Contacté en vue d’une émission pour le podcast « Hérétiques », l’historien des « mondes juifs » des XIXe-XXe siècles Georges Bensoussan avait préféré un entretien écrit.
Il est ici interrogé, d’abord, en tant qu’initiateur du livre inaugural « Les Territoires perdus de la République : antisémitisme, racisme et sexisme en milieu scolaire » (2002) suivi, quinze ans plus tard, par « Une France soumise – Les voix du refus ». Tous deux dénonçaient avec effarement l’avancée fulgurante de l’obscurantisme barbare ou savant sous couvert de tolérance et d’« antiracisme ». Mais c’est aussi ici l’inculpé pour « haine raciale » qui s’exprime, acquitté après un procès en sorcellerie chapeauté par l’État français et relaté dans « Un Exil français. Un historien face à la justice » (2021), qui marque une étape importante dans l’institution d’un crimepensé orwellien. Enfin, c’est son regard sur l’évolution de notre société qui est sollicité, regard vigilant toujours porté vers les petites gens, les sans-grades, les anonymes, jamais innocents mais toujours éternelles victimes de ceux qui veulent écrire l’histoire sans eux – c’est-à-dire contre eux – en la pavant de bonnes intentions.
L’entretien qui suit, érudit et foisonnant, agacera ou stimulera, scandalisera ou réveillera : la question n’est plus tellement, et malheureusement, de faire état des accords ou des divergences (nous en avons de nombreux et de nombreuses, qui auraient tous mérité d’autres discussions) mais de savoir si de tels points de vue et leur discussion honnête sont encore concevables. Et pour combien de temps.
LC
Lieux Communs : Commençons par une question simple : qu’en est-il de l’évolution de l’antisémitisme en France ?
Georges Bensoussan : L’antisémitisme obéit à une évolution cyclique plus ou moins régulière. Cette réponse lapidaire laisse entendre qu’il s’agit d’un cycle sans fin, ce qui est hautement probable dès lors qu’on essaie d’élucider la genèse de l’antisémitisme, ce en quoi il constitue une passion constitutive de deux grandes aires de civilisation, la civilisation occidentale marquée par le christianisme sous toutes ses formes et la civilisation arabo-musulmane en insistant sur la dimension arabe de l’islam.
Si l’on considère, par exemple, l’évolution de l’antisémitisme en France depuis le Second Empire il y a plus de 150 ans, on constate à l’œuvre ce fonctionnement cyclique qui fait du Second Empire un d’âge d’or pour le judaïsme français, l’époque où se cristallise le « franco-judaïsme », de Joseph Salvador à Samuel Cahen entre autres. L’âge d’une émancipation dont l’une des réalisations principales est la création en 1860 de l’Alliance israélite universelle. Cette période plutôt heureuse est suivie d’une poussée antisémite entre 1880 et la fin du siècle dont l’acmé est évidemment l’affaire Dreyfus, laquelle demeure incompréhensible sans la prise en compte du bouillonnement antisémite des années 1880 qui voit, entre autres, l’énorme succès de librairie de La France juive d’Edouard Drumont en 1886 puis le lancement, grâce à l’argent gagné, du quotidien La Libre parole en 1892, plusieurs années avant l’affaire Dreyfus.
En poursuivant sur l’idée de cycles, vous constatez qu’à partir des années 1900 l’antisémitisme régresse dans la société française et s’atténue plus encore avec la Grande Guerre qui marque une forme d’intégration dans la nation comme le montrent en particulier l’évolution de Barrès et de ses « familles spirituelles », et la fameuse image du rabbin donnant l’extrême-onction à un soldat catholique mourant sur le champ de bataille. Cette accalmie dure jusqu’au début des années trente. Elle est suivie d’un réveil de la fièvre antisémite qui dure jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, voire un peu au-delà d’ailleurs. Une période de passion antijuive illustrée, entre autres, par le succès des pamphlets de Céline, surtout le premier Bagatelles pour un massacre en 1937. Au début de l’Occupation, entre l’été 1940 et l’été 1942, l’esprit public est marqué par la présence (et là-dessus tous les témoignages concordent) d’un antisémitisme latent, puissant, un fond d’atmosphère, une sorte de doxa qui impute aux « Juifs » une large part de responsabilité dans la défaite de juin 1940. À cette époque, c’est un lieu commun que de s’en prendre « aux Juifs ». Contre eux, la violence du gouvernement de Vichy rencontre dans l’opinion un écho favorable. Ou, au mieux, de l’indifférence. Et rarement, mais ils existent, des témoignages de solidarité. Il faut attendre les grandes déportations de 1942, en particulier la rafle du Vel’ d’Hiv’ à Paris en juillet 1942, pour que l’opinion commence à s’interroger et vacille (un peu) dans ses certitudes. Et encore…
Après la guerre, à partir des années 1950, commence pour une bonne trentaine d’années une période de régression de l’antisémitisme en dépit de poussées de fièvre épisodiques liées à la modernisation du pays et à la précarisation d’un certain nombre d’existences. Je pense à la fièvre poujadiste des années 1950 comme aux manifestations d’antisémitisme à l’ouverture du procès Eichmann (avril 1961), des accès fébriles qui traduisent cet arrière-fond culturel qui fait partie de l’identité française et dont témoigne la fameuse phrase du général de Gaulle qui dans une conférence de presse tenue en novembre 1967 évoque à propos de l’État d’Israël le peuple juif (et non le peuple israélien, ce qu’il faut noter), comme « un peuple d’élite, sûr de lui-même et dominateur », des mots qui font partie des clichés antijuifs les plus classiques partagés par une majorité de la population française aux XIXe et XXe siècle.
Reste que sur la longue période du « second XXe siècle », la communauté des Juifs de France s’est largement étoffée par l’arrivée d’une partie des Juifs d’Afrique du Nord (la quasi-totalité des Juifs d’Algérie, une petite moitié des Juifs de Tunisie et une minorité de Juifs marocains auxquels il faut joindre une poignée de Juifs égyptiens). Forte d’environ 300 000 personnes avant la guerre, la « communauté juive de France » double en effectif dans les années 1990. Nul doute que les préjugés antisémites ont alors beaucoup régressé dans la société française. On le voit par exemple dans les questionnaires qui portent sur l’éventualité de nommer ou d’élire un Premier ministre ou un Président de la République juif. On passe d’un rejet massif dans les années 1950 à un rejet résiduel (environ 20 %) dans les années 1990. C’est l’époque où en avril 1990, dans Le Figaro, Annie Kriegel écrit que jamais les Juifs de France n’ont vécu aussi heureux.
C’est à partir des années 1990 que se font jour les premiers signes d’un réveil de l’antisémitisme. Il est encore limité à ce qu’on appelle désormais par antiphrase les « quartiers sensibles » et à une fraction de la population issue de l’immigration. C’est à l’époque de la première guerre du Golfe (1991) que ces premiers signes sont confirmés, en particulier lors de la traque des milieux islamistes au cours des années suivantes. Je pense en particulier aux actions terroristes commises en France en 1995 par Khaled Kelkal. Je pense à ses convictions antisémites rabiques que, quelques mois avant sa mort, un entretien mené par une journaliste allemande avait mis en lumière.
LC : Pourriez-vous détailler la manière dont s’est opéré le basculement de l’antisémitisme chrétien et occidental vers l’antisémitisme musulman ?
G. B. : Si basculement il y a, il s’agit d’un basculement démographique, à savoir que l’islam, et en particulier la composante arabe de l’islam, quantité négligeable dans l’Europe des années 1950 est devenu une composante religieuse et culturelle essentielle du Vieux continent, en particulier en France où se regroupe la plus forte communauté musulmane d’Europe. Mais il faut compter aussi avec l’Allemagne et l’islam turc, le Royaume-Uni et l’islam du sous-continent indien, les Pays-Bas et l’islam marocain, sans oublier l’arrivée des grandes vagues migratoires de 2015 liées à la guerre civile en Syrie.
