Un café avec François Margolin, Réalisateur de « Sarah Halimi, un crime antisémite et impuni »

Celui qui fut assistant puis monteur de Raymond Depardon avant de réaliser des documentaires remarquables tels Falashas, L’Opium des Talibans, Les Petits Soldats ou encore Salafistes, co-réalisé en 2016 avec Lemine Ould Salem, fait à nouveau entendre sa voix résolument engagée en livrant aujourd’hui au public un documentaire sobre et puissant sur l’Affaire Sarah Halimi: « L’Affaire Sarah Halimi, un crime antisémite et impuni ».

François Margolin, vous avez réalisé avec Lemine Ould Salem Salafistes, un documentaire qui vous a emmené chez les militants et les chefs islamistes du Mali à l’Irak et l’Algérie en passant par la Tunisie et la Mauritanie, pour « comprendre », disiez-vous… Peut-on considérer que c’est encore pour tenter de comprendre que vous avez, dès 2021, voulu consacrer un documentaire à l’Affaire Sarah Halimi ? Racontez-nous la genèse de ce projet.

Je crois ne jamais avoir dit que je voulais « comprendre » les salafistes et encore moins les terroristes. Je voulais les écouter, quitte à prendre des risques considérables pour cela. C’est très différent. Je crois en effet qu’il faut écouter ses ennemis pour mieux les combattre et pas partir d’idées toutes faites. Je crois que si l’on avait réellement écouté les propos de Hitler ou de Goebbels, nous les Juifs nous serions mieux préparés à la volonté d’extermination des Nazis. 

En revanche, je crois que c’est exact que ce film, Salafistes, a compté dans l’idée de réaliser ce documentaire sur l’Affaire Sarah Halimi. Salafistes a été mal compris par certains, pour de très mauvaises raisons, je pense, et même avec une bonne dose de mauvaise foi par des gens qui ont essayé de nous accuser du contraire même de ce pourquoi il était fait: j’ai fait ce film pour essayer de comprendre comment avait pu se dérouler la Shoah par balles en Ukraine où a disparu une partie de ma famille, et des gens nous ont accusés de faire de la propagande djihadiste (!!!), un comble ! Heureusement nous avons fini par gagner devant les tribunaux. Mais faire un film sur le pire crime antisémite depuis la déportation de 1942, ce crime le plus symbolique puisqu’il prouve que l’on peut tuer une femme juive sans être condamné, me semblait essentiel. J’ai d’ailleurs commencé à travailler sur le sujet, quelques mois à peine après le meurtre, avec Noémie Halioua et Alexandre Devecchio.

Comment présenteriez-vous  ledit documentaire ? Quelle est sa valeur ajoutée, après celui d’Alexandre Arcady, réalisé très vite après la défenestration en plein Paris et en public d’une femme juive par son voisin Kobili Traoré ?

Pour ce film, du temps avait passé et je souhaitais pouvoir rencontrer toutes les parties: avocats des victimes, expert psychiatres, amis de Sarah Halimi, policiers, juges, et même avocat de l’assassin. Je souhaitais savoir comment on avait pu en arriver là. Comment une telle somme d’erreurs avait pu mener à ne pas pouvoir empêcher cet assassinat qui aurait pu être évité, et comment un tel fiasco judiciaire avait pu avoir lieu. Je crois que le film d’Arcady, qui a de nombreux mérites, a été fait dans l’urgence, pour dénoncer le scandale. Et c’est très bien qu’il existe. Le mien est très différent. C’est plus une enquête. Qui permet de comprendre. Sans jamais, évidemment, aller contre le caractère antisémite du crime et le scandale de son impunité.

Les acteurs de la chaine infernale qui a pu mener au fiasco que l’on sait, vous les avez tous convaincus de témoigner : l’avocat de Kobili Traoré a la parole au même titre qu’un Maitre Buchinger, qu’un Szpiner ou qu’un Goldnadel, de la même façon que deux des experts psychiatres reviennent sur leurs expertises. Comment avez-vous opéré ces choix ? En êtes-vous après coup satisfait ? Avez-vous des regrets ? Avez-vous essuyé des refus et si oui, lesquels ?

