Le documentaire de François Margolin. « Sarah Halimi. Un crime antisémite et impuni »

« Monsieur le Président, l’instruction est terminée, donc on ne va pas la refaire aujourd’hui, c’est impossible, c’est interdit par la loi, donc je ne répondrai pas à la question »

Anne Ihuellou, Juge d’Instruction

Le documentaire s’ouvre abruptement sur le bon visage de Yosef Hardy, ami de Sarah Halimi et médecin expert à la Cour d’Appel auquel Maitre Alexandre Buchinger demande d’aller reconnaître le corps à l’Institut médico-légal: « Seul son visage était visible. On m’a expliqué que les traces de coups et blessures empêchaient la présentation du corps ».

Suit l’intitulé du documentaire, sur fond noir. Lui succède une bande-son obsédante d’appels passés au 17, appels en boucle ponctués du disque d’accueil que chacun a en tête: « Vous êtes en communication avec … », disque d’accueil lui-même entrecoupé de messages illustrés de procès verbaux dont on constate qu’ils sont des pièces d’archives: « Une dame est tombée » « J’entends des cris » « Je vois un homme – Ça y est: il l’a jetée »

Comme dans une catastrophe aérienne, c’est l’accumulation des ratés et des erreurs humaines qui a empêché que le meurtrier de Sarah Halimi finisse devant un tribunal

Bienvenue dans la tragédie constituée par la lente mort, que dis-je, le massacre infligé en direct et sous les yeux de Forces de l’ordre et voisins incrédules à Sarah Halimi, mise à mort de laquelle, à la grâce d’un montage déterminé et efficace, vous voilà désormais spectateurs, quelque 5 ans après.

« L’affaire était mal partie depuis le début: comme dans une catastrophe aérienne, c’est l’accumulation des ratés et des erreurs humaines qui a empêché que le meurtrier de Sarah Halimi finisse devant un tribunal »: Une voix vous rappelle en off les faits, ce 4 avril 2017, et évoque ce « crime qui restera impuni »: « 5 ans plus tard, Kobili Traoré se pavane sur Tik Tok à quelques dizaines de mètres » du lieu de son forfait, à la faveur des permissions de sortie de l’Unité psychiatrique qui … l’héberge. « Les voisins ont tous peur de Kobili Traoré et de ses amis qui terrorisent le quartier sis au coeur de Paris. Un des plus grands scandales qui soit », prévient la voix off.

« On ne juge pas les fous », assène Thomas Bidnic d’un ton péremptoire,

« C’est là un principe lié à la civilisation, à l’état de droit »

« On ne juge pas les fous », assène Thomas Bidnic d’un ton péremptoire, « C’est là un principe lié à la civilisation, à l’état de droit ».

Se succèdent à l’écran les témoins convoqués par François Margolin, de Fernando Geberovitch, psychanalyste spécialiste des addictions, aux avocats de la Partie civile ou de la défense mais encore aux deux des 7 experts psychiatres qui ont traité la chose, tous ces témoignages se juxtaposant et se télescopant avec l’avis de 2 journalistes et semblant, encore à la faveur d’un montage visant la mise en situation du spectateur, se répondre l’un à l’autre comme dans une joute verbale sur le sujet.

Défilent les assertions d’un Gilles-William Goldnadel et d’un Francis Szpiner, le premier voyant là « une Affaire symbolique de la puissance de l’antisémitisme venu d’Orient et florissant sur fond d’islamisme » et le second renchérissant lorsqu’il évoque « la culture antisémite liée au conflit israélo-palestinien et à l’islamisme radicale qui imprègne certaines banlieues ».

À Gérard Garçon qui parle de « dérives majeures » semble répondre le PR qui proclama à l’heur du 75ème anniversaire de la rafle du Vel’d’hiv’ que « Justice devait être rendue et toute la clarté se faire concernant l’Affaire Sarah Halimi.

« Nous avons décidé de rouvrir le dossier, de faire entendre les témoins qui ont eu peur de parler », résume la voix off.

À Thomas Bidnic qui considère que « tout s’est bien passé, signe d’un bon fonctionnement de la justice », la voix de Maitre Szpiner répond comme en écho « fiasco judiciaire et injustice » et François Pupponi parle d’une Institution judiciaire « qui n’a pas voulu aller au bout ».