Il n’y a pas forcément de convergence entre les deux antisémitismes, celui d’une immigration arabo-musulmane, majoritairement maghrébine dans le cas de la France, et l’antisémitisme « français de longue date », enraciné dans la tradition de l’Église catholique la plus conservatrice, dans celle de la droite nationaliste et dans certains milieux de gauche que l’on retrouve aujourd’hui jusque sur les bancs de l’Assemblée nationale. Seul point commun, la convergence de leur rancœur sur un même objet de répulsion. Au-delà, on a affaire à trois traditions distinctes d’antijudaïsme dont l’une est aujourd’hui en pleine expansion, il s’agit de l’antisémitisme d’origine maghrébine, islamique ou non. L’antisémitisme chrétien et nationaliste a régressé sans toutefois disparaître, tant s’en faut. Enfin, la réprobation d’Israël qui constitue le fond et la doxa d’une partie de la gauche peut nourrir en son sein une dérive vers un antijudaïsme à base anticapitaliste, comme au XIXe siècle, et anti-impérialiste, puisque l’État d’Israël ne serait que le dernier avatar du fantasme de la « puissance juive mondiale ».
Après 1945, le rejet ou la haine « du Juif » ne peut plus s’exprimer comme avant la Seconde Guerre mondiale. De là, l’intérêt de se pencher sur l’évolution de l’antisionisme dont on ignore généralement qu’il s’enracine à l’extrême droite catholique et nationaliste dès la fin du XIXe siècle. Et dont on a oublié également la place centrale qu’il occupait dans le credo nazi, obsédé par l’idée d’empêcher à toute force la création d’un État juif en Palestine.
Précisons pour éviter de perdre du temps que l’antisionisme ne se confond pas avec la critique de la politique israélienne, laquelle est évidemment parfaitement recevable. L’antisionisme d’après 1948 est la mise en cause de la légitimité de cet État, c’est-à-dire de son droit à l’existence. Autrement dit, la mise en place de ce que Pierre-André Taguieff nomme un « permis de démolition ». On est donc loin ici de la critique d’une politique gouvernementale. Il y a plus cinquante ans déjà, et de façon lumineuse, Léon Poliakoff en 1969 et Vladimir Jankelevich en 1971 avaient montré combien la vieille passion antijuive, désormais masquée par la honte d’Auschwitz, pouvait se donner libre cours dans l’antisionisme devenu l’habillage acceptable de cette paranoïa collective. Du « peuple en trop » d’avant la Seconde Guerre mondiale, on avait basculé vers « l’État en trop », fauteur de guerre, comme « le Juif » d’avant-guerre avait été stigmatisé par Céline comme le fourrier d’une nouvelle boucherie généralisée. La logorrhée antijuive de Céline, au moins dans le premier de ses trois pamphlets (Bagatelles pour un massacre paru en 1937), tournait essentiellement autour de l’idée fixe selon laquelle « les Juifs » entendaient conduire « les Goyim » (sic) vers un nouvel abattoir.
LC : Les musulmans se targuent d’avoir toujours été bien plus respectueux envers les minorités juives que l’Europe : que penser de cette tolérance envers les Juifs revendiquée par l’islam historique ?
G. B. : L’idée d’une naturelle « tolérance » de l’islam et de sa tout aussi naturelle propension à la convivialité est une illusion historique, un mythe consolateur créé par un certain nombre d’historiens européens du XIXe siècle. La notion de « convivencia » est introduite par les historiens espagnols qui s’opposent sur la définition de l’identité de leur pays comme ils s’opposent aussi sur la vision de l’islam. Et pour ce qui concerne les Juifs du monde arabo- musulman, un mythe forgé par des Juifs ashkénazes qui eurent tendance à instrumentaliser leur histoire à leurs propres fins. Il s’agissait pour eux de mettre en avant une mythique tolérance de l’islam vis-à-vis des Juifs et des chrétiens, jusqu’à dessiner une société de convivialité (la légende d’Al-Andalus) pour mieux mettre en lumière l’archaïsme de l’Europe chrétienne vis-à-vis de l’émancipation de ses minorités juives. Au milieu du XIXe siècle, en effet, seule une minorité de Juifs dans le monde sont émancipés au sens des mesures françaises de 1791… L’émancipation complète des Juifs d’Allemagne, une très nombreuse communauté ou des Juifs du Royaume-Uni ne sont achevées que dans la seconde moitié du XIXe siècle. Sans parler de l’immense masse du judaïsme de l’empire russe (plus de la moitié des Juifs du monde) que seul émancipera le bouleversement révolutionnaire de 1917.
Ce mythe de la convivialité a donné naissance à la légende d’un paradis de tolérance, l’Al Andalus du XIIe siècle au XIXe siècle, à l’andalouse. Or, l’usage du mot tolérance ici est profondément ahistorique et anachronique. La tolérance, en effet, est le résultat. d’un long processus intellectuel qui s’est déroulé en Occident le long des XVIe et XVIIe siècles. Pour arriver en France à l’édit de Nantes (1598), il a fallu traverser quarante années ans de guerre de religion marquées par un déchaînement de barbarie, pour finir par élaborer la notion de compromis. À savoir qu’on peut vivre à côté de gens qui ne pensent pas comme vous, mais qui, nonobstant, ont le droit de vivre. Les Essais de Montaigne, composés en pleine période des « guerres de religion », sont marqués par ces notions de relativisme, de doute, de compromis et in fine de tolérance. Ils en sont l’héritage le plus direct. Il en va de même à l’échelle de l’Europe de la première moitié du XVIIe siècle, déchirée par la guerre de Trente Ans. À certains égards, si le XVIIe siècle apparaît comme le grand siècle de la pensée (cf. l’œuvre de Paul Hazard [1]), c’est aussi à cause de ce climat de violence d’où émerge la notion du sujet contre le clan ou la tribu. L’identité construite contre l’identité reçue et subie. La mise en place d’un processus d’émancipation vis-à-vis des appartenances tribales et des croyances collectives.
Dès lors, attribuer à l’islam cette notion de tolérance est absurde, ce n’est possible qu’en mariant la démagogie (flatter la « religion des opprimés » dominante « dans les quartiers » comme on dit) et l’océan d’ignorance qui nous entoure. Ce n’est pas seulement un anachronisme, c’est aussi un non-sens dès lors que l’islam, qui est d’abord un code juridique et une orthopraxie n’accepte l’existence d’autrui qu’à ses conditions propres. Jamais en tant qu’égal. L’altérité lui est consubstantiellement étrangère. De là que la notion de dhimma (« protection » en arabe) est centrale en islam. Certains thuriféraires de l’islam ont tendance aujourd’hui à considérer cette notion comme un archaïsme obsolète, au prétexte, entre autres, que ce code d’infériorité du chrétien et du juif en terre d’islam, a été aboli en effet par l’Empire ottoman au milieu du XIXe siècle. Comme si la loi dictait les mœurs.
Cette « protection » du non-musulman juif et chrétien demeure pourtant, jusqu’aujourd’hui, une notion-capitale dans l’économie psychique de l’islam. Elle ne relève pas de la tolérance, mais de la soumission dès lors qu’il ne s’agit pas d’un contrat entre égaux. C’est pourquoi l’expression « pacte d’Omar » [2] à son propos est inappropriée. Il s’agit d’une règle non négociée qui est imposée au soumis. Il s’agit d’un « contrat » léonin dicté à celui qui n’a pas voix au chapitre et qui lui permet de vivre et d’exercer sa foi (le plus discrètement possible), à la condition de souscrire à un grand nombre de clauses. Et de payer deux impôts supplémentaires. Les idées d’égalité et de tolérance entre musulmans et non-musulmans sont absentes d’un univers mental structuré par la notion de soumission, absentes d’une économie psychique dans laquelle la parole de Dieu, incréée, ne s’interprète pas, mais s’applique.
