On reste stupéfait devant le silence quasi général concernant la réintégration de la Syrie au sein de la Ligue Arabe. Nul ne s’émeut du blanchiment de Bachar Assad par ses pairs ! Personne ne trouve à redire de ce retour, ni dans le monde arabe, ni dans les chancelleries occidentales, ni chez les intellectuels, ni chez les journalistes, ni chez les commentateurs divers si prompts à s’indigner des “crimes” d’Israël.
Voilà qu’un des grands criminels de ce début de XXI siècle semble absous de ses crimes par ces États supposés frères ! Et le monde se tait !
En priorité, qu’est-ce que cette réintégration nous apprend nous apprend sur le monde arabe ?
Cette affaire confirme une nouvelle fois que les crimes arabo-arabes ne pèsent pas lourd dans les consciences arabes et/ou islamiques quand ce sont des arabes ou d’autres musulmans qui massacrent d’autres arabes ou d’autres musulmans. Entre frères on peut s’entre-tuer et se réconcilier comme si de rien était. Déjà Hussein de Jordanie et Yasser Arafat s’étaient donnés l’accolade après les massacres de palestiniens par l’armée jordanienne en septembre 1970. Les multiples phases de la guerre civile libanaise (1975-1990) ont vu s’entre-tuer puis se rabibocher tout ce que la mosaïque libanaise compte de factions tribales, religieuses, claniques de l’Orient compliqué. Les dirigeants arabes passent aujourd’hui l’éponge sur le gazage des milliers d’opposants syriens par Bachar el Assad, en 2012. Reconduisant les méthodes de son père Hafez El Assad à Hama en 1982. « L’Etat de barbarie » décrit par Michel Seurat mérite bien ce titre. Pas pour tout le monde. La décennie noire en Algérie a fait plus de cent mille morts mais c’est contre un rappeur algérien qui compte se produire Israël que se mobilise l’imaginaire algérien.
Le deuxième enseignement de cette réinsertion concerne la couardise politique occidentale : quel est le regard porté par l’Occident sur cette réintégration? Cette affaire ne perturbe pas davantage les consciences en occident dont seule la real politique inspire son souci prioritaire. Après avoir agité la menace de représailles en cas de franchissement des « lignes rouges » concernant l’usage de gaz de combat par Bachar Assad contre ses dissidents, le président Obama, suivi par la France et le Royaume Uni, n’a pas jugé utile en 2013 de passer des paroles aux actes, après un nouveau massacre de populations civiles, acceptant de passer à la Russie le soin du contrôle des armes chimiques d’Assad. Bien évidemment le parrain russe ne se fit pas prier, protégeant ainsi son obligé.
Le troisième enseignement concerne notre grille de lecture: la réal-politique accepte cette idée profondément raciste d’une barbarie coutumière dans les cultures arabes: lorsque des arabes massacrent d’autres arabes, quand des musulmans massacrent d’autres musulmans cela semble faire partie des coutumes locales et il est considéré comme banal, normal et ne nécessite aucune indignation. Serait-ce par respect décolonial de ces pratiques coutumières? Appliquer aux mentalités arabes des catégories morales un tant soit peu universelles relèverait-il abusivement de la sphère culturelle néo coloniale de l’occident ? Considèrerait-on qu’il y a un goût arabo islamique pour les dictatures ? Comment ne pas être surpris par cette constante nommée Kadhafi, Saddam Hussein, Omar el Béchir, Ahmadinejad, Khomeiny, Ben Ali ? Les pouvoirs éclairés y ont été peu nombreux : Bourguiba, Mohamed V, Boudiaf ont incarné après avoir affronté l’oppression coloniale, des espoirs partagés par leurs peuples. Les « printemps arabes » se sont vite évaporé et c’est surtout en occident que l’on crut cette illusion possible. Seule la révolte des femmes iraniennes contre le pouvoir obscurantiste des mollahs brandit encore le flambeau de la liberté individuelle.
Qu’est-ce que cela nous apprend sur le regard porté par les indignés progressistes ?