Comme pour donner plus de poids à l’injustice qui lui a été faite, Sarah Halimi est décrite par Olivier Kaufmann, le grand rabbin de la Synagogue de la Place des Vosges comme une « citoyenne hors pair », une « humaniste », deux de ses voisines évoquant les craintes de celle que Traoré terrorisait.

Nous voilà au Sénat, au coeur de la Commission d’enquête parlementaire présidée par Meyer Habib et co-présidée par François Pupponi. L’occasion de retracer la courte vie de celle dont Traoré fera sa proie et qui repose désormais, anonyme, au cimetière de Guivat Shaoul.

C’est via les témoignages de la Commission d’enquête que sera esquissé le dossier chargé du tueur, mais encore les multiples dysfonctionnements qui se seront enchaînés pour constituer la tragédie: un mauvais film, un fort mauvais film. À défaut de reconstitution classique, les membres de la Commission d’enquête se rendront sur le lieu de la mise à mort, tentant de comprendre le pourquoi et le comment d’un tel fiasco: Maitre Buchinger n’aura de cesse de s’indigner de la non-intervention des Forces de l’ordre, lesquelles, en lien téléphonique permanent avec les Diarra supposément séquestrés par Traoré « À aucun moment ils ne pouvaient croire à une affaire terroriste », mais lesquelles encore détenaient entre les mains … la clé qui aurait permis, via l’accès à l’appartement, de sauver Sarah.

Le La est comme donné: de tous les membres de ladite Commission, tous ont « oublié » l’inoubliable: du policier bégayant et répétant qu’il ne s’est pas « rendu compte » qu’il était en possession des clés à l’inqualifiable Anne Ihuellou, Juge d’instruction arrogante qui fait leçon et s’en va répétant que « sa charge de travail l’empêche de faire salon en recevant les avocats », lesquels n’avaient qu’à se référer aux actes utiles à la manifestation de la vérité et qui étaient écrits, on ne sait quel est le plus insupportable à la vue et l’oreille: « Tout est côté au dossier, le code de procédure pénal ne prévoit pas les conversations avec les avocats, si agréables fussent elles ».

Lorsque Meyer Habib lui reprochera de n’être pas allée sur les lieux, la même répondra: « Monsieur le Président, l’instruction est terminée, donc on ne va pas la refaire aujourd’hui, c’est impossible ,c’est interdit par la loi, donc je ne répondrai pas à la question ».

Tant il est exact que ladite juge n’était pas obligée d’aller sur place, et que si elle n’a senti « ni besoin ni intérêt d’aller sur place », elle n’a commis aucune faute, le code ne l’y obligeant pas. On aurait pu imaginer que l’horreur du drame justifie que la magistrate veuille comprendre? Eh bien non. Pas celle-là.

Si bien que la querelle d’experts qui se rejoue devant nous en devient presque « supportable », Daniel Zagury réfléchissant plus en législateur qu’en psychiatre selon Paul Bensussan, lequel ne pardonne pas qu’on ait pu le qualifier de Diafoirius de la médecine, les deux se disputant sur l’altération ou l’abolition de la responsabilité du tueur suite à une consommation de cannabis ayant engendré ladite bouffée délirante aigüe …

On en revient à l’absence de reconstitution. Voilà nos témoins tous d’accord et ignorant pourquoi elle n’eut pas lieu: Maitre Buchinger se battit comme un beau diable pour que la Cour l’ordonne, que soit établi le parcours de Kobili Traoré et, partant, la préméditation et donc l’assassinat, mais encore « le rôle plus que trouble de la famille Diarra ». « Nous étions tous d’accord, de La Défense au Parquet. Tous, sauf la Juge, se souvient Gilles-William Goldnadel. « Je ne peux rationaliser quelque chose qui ressemble à quelque chose d’irrationnel », répète-t-il, alors que Maitre Bidnic lui-même assure: « La défense ne s’est pas opposée, la Cour a décidé que c’était inutile ».

Le spectateur la fera, cette reconstitution opérée par Meyer Habib et son bureau, et qui prouvera qu’il était impossible à quiconque, où qu’il fût placé, de ne pas avoir entendu les cris de la malheureuse.

