J’ai été le leader politique et religieux du peuple juif en Judée, au 3ème ou 2ème siècle avant l’EC, on ne sait plus trop.
J’étais le chef du Sanhedrin, la cour suprême religieuse, et j’ai officié pendant 40 ans comme Cohen Gadol (Grand Prêtre) du 2ème Temple de Jérusalem, celui que nous avons reconstruit en 516 avant l’EC, à notre retour d’exil de Babylone, et qui sera détruit par les Romains en 70 après l’EC.
Ce qui veut dire que j’ai risqué 40 fois ma vie, car le jour de Yom Kippour, le Cohen Gadol entre dans le Saint des Saints, et s’il est jugé impur, c’est la mort : comme personne n’avait le droit d’entrer, on nous attachait une corde à la jambe au cas où il faudrait récupérer notre corps …
Ça ne m’est pas arrivé, mais à mon dernier Kippour, j’ai eu une vision funèbre et je suis mort peu après.
Les Pirké Avot, les célèbres Maximes des Pères, qui font partie de la Michna, me citent :
1 – « Moïse reçut la Torah au Sinaï et la transmit à Josué ; Josué la transmit aux Anciens, les Anciens aux Prophètes, et les Prophètes la transmirent aux Hommes de la Grande Assemblée ».
2 – « Siméon-le-Juste [c’est moi] fut parmi les derniers des Hommes de la Grande Assemblée. Il disait : “Le monde repose sur trois piliers : [L’étude de] la Torah, le service [de Dieu] et les actes de bienveillance.” ».
3 – « Antignos de So’ho reçut [la Loi orale] de Siméon-le-Juste. Il avait l’habitude de dire : “Ne soyez pas comme des serviteurs qui servent leur maître afin de recevoir une gratification ; mais soyez comme des serviteurs qui servent leur maître sans rechercher de gratification. Et que la crainte du Ciel soit sur vous.”»
J’étais membre de la Grande Assemblée (Knesset HaGuedola), une assemblée de Sages créée à l’époque d’Ezra au retour d’exil de Babylone, pour assurer la direction spirituelle du peuple juif : c’est en souvenir de cette Knesset HaGuedola que l’état d’Israël appellera son parlement la Knesset.
Mon article Wikipédia dit que je suis mentionné dans le « Nouveau Testament », mais je crois qu’ils me confondent avec un apôtre … Quant à Flavius Joseph, il me confondra avec un autre grand prêtre nommé Jaddous.
Je suis surtout connu comme étant le Cohen Gadol devant qui le conquérant grec Alexandre le Grand se serait agenouillé.
Le Talmud de Babylone racontera cette rencontre, quasiment miraculeuse, à l’occasion d’une discussion entre des Sage du 3ème siècle avant l’EC portant sur la possibilité pour un Grand Prêtre de porter ses habits hors du Temple.
Alexandre avait décidé de détruire notre Temple, trompé par nos ennemis Samaritains (qui ne sont « bons » que dans les textes chrétiens).
Alors, je suis allé en grande pompe à la rencontre d’Alexandre, revêtu donc de mes habits de Grand Prêtre. Quand Alexandre m’a vu, il est descendu de cheval et s’est prosterné, expliquant à ses hommes : « L’image de cet homme vainc mes ennemis devant moi quand je suis en guerre. ».
Je l’ai dissuadé de détruire le Temple en lui disant : « Est-il possible que le Temple dans lequel on prie pour toi et ton royaume soit détruit ? ». Quand il a demandé qu’on mette une statue de lui dans le Temple, j’ai négocié qu’à la place on nomme nos garçons Aleksander en son honneur pendant un an, nous avons d’ailleurs continué.
SI vous pensez que c’est une légende parce qu’Alexandre a vécu au 4ème siècle avant l’EC et moi un ou deux siècles plus tard, sachez que ma prière aurait empêché le pharaon Ptolémée IV (244-204 avant l’EC), lui aussi descendant d’un général d’Alexandre, d’entrer dans le Saint des Saints ; ici, les dates collent mieux :
« Il [Ptolémée] vint donc à Jérusalem, et fit un sacrifice d’action de grâces au Dieu suprême, et en général ce qui était d’usage en fait de rites. Or, à son arrivée sur les lieux, il fut frappé de l’arrangement et de la splendeur du temple. Et admira l’ordre qui y régnait. Il lui vint donc l’idée d’entrer dans le sanctuaire.
[…] Cependant le grand-prêtre Simon agenouillé en face du temple et les mains étendues, prononça la prière suivante d’une manière régulière. […]
[…] Aussitôt le Dieu qui voit tout, le Saint par excellence parmi les Saints, exauçant ces légitimes supplications, punit cet homme audacieux et insolent » qui nous a laissés tranquille après quelques velléités de génocide ; la routine quoi …
Cette histoire est rapportée par le 3ème livre des Maccabées, non inclus dans nos textes sacrés.