Faire passer la dhimma pour une preuve de tolérance au sens occidental du terme quand il s’agit d’une vie en butte au mépris, à l’humiliation et potentiellement à la violence constitue une forfaiture historique lorsqu’on en connaît la réalité. Certes, ses modalités d’application diffèrent selon les époques et les lieux, mais le texte, lui, demeure intact et peut à tout moment être remis en vigueur dans sa version la plus sévère. Lorsque le sort des Juifs ou des chrétiens s’améliore, c’est le plus souvent en fonction du bon vouloir du pouvoir, et très rarement d’une évolution du droit. C’est là la définition de l’arbitraire, et c’est ce qui explique que les souvenirs des minorités chrétiennes ou juives en terre arabo-musulmane sont marqués par l’omniprésence d’un climat de crainte qui parfois dégénère en peur, voire en angoisse.
Évoquer la tolérance de l’islam, c’est faire de la tolérance une disposition naturelle ou une question morale et non le résultat d’un processus intellectuel, l’aboutissement d’une révolution de la pensée et d’un travail sur soi. L’acceptation d’autrui est la chose la moins naturelle du monde. Or, l’Occident du XVIIe siècle réalise cette révolution magistrale dont nous demeurons les héritiers. L’islam n’a jamais connu cette révolution-là. Les rares tentatives de rénovation ou de « renaissance » (je pense à la Nahda du début du XXe siècle) ont été écrasées ou ont fini en impasse comme la majorité des bouleversements arabes des XXe siècle et XXIe siècle.
Si l’on a en vue la révolution intellectuelle du sujet, inséparable de la révolution démocratique qui caractérise la pensée occidentale des XVII°–XIXe siècles, on doit conclure que la majorité de l’espace arabo-musulman en est resté très éloigné. De là, un conflit culturel de grande ampleur lorsque une partie de ces populations gagnent un Occident dont les paramètres intellectuels leur sont étrangers. De l’Occident, beaucoup épouseront le mode de vie, en particulier (pour ceux qui le peuvent) la frénésie de l’hyper consommation. Pourtant, beaucoup demeureront étrangers à son mode d’être. De là que la notion-slogan du « vivre ensemble » ressemble à un village Potemkine, un songe-creux qui masque le contraire de ce qu’il prône : là où l’islam « orthodoxe » et littéraliste triomphe en Europe, il n’y a plus de possibilité d’un véritable vivre ensemble, c’est-à-dire dans l’égalité des statuts.
LC : Quelle est la source de cet antisémitisme musulman ? Est-il conjoncturel (on évoque facilement l’État Israël), ou englobé dans la condamnation ou relégation coranique des « Autres » (chrétiens, femmes, etc) ? Ou encore, comme certains historiens le laissent à penser, le diriez-vous ontologique, l’islam étant pétri d’un mimétisme historique s’exprimant dans une fascination / répulsion pour le judaïsme ?
G. B. : Ces questions se recoupent. En précisant toutefois qu’il vaut mieux parler d’un antijudaïsme musulman que d’antisémitisme pour éviter d’emprunter une notion inventée par le XIXe siècle européen et qui, vous le savez, évoque une mythique race sémite. Dans le domaine arabo-musulman, à cette époque, on est loin de ces considérations. On demeure alors dans un rejet de nature religieuse.
S’agit-il d’un rejet de nature conjoncturelle ou plus structurelle, métaphysique ? Vous employez à raison le terme ontologique… Que la conjoncture historique ait joué un rôle dans le rejet du monde arabo-musulman, c’est évident avec, à la clé, deux facteurs. Le premier, le plus connu, c’est l’émergence de l’État-nation d’Israël sur une terre considérée par le monde musulman comme musulmane de toute éternité, inventant tardivement une sacralité de Jérusalem qui ne figure pas dans le Coran (la ville n’y est jamais mentionnée). C’est le Dôme du Rocher qui y est mentionné (ce que l’on nomme improprement la mosquée Al Aqsa) et non, la ville elle-même, Yeroushalayim de son nom hébraïque. Il faut rappeler pour une meilleure compréhension culturelle du conflit en cours que ladite mosquée Al Aqsa, le Dôme du Rocher, est construit très exactement sur l’emplacement du Temple juif détruit par les Romains au début de notre ère. Que la construction du « troisième lieu saint de l’islam » ait été pensée, conçue et réalisée sur l’emplacement du lieu le plus saint du judaïsme, il y a l’illustration quasi parfaite du mimétisme [3] et de la stratégie d’effacement de l’origine.
Si le conflit autour de cette terre apparaît dès les années 1910 comme un conflit de nature nationale au sujet d’une même terre disputée, il prend une tournure religieuse à partir des années 1925 lorsque, sous la direction du Conseil suprême musulman de Palestine et de son président (par ailleurs « grand mufti de Jérusalem », c’est le titre qu’il s’est lui-même attribué), le jeune Amin al Husseini, âgé d’à peine trente ans, la mobilisation contre les « sionistes » va s’élaborer sur une base musulmane (85 à 88 % des Arabes palestiniens sont musulmans sunnites) plutôt que sur une base nationale. La nation demeure encore largement étrangère à une société massivement musulmane, analphabète et de structure clanique. Seules les élites arabes, qui sont alors généralement chrétiennes, s’approprient ce terme. C’est pourquoi le nationalisme moderne a du mal à s’enraciner là. L’islam, en revanche, ouvre la voie pour canaliser les énergies et les émotions. L’intelligence du « grand mufti » est d’avoir su islamiser le conflit en le focalisant sur le caractère « sacré » de Jérusalem dénommée Al Quds.
À partir des années trente, la dimension religieuse l’emporte sur toutes les autres. D’ailleurs, le camp arabe parlera de moins en moins souvent des « sionistes » (ou plus tard des « Israéliens »), il lui préférera, jusqu’aujourd’hui d’ailleurs le terme de « Juifs » (Yahoud). Il est d’ailleurs significatif que le premier épisode de résistance armée au nationalisme juif en Palestine ait été mené en 1935 par un prédicateur musulman d’origine syrienne, érudit en matière coranique, Ezzedine Al Qassam, lequel, des années durant, avait regroupé dans les faubourgs de Haïfa, sur une base strictement islamique, des pauvres, des déclassés, des paysans privés de terre et des chômeurs, tout un petit peuple qui formera le premier noyau de cette résistance armée. Ce n’est pas de la bourgeoisie nationaliste qu’émerge ce premier groupe de combat, mais des milieux populaires réislamisés.
Il y a un deuxième volet au rejet des Juifs dans le monde arabo-musulman, c’est leur émancipation progressive, sous la houlette de l’Europe, par le biais de la colonisation et bien davantage encore par le biais de l’éducation via les vastes réseaux d’écoles d’origine européenne, qu’il s’agisse d’écoles consulaires ou d’écoles chrétiennes. Mais en premier lieu, c’est le réseau des écoles de l’Alliance israélite universelle [4] (fondée à Paris en 1860), qui essaime dans la quasi-totalité du monde arabe (à l’exception du Yémen).
