J’ai eu l’occasion de rencontrer récemment la photographe et réalisatrice franco-israélienne Myriam Haccoun qui a lancé, avec d’autres professionnels de la vidéo et du cinéma, un nouveau service à destination du plus grand nombre : la réalisation d’un court ou d’un moyen métrage vidéo retraçant la vie d’un père ou d’une mère, d’un couple, d’une famille…
Intrigué par l’utilisation de ce moyen d’images plutôt que par l’écrit (l’offre d’une sorte d’écrivain public se mettant au service d’un projet de biographie écrite existe déjà sur le marché), j’ai questionné Myriam pour en savoir plus. Voici ses réponses.
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Tribune Juive : Qui êtes-vous, Myriam Haccoun, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs en quelques mots ?
Myriam Haccoun : Je suis franco-israélienne. Je vis à Paris. Je suis photographe et documentariste d’histoires familiales, professeure de photographie et d’arts visuels. Je suis diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Bezalel (Jérusalem). J’ai aussi étudié la création de documentaires aux Ateliers Varan à Paris. Je conçois et réalise des documentaires depuis plus de 20 ans. Je m’intéresse avant tout aux histoires de famille, au quotidien. J’ai réalisé en 2020 « Mon père, le rabbin et moi » et ai été sélectionnée au festival Arte Mare 2021 ainsi qu’au First Time Filmmaker à Londres en 2021. Le court-métrage « Mercedes ou Volkswagen » réalisé sur mon père, Coco, décédé il y a quelques mois, a été sélectionné récemment en France dans le cadre du Festival Côté Court (1)…
TJ : Qu’est-ce qui vous a poussé à réaliser des documentaires relatant l’histoire d’une personne ou de sa famillle ?
MH : Je n’ai pas eu la chance de connaitre mes grands-parents. J’ai juste reçu d’eux quelques photographies et quelques objets leur appartenant, transmis par ceux qui les ont connus. J’aurais aimé avoir un témoignage sonore et visuel, un film relatant leur histoire, leur parcours.
TJ : En quoi consiste l’offre d’Histoire d’Une Vie ?
MH: Nous proposons au grand public la conception et la réalisation de films documentaires de qualité professionnelle d’une durée allant de 30 à 50 minutes. Ils évoquent la vie d’une personne, ou d’un couple, ou d’une famille. La création s’opère via des entretiens filmés ou enregistrés (vidéo ou en voix off), l’utilisation de photos et films de famille, ainsi que des archives vidéo d’époque.
TJ : Comment justifiez-vous l’émergence d’un projet de film ?
MH : Notre vie peut s’apparenter à un véritable voyage, un périple au cœur des lieux d’enfance et des histoires d’amour, de la carrière professionnelle aux passions, d’un mariage à la naissance des enfants, etc. Pour la plupart d’entre nous, ce voyage dans le temps s’avère aussi parsemé de coups durs et de choix difficiles qui forgent notre identité et nous font apprécier la vie telle qu’elle est et non telle qu’elle aurait pu être.
TJ : Mais pourquoi laisser un film ? Il existe déjà des sociétés, comme Porte-Plume (2), qui permettent de laisser un témoignage-testament écrit sur sa vie…
MH : Il est humain, et je dirais très juif, de vouloir laisser une trace ou bien de répondre à une forme de crainte : celle de l’oubli ou de la perte de mémoire.
Le format du film et de la vidéo permet de transmettre au-delà du « texte » un « sous-texte » composé des expressions, des mimiques, des silences, des émotions de la personne, afin de conserver pour « ceux qui restent » une trace des visages aimés au soir de leur existence, pour mettre en lumière et en relief la richesse d’un parcours de vie. Nous pensons que chaque vie est importante et singulière, chaque histoire personnelle au cœur parfois de la « Grande Histoire » (guerre mondiale, Shoah, guerre d’Algérie, départs des Juifs du Maghreb pour la France, alyah, etc.) mérite son film.
TJ : Qui fait appel à vos services ? Plutôt ceux qui témoignent ou ceux qui sont destinataires des témoignages et veulent voir leurs anciens se raconter sans entrave ?
MH : Les deux, mais nos aïeux sont souvent désireux de laisser une trace de leur existence aux générations suivantes. Le film documentaire que nous réalisons pour eux est une sorte de cadeau aux générations futures, mais avec eux et pour eux aussi. Au passage, nous avons découvert les vertus de cette « enquête » en images qui permet de conserver intacte la mémoire familiale mais aussi favorise la communication intrafamiliale, facilite ou recrée les liens intergénérationnels, apporte parfois une plus grande écoute de l’autre, transforme le tournage en un moment bienveillant autour d’albums photos (parfois remisés au fond d’un grenier, d’une cave ou d’un placard), de films anciens, d’objets et de souvenirs divers.
“La famille c’est comme les branches d’un arbre, nous grandissons dans des directions différentes mais nos racines restent les mêmes. “
TJ : Quelle est la valeur ajoutée apportée par Histoire d’Une Vie ?
MH : Nous proposons un accompagnement, une écoute, une disponibilité, une bienveillance autour de la création d’un film. Nous formons équipe avec notre ou nos témoin(s). La recherche de l’authenticité est au cœur de notre démarche, de telle sorte que le film fini, unique, personnel et créatif, doit au mieux représenter la ou les personnes au centre de l’écran.