Mais bon, la bienveillance des Nations ne dure pas, et quelques générations plus tard, les successeurs d’Alexandre vont nous persécuter et nous helléniser de force, et nous voilà à Hanouca …
J’ai vécu à la charnière de deux mondes, entre la fin des miracles et le début du rationalisme.
Avec les autres membres de la Knesset HaGuedola, Malachie, Mordekhaï, notamment, nous avons conduit le peuple de l’époque biblique à l’époque talmudique, de l’époque de la prophétie à celle de la prière, de l’époque des prophètes à celle des Maîtres … et de l’occupation perse à l’occupation grecque.
Malachie, le dernier prophète, transmettait la parole de D.ieu vers 420 avant l’EC : ceux qui avaient fait des mariages mixtes tremblaient quand il leur disait :
« 11 Yehouda a trahi, une abomination s’est perpétrée en Israël et à Jérusalem ; oui, Yehouda a profané ce qui est sacré devant l’Eternel, ce qui lui est cher ; il a épousé la fille d’un dieu étranger. ».
Fini le temps où D.ieu envoyait des plaies sur l’Egypte et nous ouvrait la mer : durant les événements de Pourim, au 4ème siècle avant l’EC, D.ieu a caché sa présence, et Mordekhaï n’était pas un prophète mais un dirigeant communautaire en exil.
De mon temps, D.ieu était encore proche, et ceux qui venaient en pèlerinage à Jérusalem en étaient témoins car jusqu’à ma mort, des miracles subsistaient dans le 2ème Temple : la fumée des korbanot (sacrifices) montait droit, la viande ne sentait pas, le feu se maintenait avec deux petites buches, la lampe occidentale de la ménorah ne s’éteignait jamais, un peu comme ça arrivera à Hanouca, etc. …
Après moi, le Temple ne sera plus qu’une grande synagogue enfumée qui sent la viande grillée.
Coïncidence : la pensée grecque a commencé à séduire les Judéens au moment de la disparition de la prophétie et des miracles.
Le Talmud dira de notre plus célèbre hérétique (en hébreu « Apikoros » terme repris du nom du philosophe grec Ἐπίκουρος auquel a été attribué une apologie des plaisirs et par extension du laisser-aller), Elisha ben Abouya, qu’« une mélodie grecque ne quittait jamais ses lèvres. ».
Ah, l’hellénisme … le sport, l’impérialisme, la pédérastie, les banquets, la débauche, les jolies colonnes, les statues !
Du coup, les Grecs n’admettent pas que nos interdits nous empêchent de partager leur repas, de les épouser, d’adorer leurs dieux. Ils finiront par inventer des meurtres rituels et nous accuseront de dévorer les entrailles d’un Grec engraissé dans le Saint des Saints …
Contrairement à ce qu’on croit, la première rencontre entre le judaïsme et l’hellénisme ne remonte pas à l’occupation de la Judée par les descendants des généraux d’Alexandre à ‘Hanouca, mais à la visite d’Alexandre qui nous a apporté la philosophie de son professeur, le grand sage grec Aristote.
Aristote a écrit des ouvrages scientifiques démontrant que le monde a toujours existé et que la terre est immobile avec des étoiles et planètes tournant autour … Ah non, on me dit que ces théories seront remises en question 2000 ans plus tard.
La sagesse grecque met, au centre du monde, l’homme, sa force, sa beauté, et sa Raison.
Yuval Noah Hariri n’inventera rien quand il écrira dans son Homo Deus :
« La plupart des gens y pensent rarement mais durant les dernières décennies, nous avons réussi à éradiquer famine, peste et guerre. Ces problèmes n’ont bien sûr pas été complétement résolus mais ils sont passés d’incompréhensibles et incontrôlables forces de la nature à des défis gérables. Nous n’avons plus besoin de supplier un quelconque dieu ou saint de nous sauver d’eux. Nous savons très bien comment éviter famine, peste et guerre, et nous y arrivons généralement ».
Revenons à mon époque : mon disciple number-one s’appelle Antignos (du nom mythologique grec Ἀντίγονος) : ses parents auraient pu l’appeler David ou Jacob mais ils étaient déjà influencés par les nouveaux maitres de la région.
Finalement, ce garçon au nom grec qui signifie « contre les parents » (ᾰ̓ντῐ- contre +-γόνος lignage ou tradition), deviendra le père de la transmission de la tradition, qu’on appelle la Loi Orale, bref un “anti-anti-gonos”.
Quand Rabbi Yehudah Hanassi, qui compilera la Michna 400 ans plus tard, rapportera son enseignement, il précisera son nom, comme pour dire, attention, cet homme, qui a subi l’influence grecque, au moins par son prénom, marque le début de l’influence grecque sur nous, et sur vous plus tard.