Cette émancipation culturelle, intellectuelle et psychique n’est pas forcément corrélée à la modification de la loi quand l’empire ottoman, en deux étapes (1839 puis 1856) abolit la notion de dhimmiet proclame l’égalité juridique de tous ses sujets. Mais il y a loin de la loi aux mœurs. Pour autant, cette libéralisation, menée pas à pas, aboutit au terme de trois générations à une sortie difficile, contestée, mais bien réelle, du statut de dominé, de soumis, de protégé (dhimmi). L’islam vit cette libération du dhimmi, en l’occurrence ici du dhimmi juif, comme une insulte et une offense. C’est ce qu’il nomme une conduite « arrogante », comme si l’égalité réelle entre musulmans et non-musulmans demeurait impossible à envisager. C’est là le point nodal d’une économie psychique close sur elle-même, incapable d’envisager l’altérité sur un pied d’égalité, et qui évacue d’emblée la question pour ne garder que la réponse. De là des blocages culturels d’importance qui demeurent jusqu’aujourd’hui. De là, aussi, en miroir, la dramatique incapacité de nombreux Occidentaux à entendre les racines culturelles d’un conflit, à envisager la dimension anthropologique à tous les affrontements entre groupes humains, schématiquement réduits à leur seule dimension économique et sociale (cf. Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, 2010, à propos des émeutes des banlieues françaises survenues à l’automne, 2005).
Le processus d’émancipation des Juifs par le biais de la modernité occidentale court du milieu du XIXe siècle au milieu du XXe siècle. Il alimente le rejet structurel des Juifs par l’islam, un rejet qui s’exacerbe avec la prétention des Juifs à édifier un État-nation sur une partie de la Palestine (la « Terre sainte »).
Cela n’infirme pas pour autant l’hypothèse d’un antijudaïsme de nature ontologique, marqué par l’ambivalence et qui balance entre fascination et répulsion à l’endroit d’un judaïsme dont l’islam est tout droit issu. Qui est précisément comme sa matrice. Quand l’islam prétend mettre en œuvre le message originel « trahi par les Juifs » qui en étaient les porteurs, il se condamne à entretenir à l’endroit du judaïsme une attitude oscillant de la reconnaissance à la condamnation. La reconnaissance : ce sont les versets du Coran qui affirment le droit historique des Juifs sur la « Terre sainte ». Il faut lire à cet égard les propos d’un certain nombre de notables musulmans de Palestine à la fin du XIXe siècle, à commencer par l’ancien maire de Jérusalem, Youssouf Zia al Khalidi dans une lettre adressée à Herzl en 1899. Mais il s’agit d’une reconnaissance perturbée par le ressentiment contre un judaïsme entêté à persévérer dans son être. À l’oreille du musulman, cet entêtement sonne comme un défi au message coranique qui clôture l’histoire de la rédemption. Car le message de Mahomet s’adresse à l’humanité tout entière appelée à devenir musulmane. L’universalisme, partant le prosélytisme propre à l’islam, comme au christianisme se heurte à la matrice juive, une butte-témoin dont la persévérance fragilise le message nouveau.
À la stupeur succède la colère, voire la haine, et une rage de destruction comme seule issue à l’angoisse de l’origine comme dirait Daniel Sibony. Pour être absolus, ces messages ont besoin d’effacer l’origine qui les mine dans leur prétention à être le tout. La question de l’origine est la question cruciale qui porte en elle la kyrielle des drames à venir. C’est vrai pour l’islam, et ça l’est bien davantage pour le christianisme fondé presque directement sur la parole du rav Yeshua, c’est-à-dire Jésus. En publiant en 1863 sa Vie de Jésus, au grand scandale de l’Église de France qui le lui fera payer, Renan mettait en lumière la matrice quasi exclusivement juive du message chrétien. De là, l’origine de la malédiction in fine génocidaire dont Jules Isaac, moins d’un siècle plus tard, entreprendra l’étude (Jésus et Israël [5]).
Lieux Communs : Cette fixation islamique sur la judéité se retrouve politiquement : on entend ainsi, de manière récurrente, les islamistes comparer la situation des musulmans en France aux persécutions des Juifs sous l’Occupation. L’affirmation est absolument obscène, mais, si l’Occident est effectivement habité par une « passion génocidaire », pour reprendre le titre de votre ouvrage de 2006 (Europe, une passion génocidaire), les musulmans n’ont-ils pas finalement raison de craindre pour eux-mêmes ?
Georges Bensoussan : Dans ce livre que vous citez, j’avais essayé, sans prétendre à l’exhaustivité évidemment, de dégager quelques racines culturelles de la Shoah que, dans la lignée de la pensée d’un Pierre Legendre qui vient de disparaître, je tiens pour une césure anthropologique. En évoquant une « passion génocidaire », je tentai d’en dégager les soubassements, les linéaments, le parcours de cette volonté de faire disparaître le signe juif de l’horizon culturel de l’Occident chrétien. Hasard des lectures, je suis tombé récemment sur l’épisode de la rencontre entre Théodor Herzl et le pape en janvier 1904, quelques mois avant la mort du dirigeant sioniste. Il était venu à Rome plaider la cause d’un foyer national juif en « Terre sainte » comme disent les chrétiens. Le pape le reçoit fort courtoisement et, à sa demande, il répond simplement : « Vous ne reconnaissez pas la divinité de Jésus, nous ne pouvons donc vous reconnaître, vous les Juifs ». En d’autres termes, les Juifs n’auront jamais de droits en Terre sainte dès lors qu’ils ne reconnaissent pas la messianité de Jésus. Cette question constitue le nœud du problème et entraîne une construction qui vise, on le sait tous, et ceci n’a rien d’original, à se substituer au judaïsme. Cette « théologie de la substitution » vise moins à faire disparaître le message juif que le messager juif, alors que le christianisme des origines n’est rien d’autre qu’une branche juive parmi beaucoup d’autres. Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans l’historiographie classique les Évangiles auraient été rédigés en hébreu et en araméen à la fin du 1er siècle, soit longtemps près la mort de Jésus. Les travaux plus récents de Claude Tresmontant [6] démontrent de façon convaincante que les Évangiles ont été écrits dans la foulée immédiate de la mort du Christ (peut-être en hébreu ou en grec par des hébréophones), et par ses disciples, ce qui est plus vraisemblable. On comprend mal en effet pourquoi il se serait écoulé 70 ans entre la mort du Messie supposé et le récit de ses disciples. A priori, ce délai paraît invraisemblable sauf si l’on prend en compte la volonté du christianisme institutionnalisé de rompre ses racines avec le judaïsme.
Ce développement un peu long pour expliquer que j’ai usé de l’expression « passion génocidaire » dans le seul cas du peuple juif qu’on a voulu éradiquer de la surface de la Terre. Car il s’agit bien ici d’un crime ontologique que ne soutient aucune rationalité économique, politique ou territoriale. Un crime de nature strictement idéologique quand il faut faire disparaître les Juifs par souci existentiel : « Ils sont maudits si nous sommes chrétiens » notait un curé français à la fin du XIXe siècle, un propos rapporté par le journal La Croix.
C’est pourquoi il ne s’agit pas d’extrapoler et concevoir une Europe habitée comme par essence d’une volonté génocidaire à l’endroit de tout ennemi. Comme s’il s’agissait d’une identité de type « racial ». L’Europe est traversée par des conflits multiples, en particulier à l’époque moderne à partir des « guerres de religion » entre le milieu du XVIe et le milieu du XVIIe siècle, des conflits d’une atrocité aujourd’hui oubliée, mais qui ne sont pas de nature génocidaire. Des massacres épouvantables (que l’on pense aux guerres de religion françaises et à l’œuvre d’Agrippa d’Aubigné, Les Tragiques,) une orgie de sadisme (qu’on pense aux guerres de Vendée en 1793), mais pas la volonté de faire disparaître une population jusqu’au dernier.