Mon seul regret est que les voisins de Sarah Halimi n’aient pas voulu parler (à part une). C’est terrible que 6 ans après, ils aient peur de témoigner devant une caméra. La peur règne dans ces immeubles du 11ème arrondissement en plein Paris. Si ce n’est pas Kobili Traoré, ce sont ses copains qui font régner la terreur dans le quartier et dans les escaliers. C’est effrayant. Et encore plus que la police ne puisse rien faire. Les Juifs n’ont d’autre solution que de fuir ce quartier qui fut durant des dizaines d’années un quartier multiculturel. Des témoins m’ont, pour certains, raccroché le téléphone au nez. Mais je crois que j’ai eu suffisamment de témoignages divers pour rendre le film passionnant.

La Commission d’enquête parlementaire consacrée à l’Affaire et menée par Meyer Habib est un moment capital de cette tragique affaire : vous reproduisez un extrait accablant de l’audition de la Juge Anne Ihuellou qui explique n’avoir guère le temps de faire salon et un autre, sidérant, de ce policier qui tente d’expliquer qu’il ne s’est pas rendu compte qu’il avait dans les mains les clés de l’appartement des Diarra…

Cette commission d’enquête, menée à l’initiative de Meyer Habib, est essentielle pour comprendre les événements. Les témoignages des policiers sont consternants: on se demande si ce sont des erreurs de commandement ou un effet « 7ème compagnie », où ces fonctionnaires sont totalement à côté de la plaque et du crime monstrueux qui se déroule à quelques mètres d’eux. Quant à la juge, son manque d’empathie pour la victime a quelque chose d’effrayant. Elle est convaincue depuis le début que Kobili Traoré est irresponsable et elle fuit tout ce qui pourrait aller dans un sens contraire de cette idée reçue. Elle ne fait pas d’enquête, elle ne reçoit pas les avocats. Elle est d’une froideur terrible. C’est terrible de penser que, dans ce pays où nous croyons tous à la Justice, il existe des gens qui se comportent ainsi.

Les premières minutes de votre documentaire résonneront longtemps en chacun tant elles évoquent ce qui semble d’emblée comme écrit : ce « 17 » que chacun tente de joindre pour alerter du drame qui se joue en direct et qui semble tourner en boucle… Là n’était-il pas comme écrit la funeste dérive à laquelle nous allions tous assister ?

C’est ce que l’on appelle les « dysfonctionnements » de la police. Je crois malheureusement qu’il en existe beaucoup, même si de nombreux policiers sont efficaces et dévoués. Mais il y a aussi trop de fonctionnaires de police qui agissent en stricts fonctionnaires. On le constate ces temps-ci avec cette accumulation de crimes un peu partout. On manque de policiers, la formation et le sens de l’initiative ne sont pas au niveau. Et la réactivité est trop lente. Dans la cour de l’immeuble où vivait Sarah Halimi, beaucoup de gens ont assisté au crime « en direct ». C’est terrible. Ils n’ont pas été pris au téléphone, et la connexion entre les différents groupes de policiers n’a pas été faite. Et très peu d’entre eux ont été interrogés après.

Traoré est soigné. Traoré ne bénéficie d’aucun soin : il se porte comme un charme. Vous avez volontairement fait le choix de faire se juxtaposer des déclarations opposées, comme celles sur sa responsabilité ou son irresponsabilité. L’effet est sidérant…

Oui, je souhaitais écouter tous les points de vue, fussent-ils contradictoires. Cela me semble plus intéressant que de n’avoir qu’une idée de départ déjà toute faite. L’avocat de Kobili Traoré n’est pas un imbécile et, même s’il cherche à défendre son client, ce qui est son rôle, il est important d’entendre son propos. Quant aux experts psychiatres, quasiment personne ne les avait entendus jusque là or ils ont des analyses très différentes, qui n’auraient pas amené aux mêmes conclusions. Si le tribunal avait écouté l’un plutôt que l’autre, il y aurait pu y avoir un procès. C’est important de voir comment tout cela s’est joué. On ne sait plus aujourd’hui si Kobili Traoré a joué l’irresponsabilité ou s’il était réellement irresponsable.