D’ailleurs, la dynastie juive qui régnera 200 ans sur Israël après ‘Hanouca, les ‘Hashmonaïm, sera fortement hellénisée : le petit-neveu de Juda Macchabée, le héros qui a combattu les Juifs hellénisés et chassé les Grecs du Temple, deviendra roi sous le nom de Yehouda Aristobule 1er Philhellène, ce qui signifie « Meilleur conseiller, ami des Grecs » !
Mon disciple Antignos est le premier de nos Sages qui s’adresse aux Judéens influencés par la pensée grecque : il leur dit de servir D.ieu comme un serviteur sert son maitre de façon désintéressée : sinon on commence à se plaindre que D.ieu ne nous exauce pas, puis on proclame que D.ieu est mort …
Pour finir, je citerai le Siracide de Yechoua ben Sira alias Jésus fils de Sirach (200-176 avant l’EC), ouvrage qui me décrit avec des envolées lyriques :
« Simon, fils d’Onias, est le grand prêtre qui, pendant sa vie, répara la maison du Seigneur, et, durant ses jours, affermit le temple. Par lui furent posées les fondations pour porter au double le mur élevé qui soutient l’enceinte du temple. De son temps fut fabriqué le réservoir des eaux ; l’airain dont il était formé avait le périmètre de la mer. Il prit soin de son peuple pour le préserver de la ruine, et fortifia la ville contre un siège. Qu’il était majestueux au milieu du peuple rassemblé tout autour, lorsqu’il sortait de la maison du voile !
Il était comme l’étoile du matin qui étincelle à travers le nuage, comme la lune aux jours de son plein, comme le soleil » etc. etc.
Je suis mort un 29 Tichri, et ma tombe à Jérusalem est devenue un lieu de pèlerinage :
Voilà ce que dit un article de Wikipédia sur le quartier qui porte mon nom :
“Shimon HaTzadik est un quartier juif sis au nord de Jérusalem.
Établi vers 1890 par des fiducies séfarades à proximité de la tombe de Siméon-le-Juste, d’où son nom, il est principalement connu pour le litige qui oppose les descendants de ses habitants juifs, expulsés lors de la guerre israélo-arabe de 1948, aux occupants des lieux arabes qui y ont été installés par la Jordanie et le considèrent comme une extension du quartier Cheikh Jarrah. L’installation de résidents juifs au début des années 2000 au terme d’une longue bataille juridique, a donné lieu à des heurts fréquents entre Juifs et Arabes, avec une flambée au cours de la crise israélo-palestinienne de 2021″.
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Sources :
-Pirkéi Avot chap 1-1 à 3 https://fr.chabad.org/library/article_cdo/aid/1820757/jewish/Chapitre-Un.htm
-Enseignements du Rav David Uzan
-Shimon Hatzadik Par Yosef Eisen https://www.chabad.org/library/article_cdo/aid/2833935/jewish/Shimon-Hatzadik-Simeon-the-Just.htm
-Siracide ou Ecclésiastique probablement traduit à Alexandrie en grec par le petit-fils de Jésus ben Sira entre 132 et 116 avant l’EC.
https://theotex.org/septuaginta/siracide/siracide_50.html
-Talmud Yoma 39A et 69A
Tamid 31b-32a
Jerusalem Talmud Bava Metzia 2:5
Khagigah 15b
–Heinrich Graetz Histoire des Juifs Traduction par Lazare Wogue, Moïse Bloch. A. Lévy, 1884 (Tome 2, p. 58-78)
-Flavius Joseph Antiquités juives XI, 304-327 https://remacle.org/bloodwolf/historiens/Flajose/juda11.htm
-Les antécédents antiques Le discours antijuif des intellectuels et des politiques du monde gréco-romain Marie-Françoise Baslez Dans Le Genre humain 2016/1-2 (N° 56-57), pages 335 à 355 https://www.cairn.info/revue-le-genre-humain-2016-1-page-335.htm
-“Ambivalence de la figure d’Alexandre le Grand dans la tradition juive” Buisson, Raphaël
https://theotex.org/septuaginta/3maccabees/3maccabees_2.html
-The Survey of Western Palestine: Jerusalem De Sir Charles Warren, Claude Reignier Conder https://books.google.fr/books?id=qQGBSDTCuJ0C&pg=PA304&hl=fr&source=gbs_toc_r&cad=4#v=onepage&q=378&f=false
Merci au groupe Limoudénou !
© Joëlle Galimidi
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Me Joëlle Galimidi, avocate depuis 35 ans, est associée du Cabinet d’avocats HM GALIMIDI, à Paris. Impliquée dans des associations juives (Hilel Campus), sensibilisée par la professeure Liliane Vana au problème des femmes en attente de Guett, Me Joëlle Galimidi participe à des ateliers et conférences sur le Guett.
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