C’est pourquoi je récuse l’application des mots « passion génocidaire » aux musulmans d’aujourd’hui. Comme je refuse aussi de croire que les musulmans d’aujourd’hui craindraient pour leur survie en Europe. Si tel était le cas, on comprendrait mal pourquoi ils sont si nombreux à vouloir gagner le Vieux continent alors qu’ils y seraient menacés d’une mort certaine. Il s’agirait d’un comportement d’ignorant ou d’abruti. Il en va de même pour la France, cet État qualifié d’« État ontologiquement raciste » dans les milieux de l’extrême gauche « décoloniale » flanquée de ses multiples alliés proto-islamistes. Mais alors, une fois encore, pourquoi tant de musulmans, venus du Maghreb en particulier, convoitent-ils ce fameux permis d’entrer dans un pays où les attendent discrimination, ségrégation, racisme au quotidien et, in fine, danger de mort… ? De quoi raviver ce chromo de populations angéliques, nourries d’une « religion de paix et d’amour » et se dirigeant, visage innocent et cœur battant, vers ses bourreaux… Pour rappel : en 1938, alors que les nuages s’amoncellent, les Juifs n’ont de cesse de fuir l’Europe. C’est la course aux visas et aux passeports, le recours à l’immigration clandestine et quasiment partout les portes fermées. Jusqu’à l’abandon hypocrite de la conférence d’Évian (juillet 1938) couronné par le Livre blanc britannique sur la Palestine promulgué qui en mai 1939 ferme aux Juifs les portes de la Terre sainte.
Nous assistons au mouvement inverse avec les musulmans qui arrivent en Europe. C’est pourquoi ce déni massif de la réalité interroge la capacité du psychisme humain a travestir le réel pour camper dans un univers de faux-semblants, d’illusions, de leurres qui assurent la survie à court terme. Il questionne également la prétendue « passion génocidaire » de l’Europe appliquée aux musulmans pour y retrouver le vieux mimétisme arabo-musulman vis-à-vis des Juifs. C’est l’imaginaire de l’Orient arabe qu’il interroge bien davantage que celui de l’Europe. Un imaginaire arabe (en particulier au Maghreb où en 1945 se concentrent les communautés juives les plus nombreuses de l’Orient musulman, Iran et Turquie incluse), habité par le double mouvement de répulsion/fascination à l’égard du signe juif. Une ambivalence courante que l’on retrouve également dans certaines formes d’antijudaïsme en Europe. De là, un comportement mimétique vis-à-vis des Juifs, voire un comportement jaloux au sens originel du terme quand il s’agit de se substituer aux Juifs pour apparaître comme la seule figure de l’origine.
L’origine de l’islam demeure profondément marquée par le message juif, et à certains égards c’est souvent un décalque du judaïsme. Le prophète Mahomet qui malgré la légende n’est pas un analphabète, mais au contraire connaît parfaitement les grands textes de la tradition juive, bâtit avec les siens un enseignement imprégné de judaïsme. C’est là que le bât blesse. Comme dans le cas du christianisme, on entend garder le message en se débarrassant du messager. Aux chrétiens, la théorie de la substitution ; aux musulmans, la théorie de la falsification. A fortiori quand l’islam se pose en religion révélée qui clôture. Et que l’on prétend être à soi-même sa propre origine.
On ne peut dissocier les crises intellectuelles et morales que nous vivons aujourd’hui de la révolution anthropologique entamée au moins depuis un siècle, à savoir l’effondrement de la pratique religieuse, en particulier en France de la pratique catholique. En 1872, dans le dernier recensement public qui comportait officiellement une rubrique religieuse, plus de 97 % des Français avaient répondu qu’ils étaient « catholiques romains ». À quelques points près, on en est encore pratiquement là au début des années 1960. Mais en 2020, ils ne sont plus que 25 % à faire la même réponse. Là est le choc majeur et largement sous-estimé.
Enfin, et sans verser dans une approche mystique, on peut s’interroger sur ce qui, au-delà de la jalousie de l’origine, insupporte tant les modernes dans le message juif. En 1882 déjà, dans sa brochure Autoémancipation, Léon Pinsker qualifiait les Juifs de « peuple élu de la haine universelle ». Je ne suis pas loin de penser, même si c’est avec réticence qu’il est possible que la loi qui limite, ordonne et assure le passage de la barbarie vers la civilisation constitue peut-être le cœur de l’insupportable pour un monde gagné par l’hubris de la toute-puissance, au mépris de la morale la plus élémentaire. La loi qui empêche est le message basique de toute civilisation et s’y voir constamment ramené devient insupportable. On entend ici, en écho, la parole que l’un des sages du judaïsme antique, Hillel, aurait répondu à cet empereur romain qui le défiait de pouvoir résumer l’enseignement du judaïsme en se tenant sur un seul pied : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ».
LC : Cela mériterait certainement discussion, voire un nouvel entretien… Mais, parallèlement à cet antijudaïsme atavique, ne retrouve-t-on pas, au fond, une identification des musulmans immigrant en Europe à l’installation progressive des Juifs en Palestine, dont vous retracez excellemment l’histoire dans votre livre récent, « Les Origines du conflit israélo-arabe (1870-1950) » [7] ?
G. B. : L’arrivée des musulmans en Europe, un phénomène massif et déjà ancien d’un bon demi-siècle, fait de l’islam la deuxième religion dans de nombreux pays d’accueil. Les phénomènes religieux nous échappent, à commencer par la vague de fond islamiste, parce que nous sommes sortis, notait Marcel Gauchet au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, « de cette religiosité fondamentale ». La diffusion du modèle occidental, ce qu’il nomme l’« occidentalisation culturelle du globe », impose selon lui à l’ensemble des sociétés une rupture avec l’organisation religieuse du monde ». Quand la modernité est vécue comme une « agression culturelle », a fortiori dans les sociétés musulmanes traditionnelles bousculées, chamboulées même par l’émigration, ce contexte, explique Marcel Gauchet, peut provoquer « une réactivation virulente d’un fonds religieux en train de se désagréger. » Si l’islam est la matrice de la violence islamiste, c’est parce qu’il « est le dernier venu des monothéismes et se pense comme la clôture de l’invention monothéiste. Il réfléchit les religions qui l’ont précédé et prétend mettre un terme à ce qu’a été le parcours de cette révélation » explique Marcel Gauchet. De là, son agressivité vis-à-vis des deux autres monothéismes, une violence nourrie par le ressentiment et l’incompréhension, par la vision du gouffre ouvert entre le discours vainqueur de l’islam et une réalité géopolitique marquée par d’innombrables échecs.
Comparer cette immigration de peuplement à l’immigration juive en Palestine entre 1880 et 1947 m’apparaît comme un sophisme. Tout simplement parce que les Juifs qui débarquent en Palestine ont, à tort ou à raison (c’est une autre question) la conviction de revenir chez eux. Ils n’habitent plus cette terre depuis des siècles, mais elle demeure au centre de leur liturgie, de leurs prières, de leurs cérémonies, de leur imaginaire.
Cela posé, et à l’exception de l’Espagne, en quoi les musulmans qui arrivent aujourd’hui en Europe ont-ils le sentiment de revenir chez eux ? À moins d’évoquer l’arrêt de l’islam à Poitiers en 732 et, pourquoi pas, le col de Roncevaux et le sort de Roland… ? Pour autant, que représente l’Espagne musulmane dans un imaginaire musulman structuré autour de La Mecque et Médine, ces deux villes qui indiquent la direction de la prière (Quibla). Jérusalem est d’ailleurs ici un artifice qui n’est mis en lumière qu’aux époques où la ville échappe aux musulmans : au XIIe siècle avec les Croisades, au XXe siècle avec la colonisation anglaise (1917-1947) et surtout avec le mouvement sioniste. Or, Jérusalem n’est jamais mentionnée dans le Coran (le Dôme du rocher est mentionné, mais pas la ville elle-même), Yeroushalayim, le nom hébraïque de Jérusalem est mentionné plus de 600 fois dans la Bible juive (Ta Na Kh). Ainsi retrouve-t-on ici, en d’autres termes, la logique de la substitution et la même passion mimétique pour ces Juifs que l’on souhaite effacer pour mieux endosser leur habit d’aîné.