Comme Salafistes, votre documentaire fait le choix éminemment respectable de ne pas commenter les propos de vos invités : aujourd’hui, quelles conclusions tireriez-vous de ce long travail. Quelles ont été les failles ? Ne faut-il pas ajouter aux divers dysfonctionnements tragiquement rencontrés la lâcheté, et, aussi, la solitude extrême des Juifs, étant précisé que ce n’est pas au Juif en vous que s’adresse ma question, mais au citoyen, à l’Homme ?

D’une part il y a dans le film un commentaire, certes modeste mais qui met en perspective les événements. Mais je ne crois pas qu’un jugement sur les propos des gens aide à la compréhension. Au contraire. Je crois les spectateurs assez grands pour se faire leur idée seuls! Et le montage, sur lequel nous avons longuement travaillé, apporte une démonstration que je crois très claire. C’est ma façon de travailler et je la crois efficace. Effectivement, ce film montre la lâcheté de certains et prouve, malheureusement, que les Juifs restent seuls, comme ils l’ont toujours été. J’oserais dire qu’ils l’étaient sans doute moins au moment de l’Affaire Dreyfus, où c’est toute la France qui s’est mobilisée, et divisée. Là, on a vu un député EELV nous expliquer que c’était une affaire qui « concernait la seule communauté juive ». Une vraie honte.

Nombreux nous avons espéré qu’un jour peut-être, à la faveur d’un fait nouveau qui puisse faire émerger la vérité, s’ouvre le Dossier Sarah Halimi. Or, ni la conclusion de Maître Buchinger, ni la certitude qu’il existe moult témoignages non livrés par peur de représailles, ne laissent espérer un réexamen de l’Affaire. Votre documentaire porte-t-il en lui la moindre espérance, ou doit-on le considérer comme un point final.

Je ne suis pas pessimiste de nature mais je crains qu’il y ait peu de chance que le dossier soit réouvert. Car, contrairement à l’Affaire Dreyfus, il n’y a pas même eu de procès. Mais on ne sait jamais. Croisons les doigts ! Ce serait essentiel pour que l’on puisse dire à nouveau: « Heureux comme un Juif en France », cette phrase qui a fait venir ici tant de Juifs qui fuyaient les pogroms des Pays de l’Est.

Sarah Cattan

RMC Story, filiale du groupe Altice Média accessible via le canal 23 de la TNT et dont le slogan est « La Chaine des histoires vraies », diffusera le documentaire de François Margolin le 2 juillet 2023.

Suivez-nous et partagez

RSS
Twitter
Visit Us
Follow Me

3 Comments

  1. Heureux comme juif en France !! Franchement , imaginer que ce pays a la derive puisse retrouver son equilibre perdu un jour est un doux rêve , mais seulement un rêve 😩
    L affaire Halimi est juste une forfaiture , rien de moins , les ordres ont ete donnés aux fonctionnaires pour satisfaire les interets du prince et de sa cour , Meyer Habib a pu en juger lorsqu il a ete trahi et bafoué par les courtisans de sa majesté macron le petit .

  2. je vais en faire hurler certains: OUI, je souhaite une vengeance, OUI je souhaite la NEKAMA, OUI je souhaite que le Mossad « s’occupe » sérieusement de Kabili Traoré et ne lui permette pas de se pavaner en liberté

  3. Merci à Sarah Cattan pour cet article qui a ravivé mes blessures de juif en France. Quant à Haim Korsa « Grand Rabin de France » vous n’êtes pas mon rabin, pas assez de couilles!!!

Poster un Commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*