TJ : Quel est le modus operandi d’un projet avec vous ?
MH : Nous commençons par une première rencontre d’échanges gratuite. Des conversations au cours desquelles nous allons définir les thèmes abordés dans le film. Ce, à partir d’un questionnaire : les lieux de l’enfance, les enfants, la carrière professionnelle, le rapport à la religion et à la pratique religieuse, les traditions, les études suivies, les rencontres amoureuses, les voyages, les parents, frères et sœurs et aïeux, les évènements qui ont eu un impact majeur sur leur vie, etc.
Nous établissons ensuite si l’on doit tourner dès les premières rencontres ou si nous attendons un peu. Puis nous décidons du jour de tournage et demandons aux témoins ou à leurs proches impliqués dans le projet de nous apporter tous les documents qui leur paraissent utiles (photos, vidéos, musiques, …) qui se retrouveront peut-être ensuite dans le montage final.
TJ : Combien de temps dure un tournage ?
MH : En général, le tournage a lieu au cours d’un entretien de 2 à 3 heures en moyenne. Ça peut être plus long…
TJ : Les témoins ont-ils besoin qu’on les rassure ?
MH : Oui, tout à fait. Nous insistons à chaque fois pour leur assurer qu’en ce qui concerne les souvenirs « délicats », la confidentialité des propos sera respectée. Nous faisons en sorte que notre accompagnement ait lieu en douceur.
TJ : Quelle est la suite des étapes du projet ?
MH : Nous allons produire un premier rush avant post-production. Après validation, et post-production, nous convenons avec les familles d’une date de projection qui peut s’insérer lors d’un évènement ou d’une réunion familiale, ou être conceptualisée en événement unique (privé ou public).
TJ : Et ensuite ?
MH : La famille reçoit systématiquement le film sur support DVD ainsi qu’en ligne sur une plate-forme sécurisée, telle que Vimeo, avec mot de passe à la clé, pour interdire tout accès indu.
TJ : Si l’on souhaite vous joindre ou obtenir des renseignements sur votre programme, que fait-on ?
MH : Le mieux est de se rendre sur notre site : https://histoiredunevie.com/
TJ : Merci Myriam
MH : Merci à vous !
Interview réalisée par Gérard Kleczewski le 28 juin 2023
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Le crédo biographique pour tous d’Histoire d’une vie
Le travail de Myriam Haccoun et de son équipe s’appuie sur une méthode de la biographie qu’elle nous a aidé à mieux comprendre. Il s’agit d’un processus d’individuation, de construction de soi, de subjectivation, avec une dimension temporelle. L’être humain fait en quelque sorte l’expérience de lui-même et du monde dans un temps qu’il rapporte à sa propre existence.
« L’écriture de la vie » à laquelle renvoie l’étymologie du mot « biographie » doit se comprendre ici comme une attitude première et spécifique du vécu humain. Les expériences de notre existence se déroulent dans un monde intérieur et extérieur, les mondes historiques, sociaux, environnementaux en plus du monde intime.
Notre identité est narrative. « L’expérience est la vie même« .
Nous partageons avec autrui des situations que nous pourrions extérieurement définir comme identiques ou tout au moins semblables. Mais, pour chacun de nous, chaque situation, chaque expérience s’avère singulière. Chacun de nous a sa propre manière de vivre, de lui donner une forme et une signification. Disons que « l’acte de vivre » et « l’acte de raconter » sont uniques, singuliers à chacun.
La méthode biographique utilisée suppose qu’on commence à en savoir plus sur soi-même grâce aux autres, dans des prises de parole, des conversations, des récits. Cela exige que nous soyons dans un contact immédiat, que nous développions des relations d’interaction, complexes et réciproques. L’interaction de celui qui veut parler et se raconte et de celui qui écoute et reçoit, de celui qui est à l’épreuve de son récit et de celui qui recueille les preuves de ce questionnement. Ne sont-ils pas, l’un et l’autre, à la fois questionneur et questionné ?
Dans la période actuelle marquée par une grande instabilité économique, politique, familiale, sanitaire, il nous faut réinventer le lien familial. Ou, si l’on veut, le réenchanter. Percevoir et comprendre les attentes au sein des familles, recréer du lien entre générations, redéfinir les bornes de la solidarité.
Voilà pourquoi le projet de Myriam Haccoun et de son équipe est rassembleur. Il réunit les générations autour d’un bel objectif commun marqué par l’empathie, la bienveillance, la sensation d’utilité au sein d’un groupement ou d’une communauté humaine.
Quoi de plus fort et de plus émouvant qu’écouter et donner une place à nos aïeux, souvent isolés, dans un monde anxiogène où l’on nous vante tous les jours les vertus d’une technologie qui n’a pas, ou peu, intégré les dimensions humaines, de ChatGPT aux caisses automatiques dans les supermarchés, en passant par la réalité virtuelle et les métavers qui souhaitent substituer au réel un virtuel censé être plus séduisant… ?
J’ai aimé ce projet, c’est pour cela que je vous en ai parlé aujourd’hui.
© Gérard Kleczewski
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