Peut-on qualifier d’immigration colonialiste l’immigration juive en Palestine ? Que se passe-t-il sur le terrain entre 1890 et 1940 ? Une immigration juive qui prend de l’ampleur après 1930 et qui, loin de vouloir dominer les Arabes, les ignore. On peut juger condamnable cette politique, mais on ne peut pas en même temps en faire une entreprise de nature coloniale comme celle qui prévaut alors en Algérie. Là, le colonisateur français domine la population arabo-berbère locale, il l’exproprie, la fait travailler et l’exploite. S’il n’y a rien de tout cela en Palestine, c’est parce qu’il s’agit d’une entreprise de colonisation et non d’une entreprise colonialiste.
Une entreprise de colonisation au sens où les cités de la Grèce antique fondent Marseille vers 600 avant notre ère ou colonisent l’Italie du Sud dans le même temps. La forme atypique du nationalisme juif relève de la colonisation lorsqu’un peuple dispersé, et qui depuis longtemps n’habite plus la terre des ancêtres, prétend y revenir pour former un État-nation. Ce cas de figure est évidemment trop singulier pour ne pas déstabiliser l’entendement. Il brouille les repères habituels et nourrit la tentation de rattacher au schéma classique de l’histoire cette figure inconnue. Or, ici, précisément, quelque chose résiste à ces références et à ces modèles, à commencer par le fait, encore aujourd’hui difficilement audible, que le judaïsme est en premier lieu une pratique avant d’être un système de croyances. Et qu’il est en second lieu un peuple (au sens originel de nation) structuré autour d’un livre et d’une langue. Ce n’est pas par hasard que le mouvement sioniste fait de l’hébreu écrit et parlé un combat prioritaire, depuis l’hébreu littéraire et journalistique au milieu du XIXe siècle, jusqu’à l’hébreu langue d’enseignement (vers 1890) puis langue maternelle avant la Grande Guerre lorsque la moitié de la population juive de Palestine (50 à 60 000 habitants), parle hébreu dans sa vie quotidienne.
LC : Vos positions hétérodoxes vous ont valu un procès invraisemblable pour « haine raciale » [8], intenté, notamment, par les islamistes du CCIF [aujourd’hui CCIE]. Vous l’avez finalement gagné, mais au terme d’une épreuve qui évoque à la fois Kafka, Ubu et Orwell, et que vous mettez en perspective dans votre livre Un Exil français [9] qui en analyse les tenants et les aboutissants. Que cela révèle-t-il, à vos yeux, de l’état de la France contemporaine et plus généralement de l’Occident, des tendances lourdes qui les travaillent ?
G. B. : Vous avez raison d’évoquer Kafka et Orwell. Au terme de cette épreuve judiciaire étalée sur quatre ans jusqu’à la cassation, et au terme comme vous le rappelez de trois victoires (première instance, appel et cassation), la plupart de ceux qui m’entouraient avaient, à juste titre, manifesté leur joie d’avoir comme on dit « gagné ».
J’étais certes satisfait, mais je n’ai jamais éprouvé de véritable joie parce que, pour moi, le mal était fait : ce procès n’aurait jamais dû avoir lieu. Là était l’essentiel, ce qu’en chemin on avait parfois perdu de vue. La tenue de ce procès était la preuve de la régression du débat et de la dégradation de la vie intellectuelle en France. Pour le comprendre, il faut faire retour à Tocqueville et à son analyse de « l’absence de pensée » aux États-Unis, et à Orwell qui perçoit clairement la matrice totalitaire des sociétés de masse obsédées par le contrôle des individus, a fortiori là où le communisme a fait fonction de transition vers la modernité, en Russie et surtout en Chine, laquelle nous annonce le règne d’un contrôle social quasi total sur nos vies.
Revenons au procès initié par les islamistes du CCIF [aujourd’hui CCIE] au moyen d’un signalement que le parquet a suivi. Donc l’État, via le Ministère de la justice. Ce procès de délit d’opinion était le signe avant-coureur, avec d’autres, d’une régression de la liberté de parole, et de proche en proche, de la liberté de penser. Des zones entières de la réalité sont ainsi soustraites au débat, interdites d’évocation par l’étrange triade formée par le gauchisme, l’hyper libéralisme financier, et l’islamisme. Parmi ces zones, l’immigration, l’anthropologie culturelle assimilée à une forme insidieuse de « racisme » quand elle fait le constat, banal, de la variété des organisations sociales et des visions du monde. Évoquer cette diversité semble contrevenir à l’utopie de l’homme universel et interchangeable.
Dans mon cas, et c’est ce qui me valut ce procès, il paraissait difficile d’accepter que les sociétés du Maghreb étaient porteuses d’une culture antijuive parfois très profonde, de la même façon qu’il paraissait impossible d’admettre que ces sociétés claniques (cf. Germaine Tillon, Le Harem et les cousins, 1957) sécrétaient une violence dont tous font les frais. À commencer par les femmes, les enfants, les Noirs et les Juifs.
Évoquer des logiciels culturels différents, des conduites sociales différentes (cf. Hugues Lagrange, Le Déni des cultures, 2010) peut vous valoir d’être visé par l’accusation destructrice de « racisme ». À propos des émeutes de 2005, Lagrange l’avait fait. Il s’était fait mettre en pièces par sa famille politique d’origine. Tout se passe comme si décrire la réalité de la violence archaïque qui structure une partie du « monde d’en bas », c’était la faire exister. À ce climat d’intimidation qui peut virer rapidement au terrorisme intellectuel, s’ajoute le prêt-à-penser qui voit dans toute différence une injustice et dans toute singularité une « atteinte à la dignité d’autrui ». Cette dérive démocratique a transformé la passion de l’égalité en aspiration au nivellement égalitariste qui finit parfois par voir dans le talent singulier d’un individu une atteinte à la dignité de ceux qui en sont dépourvus.
Tout se passe comme si la reconnaissance de la singularité des individus, et de l’inégale répartition entre eux des capacités, des talents, des compétences et même de la valeur morale était une atteinte portée à l’égalité comme religion. Je ne m’éloigne pas du sujet en évoquant cette passion de l’égalitarisme qui place sur le même plan la Recherche du temps perdu et un album de bandes dessinées. Elle relève d’un processus de massification qui entend effacer l’individu et entretient un rapport étroit avec la régression de la liberté de pensée.
Dès lors que nous ne sommes pas tous des artistes ou des héros, on ne peut continuer à méconnaître le rôle clé de l’individu, une méconnaissance qui a partie liée avec la singularité des cultures et ce constat, banal, que certaines sont plus stimulantes que d’autres qui favorisent résignation et fatalisme.
Le procès qui m’avait été intenté montrait l’impossibilité de parler de l’immigration, en particulier de l’immigration maghrébine et des schémas culturels régressifs (l’antisémitisme n’en est qu’un exemple) qu’elle avait importés en France. Nous n’en avons pas fini de payer ce mutisme quand pour prévenir le risque de racisme (« ne pas faire le jeu de l’extrême droite »), l’antiracisme dévoyé jette un voile sur des pans entiers d’une réalité sociale qu’on s’interdit de penser.
Cet « antiracisme » est devenu à la longue l’un des pires vecteurs du conformisme de masse. Pour « ne pas stigmatiser des gens déjà stigmatisés » (sic), on travestit la réalité sociale, on trafique le passé historique, on violente une deuxième fois les victimes. Dans la question des traites négrières, par exemple, on s’efforcera de taire ou de minimiser les traites arabes et musulmanes pour mieux instruire le procès de l’Europe, cette source absolue du malheur humain. Au nom du « vivre-ensemble » dans la France d’aujourd’hui, on taira l’antijudaïsme du Maghreb. Ce faisant, on méconnaîtra le déracinement infligé à 500 000 Juifs d’Afrique du Nord au XXe siècle.
