Lors d’un discours prononcé à Prague en août 2022, le chancelier allemand, Olaf Scholz, fit part de l’intention de Berlin d’investir « massivement » dans les capacités de défense aérienne et d’inviter plusieurs pays européens à y participer: « Un système de défense aérienne bâti conjointement en Europe serait non seulement moins cher et plus efficace que si chacun de nous construisait sa propre défense aérienne. […] Ce serait un gain de sécurité pour toute l’Europe et un excellent exemple de ce que nous voulons dire lorsque nous parlons de renforcer le pilier européen de l’Otan », avait en effet soutenu M. Scholz.
Et, deux mois plus tard, dans le cadre de l’Otan, l’Allemagne lança l’initiative « European Sky Shield », avec l’adhésion de 14 pays membres, dont le Royaume-Uni, la Slovaquie, la Norvège, la Lettonie, l’Estonie, la Hongrie, la Bulgarie, la Belgique, la République tchèque, la Lituanie, les Pays-Bas, la Roumanie, la Slovénie et la Finlande.
Pour Berlin, l’idée était alors de créer un système européen de défense aérienne via l’acquisition commune des capacités nécessaires… dont les systèmes IRIS-T SLM [de l’allemand Diehl Defence], Arrow-3 [développé par Israël avec un appui des États-Unis] et Patriot. Exit donc le SAMP/T [Sol-Air Moyenne Portée / Terrestre] franco-italien…
Évidemment, la mise à l’écart de systèmes français [et italiens] fut mal perçue à Paris… d’autant plus que, comme le rappela Emmanuel Chiva, le Délégué général pour l’armement [DGA] lors d’une audition parlementaire, la France « est en mesure de répondre à plusieurs domaines de protection visés [par l’European Sky Shield Initiative] : très courte portée, courte et moyenne portée, et intercepteurs endo-atmosphériques », sans parler des capacités d’alerte avancée.
Et M. Chiva d’ajouter : « Actuellement les Arrow 3 israéliens et des Iris-T allemands ne peuvent pas répondre aux besoins, dans la mesure où il n’y a pas d’interface permettant d’interconnecter ces systèmes opérationnels avec une structure unifiée en termes de C2 [commandement et contrôle], contrairement aux solutions françaises, qui disposent déjà des interfaces de programmation nécessaires ».
Plus tôt, le président Macron s’en était pris, sans la nommer, à cette initiative allemande. « La défense aérienne de notre continent, c’est une question stratégique, solidaire et aux multiples ramifications. [Elle] ne peut se résumer à la promotion d’une industrie nationale ou d’industries tierces aux dépens de la souveraineté européenne », martela-t-il à l’occasion de la publication de la Revue nationale stratégique.
Puis, en février, lors de la Conférence de Munich sur la sécurité, M. Macron annonça la tenue, à Paris, d’une conférence sur la défense aérienne, en disant espérer la participation de « nos partenaires allemands, italiens et britanniques » et de « tous ceux qui souhaitent nous rejoindre en Europe ».
Et, à Bratislava, le président français a confirmé que cette conférence serait organisée le 19 juin prochain. « La guerre en Ukraine a montré [l’] importance vitale de la défense antiaérienne. C’est un sujet stratégique avant d’être un sujet de capacité industrielle, mais très clairement, il doit reposer sur un équilibre d’actions offensives et d’actions défensives. Il doit prendre en compte clairement la dissuasion nucléaire », a-t-il dit, le 31 mai dernier.
Par ailleurs, toujours à Bratislava, M. Macron a aussi insisté sur la nécessité de « développer une base industrielle, technologique de défense vraiment européenne dans tous les pays qui sont intéressés et déployer des équipements pleinement souverains sur le plan européen »: « Quand je vois certains pays qui accroissent leurs dépenses de défense pour acheter massivement du non européen, je leur dis simplement : ‘vous préparez vos problèmes de demain !’ Il nous faut utiliser ce moment pour produire davantage en Européens », a-t-il martelé.
Quoi qu’il en soit, l’Allemagne n’entend visiblement pas dévier de sa route… Et cela sera sans doute un sujet de conversation lors de la conférence annoncée par M. Macron. En effet, selon Reuters, Berlin a bien l’intention de se procurer le système de défense antimissile Arrow-3 pour un montant d’environ 4 milliards d’euros. Une demande en ce sens a été soumise au Bundestag, celui-ci devant approuver, la semaine prochaine, des paiements anticipés pouvant atteindre 560 millions d’euros dans le cadre de ce contrat.
D’après les documents consultés par l’agence de presse britannique, Berlin veut parvenir à un accord de gouvernement à gouvernement avec Israël d’ici la fin de cette année, l’objectif étant que la Luftwaffe [force aérienne] puisse prendre possession de ce système d’ici le quatrième trimestre 2025.
Pour rappel, en partie financé par les États-Unis et développé par Israel Aerospace Industries [IAI] en collaboration avec Boeing, l’Arrow-3 est capable d’intercepter et de détruire des missiles balistiques lors de leur phase exo-atmosphérique grâce à un « projectile cinétique ». Il fonctionne avec un centre C4ISR appelé Yellow Citron et fourni par Tadiran Telecom et un radar « Super Green Pine » qui, conçu par Elta, serait suffisamment puissant pour « couvrir » aussi la Pologne et les États baltes.
© Laurent Lagneau
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