » Telle est l’image de propagande diffusée par le Hamas : une « foule pacifique » qui, manifestant pour exiger légitimement le respect de son « droit au retour » (la « Marche du Retour »), est massacrée par des assassins juifs professionnels. Les Palestiniens sont ainsi essentialisés en tant que peuple de victimes, et de victimes innocentes.

Le 6 avril 2018, fustigeant les dirigeants du Hamas qui ont organisé la médiatique « Marche du Retour », Mahmoud Habbache, conseiller de Mahmoud Abbas, n’a pas mâché ses mots : « On se rend compte qu’ils vendent des illusions, qu’ils font commerce de la souffrance des gens et même de leur sang. » Mélenchon ne réagit pas en ami des Palestiniens : il se contente de faire écho aux poncifs de la propagande victimaire du Hamas. « Une armée de tueurs » : cette caractérisation criminalisante, jamais l’indigné Mélenchon n’aurait osé l’appliquer à une autre armée nationale. Israël est le seul État-nation ainsi traité. Voilà bien une stigmatisation criminalisante singulièrement sélective. Quoi qu’il en soit, le recyclage des vieux récits mythiques paraît sans fin. Le thème du meurtre rituel juif reste dans l’air du temps, ici comme ailleurs, dans la Russie de Poutine comme à Gaza.

Sur les théories du complot, Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS, a publié notamment :

Sur la question du populisme, il a publié :

Source : Lexpress

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1 Comment

  1. …En 2020, les médias étasuniens et européens ont bien présenté le parti de Biden c’est-à-dire l’un des plus obscurantistes et identitaires, racistes et antisémites, anti-pauvres et militaristes, donc l’un des pires partis fascistes de la planète comme le summum du “progressisme” _ et BLM qui est l’équivalent afro-americain du Klux Klux Klan, pour un mouvement “antiraciste”…
    Nos “journalistes” tremblent de peur à l’idee de heurter le politiquement correct. Ils censurent la plupart des vraies informations et souvent ne croient même pas un mot de ce qu’ils racontent parce que s’ils agissaient autrement, leur carrière serait finie.
    En terme de propagande de guerre (Irak par exemple) même chose. En d’autres termes, les USA, l’Europe et l’ONU (et certains pays d’Afrique) sont les champions planétaires de la désinformation _ loin devant la Russie et même devant la Chine.
    Quant aux “gender studies” ou “cultural studies” elles sont aussi obscurantistes et délirantes que les théories complotistes du web mais comme elles sont diffusées par nos gouvernements, médias et universités, nos héroiques chasseurs de complotistes n’osent pas trop s’y attaquer. Courageux, mais pas téméraires.

    Le complotisme du Web ne représente qu’une goutte d’eau dans un (grand) lac par rapport à la désinformation gouvernementale, médiatique et universitaire : c’est un épouvantail destiné aux zozos.

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