Mais cet antiracisme dévoyé est aussi une arme de classe. Le chantage à l’extrême droite a fait taire la peinture vraie de la réalité sociale de la France. On taira donc le sort fait dans les cités aux jeunes filles, aux femmes célibataires ou divorcées, on taira l’identité des auteurs des viols collectifs dans les cités (« tournantes »), on gardera un silence gêné à l’évocation du racisme anti-noir et anti-asiatique, de l’antisémitisme « qui est comme dans l’air qu’on respire » comme l’avait dit en 2015, dans une rare bouffée de courage, le sociologue français d’origine algérienne Smaïn Laacher. Enfin, on taira dans un silence lâche le départ (la fuite ?) de 90 % des Juifs de Seine Saint-Denis en moins de vingt ans. Et on en éprouvera, comme Léon Blum jadis à la signature des accords de Munich, un « lâche soulagement ».
Au nom de cet antiracisme dévoyé, on couvre par le silence des situations effrayantes de violence quasi mafieuse, par souci d’antiracisme, on jette un voile sur l’archaïsme de ces sociétés au fonctionnement clanique, comme aussi sur l’écrasement des plus faibles et sur la domination des femmes tandis que, passé le périphérique, porté par la distinction des « quartiers corrects », on dissertera à l’infini sur nos « valeurs démocratiques ».
Ce procès mettait en lumière l’impossibilité de ces dénonciations. Partant, l’interdiction du débat. L’immigré étant par définition une victime, et toute victime étant par essence l’incarnation de la vertu, on pouvait à partir de ces niaiseries recouvrir de silence la souffrance du « monde d’en bas ».
Du même coup, on ne pouvait imputer à une partie de l’immigration de masse plusieurs éléments responsables de la régression politique et culturelle de nos sociétés d’Occident. L’islamisme aujourd’hui n’en est qu’un aspect. Par capillarité, la peur a gagné les esprits et les a condamnés au silence. La lâcheté a fait le reste. À relire aujourd’hui Spinoza et Diderot, on demeure accablé par la marche arrière dont nous sommes les contemporains.
Ce procès m’a mieux fait comprendre ce que Christophe Guilluy avait bien analysé, cette parodie d’antiracisme comme arme de relégation sociale et morale aux mains des mieux lotis. Et au nom de la vertu dont, par nature, ils sont les dépositaires. L’accusation de racisme (variantes : « fascisme », « extrême droite », etc.) fait taire toute parole dissidente. C’est sa fonction première. Comme l’antifascisme des années 1950 et suivantes. À commencer par la parole des classes populaires qui entendent persister dans leur être et leur culture. Et qui voient dans l’immigration dont elles vivent, elles, les effets tous les jours (combien de conseillers d’État qui ont retoqué tant de projets de lois restreignant cette immigration de masse vivent-ils à la Courneuve ou à Stains ?), une menace existentielle sur leur être collectif, leur identité, en d’autres termes sur ce qui leur reste quand on les a déjà dépossédés de toute maîtrise sur leur destin. Écrasés économiquement, socialement et culturellement, il leur reste leurs habitudes de vie, leurs références culturelles, bref tout simplement leur France. Mais alors, l’attachement à leur identité risque d’être grimé en racisme, synonyme d’exclusion d’autrui. Ainsi drapé dans la posture du bien, et tout entier pénétré de nobles sentiments, l’« antiraciste » participe à la déconsidération généralisée des milieux populaires.
Il y a un peu plus d’un siècle, les classes populaires, ces « classes laborieuses » assimilées à des « classes dangereuses » (cf. l’étude éponyme de Louis Chevalier publiée en 1958), étaient déjà frappées d’immoralité. À l’époque, c’était l’alcoolisme et la prostitution, de L’Assommoir à Nana. Aujourd’hui, l’immoralité est toujours de mise, mais son visage a changé. On ne consomme plus la paie de la semaine au troquet du coin en fêtant le saint lundi, on demeure affalé sur le canapé devant la télévision à nourrir de « mauvaises pensées », à tenir des propos xénophobes et racistes avant de se prononcer par des « votes honteux » pour le retour des « heures les plus sombres de notre histoire ».
Un siècle et demi d’histoire française. En matière de mépris, nous n’avons pas progressé d’un pouce. Il s’exhibe toujours sous les oripeaux du bien et du souci d’« ouverture à l’Autre ». Il s’exprime à l’occasion de chaque crise sociale, depuis les « Gilets jaunes » de 2018 à la levée de boucliers opposée à la réforme des retraites début 2023. Les classes populaires d’aujourd’hui, massivement constituées des petits du secteur tertiaire et de ce qui reste de la classe ouvrière, représentent l’une des pires craintes de l’oligarchie en place.
LC : Finalement, en quels termes formuleriez-vous la crise généralisée, notamment identitaire ou culturelle, dans laquelle nous sommes entrés ?
G. B. : Je reviens à ce procès puisqu’il est au cœur de votre question : on peut le voir comme un fait privé qui n’intéresse que moi et mes proches. Et c’est en partie le cas. On peut le voir aussi comme un fait de société au même titre que les si mal nommés « faits divers ». C’est ce qui explique que ce procès ait tant mobilisé. Je me souviens qu’à l’ouverture du procès, ce 25 janvier 2017, la salle était comble. Une grande partie du public dut rester dehors.
Pourquoi ? Parce qu’à travers cette affaire, en soi dérisoire, chacun percevait plus ou moins confusément que la liberté d’expression était menacée (et est en effet menacée) et sans qu’il soit besoin pour cela de la moindre censure d’État. L’autocensure et la chape de plomb médiatique régissent le « débat public ». Abordez les questions qui habitent, voire angoissent la population et votre propos risque d’être qualifié de dérapage. Ce mot, à lui seul, parce qu’il indique la voie droite marque le premier cercle de l’enfer social.
Dans cet édredon médiatique, il n’est pas besoin de censurer, de couper ou d’interdire telle ou telle publication, les auteurs s’en chargent généralement en pratiquant l’autocensure dès lors qu’ils veulent être publiés. En second lieu viennent les éditeurs [10]. En troisième lieu, enfin, viennent certains libraires qui confondent leur métier avec une officine de propagande de l’agit-prop de jadis et boycottent systématiquement certains éditeurs. Quel que soit le sujet traité. Ainsi, les éditions du Toucan/L’Artilleur font-elles l’objet depuis plusieurs années d’un boycott silencieux et sournois de la part de certains libraires qui se veulent « engagés à gauche ». Ces professeurs de vertu réhabilitent le climat terroriste de la révolution culturelle chinoise de jadis, version française encore modeste à l’image de ses combattants de pacotille, une « expérience chinoise » si fort louangée autrefois par une noria d’intellectuels qui ne firent jamais amende honorable d’avoir soutenu cette entreprise d’humiliation et de meurtre. Quand l’on demande, à raison, à tout histrion fasciste d’expier son engagement dans la Collaboration, pourquoi n’a-t-on pas à la même exigence vis-à-vis des thuriféraires d’un communisme qu’ils ont jadis couvert de leur prestige d’artistes, d’écrivains ou de cinéastes ?
Cette affaire a été un révélateur de la crise identitaire et culturelle. Crise identitaire mise en lumière en 2018 par les « Gilets jaunes », qui montrait combien la mondialisation financière modifiait radicalement les sociétés, les anonymisait et les uniformisait en transformant le citoyen de jadis [11] en consommateur-téléspectateur, passif et muet devant le spectacle de la destruction de ses références culturelles et de son ancrage identitaire, lequel risquera vite d’être qualifié d’« enracinement réactionnaire » et de menace pour la « démocratie ».