Comme François Pupponi, Alexandre Devecchio tente d’expliquer ces ratés par la peur: les attentats de 2015 hantent encore les Français. Peut-être cela absout-il cette policière qui reconnait avoir entendu des cris, mais avoir décidé de ne pas aller voir, ou son collègue responsable de l’intervention, et qui répète en choeur: « Je me trouvais seule. Je n’ai pas voulu m’exposer, me faire tirer dessus ». « J’entendais des bruits de voix en arabe. J’ai sécurisé en laissant les effectifs. Non je ne sais pas si j’ai eu conscience d’avoir les clés entre les mains ». « Nous manquions de communication avec la salle de commandements ». « J’ai appris par les ondes-radio qu’une personne avait été retrouvée. J’ai décidé de rester avec les séquestrés ».

Alors que François Margolin a osé à raison la comparaison avec une catastrophe aérienne, on apprend que si Sarah Halimi a été défenestrée le 4 avril et que son meurtrier fut aussitôt arrêté, l’instruction ne sera ouverte que le 14 et Traoré entendu … en juin.

Alors que sont évoqués des voisins « pour le moins passifs et peut-être complaisants », Alexandre Devecchio parle sans détour de « l’omerta médiatique face à un dossier que les journalistes ne veulent pas ouvrir… »

Fernando Geberovitch revient sur la notion de double responsabilité dans cette affaire où coexistent la responsabilité de l’acte lui-même et un état d’irresponsabilité qu’on a provoqué soi-même.

S’ils disputent la qualification « terroriste » du forfait, à nouveau ils tomberont tous d’accord: Si on ne juge pas les fous, tous ceux qui ont vu Traoré à la Chambre de l’Instruction évoquent quelqu’un d’aspect parfaitement normal « qui se porte comme un charme » et ne reçoit aucun traitement, (Daniel Zagury). « Ce serait même un scandale qu’il ne sorte pas », ose Goldnadel, tandis que d’autres supposent qu’en le tenant « hébergé », « on » justifie en quelque sorte son irresponsabilité pénale.

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Noir c’est noir Il n’y a plus d’espoir? « Il faudrait un élément nouveau pour remettre en cause la décision de la Chambre criminelle de la Cour de cassation », conclut le documentaire de Margolin, Alexandre Devecchio n’hésitant pas à parler d’une « nouvelle affaire Dreyfus », Richard Prasquier concluant que « les Juifs sont seuls », et Yosef Hardy ressassant cet antisémitisme qui n’est « ni de droite ni de gauche, ni chrétien ni musulman, ni géopolitique ni politique ni géographique, et qui trouve son origine dans des contrées beaucoup plus profondes ».

On ne peut que remercier François Margolin d’avoir, via ce documentaire éclatant de sobriété et de justesse, rendu chacun de nous témoin d’une chaine de dysfonctionnements à laquelle s’ajouta la fort mauvaise volonté d’un juge tout puissant, le tout amalgamé dans une lâcheté générale qui met en exergue, quelques jours avant la sortie du film, la rareté d’êtres exceptionnels tel celui qui devint à Annecy … « le héros au sac à dos ».

Sarah Cattan

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Fiche technique

Film de François Margolin, avec la complicité de Noémie Halioua

Image: Olivier Jacquin

Montage: Camille Lotteau

Son: Thomas Foule , Actarus

Étalonnage: Shaman-Labs et Romain Pourieux

Voix de Olga Grumberg, Geoffrey Couët, François Nambot

Images d’archives i24 News, BFM TV, LCP Assemblée nationale

Matériel Loca Images

Margo Films Objectif Bastille

Remerciements particuliers: Patrick Drahi, Arthur Dreyfuss, Bernard-Henri Lévy, Julien Lalande, Marie Besombes, Isabelle Larnaudy

Margo Cinéma – 2023 Avec la participation de RMC Story

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2 Comments

    • @jmarz Oui !…Et malgré tout certains ici n’ont pas retenu la leçon. Et ont revoté Macron en 2022.
      Ils ne voient rien.
      Ils n’entendent rien.
      Ils n’apprennent rien.

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