Voir détruire son mode de vie et se voir en même temps interdit de le dire est l’une des pires souffrances. Elle génère un ressentiment incubateur de violence. Il en va de même pour le spectacle qui se déroule sous nos yeux d’un long détricotage de l’Occident des Lumières, par le consumérisme, l’industrie du spectacle, la dévalorisation du travail, l’archaïsme politique, culturel et sociétal d’une partie de l’immigration de masse, du recul de la laïcité, de la régression du sort des filles, de l’ensauvagement de certains quartiers, etc. Et se voir en même temps interdire d’analyser cette gigantesque mutation…
Ce fut une longue entreprise que de se défaire de la tyrannie de l’Église catholique en France. Or, aujourd’hui tout semble à recommencer, mais en pire, car l’islam est une culture et un projet politique universel appelé à régenter l’humanité entière. D’autres voix, plus posées, tentent cependant de se faire entendre au sein du monde musulman ; mais il faut bien constater, écrit l’historien israélien Meir Bar Asher dans Les Juifs dans le Coran récemment paru [12], aujourd’hui, elles sont loin d’être dominantes et rencontrent peu d’écho. L’ordre qu’il nous promet est radicalement antinomique de l’esprit des Lumières, quelles que soient les critiques que depuis deux siècles elles n’ont pas manqué de générer. Reste qu’elles constituent depuis Spinoza, Kant et Rousseau le socle qui fait, aussi, la civilisation que nous entendons défendre. Nous sommes les héritiers du Diderot du Neveu de Rameau et du Supplément au voyage de Bougainville. La bigoterie, l’archaïsme, la bêtise et la violence propres à l’islamisme qui a envahi nos rues ne supporteraient pas, aujourd’hui, la lecture publique d’une seule page de Diderot.
L’islamisation sournoise se marie aujourd’hui à la lâcheté. Un grand nombre de livres publiés il y a cinquante ans ne pourraient plus l’être aujourd’hui. Et autant de films et de pièce de théâtre. En matière de liberté d’expression, la régression est impressionnante, et dans de nombreux cas elle a pour soubassement commun la terreur inspirée par l’islam.
Dans ma mémoire, ce procès est lié à l’épisode des « Gilets jaunes », cette expression démocratique véritablement nouvelle dans ce pays engourdi et apeuré. Le sursaut identitaire et culturel dont les « Gilets jaunes » se réclamaient (au-delà des revendications sociales, à commencer par le prix du carburant), loin d’être réactionnaires, entendait renouer au contraire avec une vie plus authentique, une liberté de l’esprit recouvrée, la rupture avec la solitude de masse, le désir de recréer du lien social, du collectif en questionnant le sens de nos existences éparpillées et fragmentées. Ahuries parce que sidérées par la joie artificielle d’une consommation permanente et sommée d’être « heureuses ».
À regarder le cheminement politique suivi par nos sociétés depuis les années 1970, on est impressionné par une régression démocratique qui dépasse largement le clivage gauche-droite. Étonnés aussi par le fait que cette réalité avait été analysée il y a plus de soixante ans parfois comme lorsque Herbert Marcuse publiait L’Homme unidimensionnel.
L’émotion collective qui nous gouverne, la séduction opérée par la violence et ses oripeaux esthétiques, montrent combien la lecture de Wilhem Reich est passée de mode (cf. Psychologie de masse du fascisme). Ainsi nous sommes nous enkystés dans des schémas mentaux obsolètes quand nous nous figurons revivre la guerre civile d’Espagne alors que c’est sur un autre terrain que notre avenir se joue. Celui décrit par Aldous Huxley dans les années 1930 (cf. Le Meilleur des mondes) qui annonçait le primat du biologique sur le politique tel que le nazisme avait commencé de le mettre en œuvre, et celui de George Orwell (1984) qui dessinait pour la liberté d’esprit un tableau qui est déjà presque le présent en Chine communiste. Et demain, où ?
Notes
[1] Paul Hazard, La Crise de la conscience européenne (1680-1715), [1935], Fayard 1994.
[2] On le trouve sur wikipedia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Pacte…
[3] Mimétisme du fait juif et aujourd’hui du fait israélien jusqu’à la caricature comme lorsque l’Autorité palestinienne décrète un jour de la Nakba comme il y a un jour de la Shoah, ou comme lorsque la contestation de la Nakba est désormais passible des tribunaux pour « crime de négationnisme ».
[4] Cf. Georges Bensoussan, L’Alliance israélite universelle.1860–2020. Juifs d’Orient, Lumières d’Occident, Albin-Michel, collection « Présence du judaïsme », 2020.
[5] Albin Michel, 1948.
[6] Claude Tresmontant, Le Christ hébreu. La langue et l’âge des Évangiles, Desclée de Brouwer, 2015.
[7] Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?, 2023
[8] Le prétexte de cette authentique purge stalinienne – ou, plus précisément, inquisitoriale – était d’avoir paraphrasé lors d’un débat radiophonique (émission Répliques d’octobre 2015) ces mots de Smaïn Laacher sur l’antisémitisme musulman vécu de l’intérieur et prononcés lors d’un documentaire consacré aux Territoires perdus de la République : « … cet antisémitisme, il est déjà déposé dans l’espace domestique. Il est dans l’espace domestique et il est quasi naturellement déposé sur la langue, déposé dans la langue (…) il est dans l’air que l’on respire. Il n’est pas du tout étranger et il est même difficile d’y échapper quand on se retrouve entre soi. ». cf. infra.
[9] Un Exil français. Un historien face à la justice, éd. L’Artilleur, 2020
[10] Je vous rappelle qu’Un Exil français m’avait été commandé par les éditions Stock. Une fois le manuscrit remis, c’est le président de la maison lui-même, Manuel Carcassonne, qui m’informait qu’il le refusait.
[11] « Ici on s’honore du titre de citoyen » lisait-on en 1792-1794 à l’entrée de certaines sections de Paris. Et de province.
[12] Albin-Michel, 2019, p. 248.
https://collectiflieuxcommuns.fr/?1144-Georges-Bensoussan-L-antiracisme-devoye
belle Interview, intelligente, plus qu’intéressante qui dit les choses le tout sans mise au pilori, ni agressivité. Un GB en super forme intellectuel ou sa recherche et son expérience se conjuguent pour faire comprendre et non juger.
Quelle clarté, quelle lucidité et quel humanisme.
Bravo et merci pour votre courage et pour cette magnifique synthèse
SOS racisme étant une association raciste créée et financée par l’Etat, c’est l’Etat lui-même qui est doit être considéré comme la cause directe de toutes ces horreurs devenues quotidiennes. Qui dit État dit gouvernement, associations subventionnées par l’Etat, médias et système judiciaire. Ce que dénonçait Georges Bensoussan il y a environ 20 ans s’est aggravé et étendu : la France toute entière est aujourd’hui un territoire perdu de la République. Les États français européens sacrifient leurs populations et celles-ci n’osent plus se révolter à cause de la culpabilisation que l' »antiracisme » a insufflée dans les esprits de telle sorte que les moutons et les agneaux n’ont plus qu’à se laisser égorger en s’excusant auprès des loups et prédateurs.
Ce qui est très juste et intéressant dans l’analyse de Georges Bensoussan c’est qu’il rappelle le mépris de classe que les bourgeois prétendument « antiracistes » vouent aux classes populaires.
Cela donne l’équation suivante :
« Antiracisme » = antisémitisme + racisme anti-blancs + mépris de classe
@Julien Alessi On peut même parler d’un véritable racisme de classe qui s’ajoute aux deux autres. C’est la même chose aux États-Unis où chez la bourgeoisie « démocrate » et pro BLM on trouve la même haine primaire envers les « rednecks » et l’Amérique d’en bas. Exemples les plus frappants et les plus écœurants à Hollywood, dans le cinéma français ou encore chez des auteurs du style Annie Ernaux.
Donc au final un triple racisme d’Etat. Trois en un.
Biden, Macron et leurs électorats synthétisent réellement tout ce qui existe de pire.