Le quatrième enseignement se déduit de ce qui précède. Il concerne enfin et surtout la causalité des malheurs du monde : seuls les « crimes » commis par « l’entité sioniste » effarouchent les consciences et tous les contempteurs d’Israël et leurs amis tiennent à jour cette comptabilité méticuleuse. Seule la politique « d’apartheid » mise en place par le pouvoir « sioniste-raciste-suprémaciste », (comme le précise systématiquement le journal Le Monde), accable le peuple palestinien dans ce « camp de concentration à ciel ouvert » de Gaza. La nazification d’Israël a un double avantage : elle permet, à peu de frais, la rédemption de la culpabilité de la shoah. Les Israéliens feraient subir aux palestiniens un sort identique à ce que les Juifs européens ont subi nazisme et ses alliés. Elle permet ensuite ce réajustement lexical : si les Juifs/israéliens se comportent en nazis, il n’y aurait aucune illégitimité à les traiter comme tels.
Cela vaut bien, comme caution pour certains en France, de soumettre à l’Assemblée Nationale une résolution condamnant ces pratiques « d’apartheid ». Et quand un franco-palestinien membre de l’organisation caritative FPLP est libéré des geôles de ce régime honni, c’est pour mieux le « déporter » comme le dit la députée insoumise Ersilia Soudais…
Peut-on se permettre d’ironiser sur cette farce sémantique, tant elle est sinistre. On sait hélas que les trois quarts des résolutions du conseil des droits de l’homme de l’ONU sont consacrées à la condamnation d’Israël.
Le malheur arabe est réel, le malheur palestinien est réel, mais la raison de ce malheur n’est-elle pas aussi à aller chercher dans ce que le récit arabe a incrusté dans ses mythologies depuis plus de cent ans, construisant le socle de son aliénation ? Avoir fait des Juifs leur ennemi principal reste l’aliment premier, « l’aphrodisiaque majeur » comme le disait Hassan II du monde arabe. Le statut des femmes dans les cultures et les mentalités arabes constitue l’autre matrice de l’aliénation arabe. Nous n’entrerons pas ici dans le naufrage des libertés pour les femmes en Iran et en Afghanistan. Cette mise à l’écart de la moitié de leur peuple constitue l’autre raison de la régression de l’espace arabo-islamique. Accuser l’autre, l’ennemi premier, le sioniste, le Juif, coupable de « l’humiliation » engendre un interdit de penser. Cet argument incantatoire sur la raison fantasmée de ce malheur perpétue un interdit : celui de penser sa propre responsabilité. Le coupable est ailleurs, c’est le colon, le Juif ou le croisé. Aucun regard critique sur ce que les arabes et les musulmans ont fait de leur histoire n’est porté. Seul le culte de la mise à mort par la guerre de cet ennemi fantasmagorique est pris en compte. Comment comprendre la mécanique de ces délires? Où se cache « l’islam des Lumières » célébré par Richard Malka ?
Ahmed Ben Bella, fournit dès 1982 un début de réponse.
L’ancien premier président de l’Algérie indépendante, dans un entretien accordé à Politique Internationale (été 1982) exprimait l’essence de cette pensée : « jamais le peuple arabe, le génie arabe ne tolèreront l’Etat sioniste, et cela parce qu’accepter l’être sioniste reviendrait aussi à accepter le non-être arabe (…) ce que nous voulons nous autres Arabes, c’est être. Or nous ne pourrons être que si l’autre n’est pas (…) Certains dirigeants arabes peuvent bien se rendre à Jérusalem, cela ne changera rien. Il y aura toujours un musulman pour liquider les traitres ». Sur l’analyse des relations franco-arabes il ajoute : « La presse occidentale est dominée, dans sa quasi-totalité, par les Juifs et les sionistes (…) Il existe au sein du gouvernement français un lobby sioniste puissant. » Sur le programme que les arabes devraient développer, Ben Bella précise « Nous n’accepterons jamais ce corps étranger dans notre région, Israël est un véritable cancer greffé sur le monde arabe » (…) Sur la méthode il précise « S’il n’y a pas d’autre solution, alors que cette guerre nucléaire ait lieu et qu’on en finisse une fois pour toutes » (…) Il conclut sur la finalité : « Il se produira une sorte d’osmose entre l’arabisme et l’islam (…) Je crois profondément à la réalisation de beaux projets, au génie arabe, à la disparition de l’Etat d’Israël »
Ces propos dénués de toute ambiguïté disent la matrice de la pensée arabe telle qu’elle a été encore répétée il y a moins d’un an devant le chancelier Scholz par Mahmoud Abbas en contestant le moindre lien historique entre Jérusalem et l’histoire du peuple juif. Faut-il rappeler le passé académique du président de l’Autorité palestinienne et sa thèse négationniste sur la réalité de la shoah ?
Ce rappel est indispensable pour comprendre la psychologie de ceux qui préfèrent serrer à nouveau la main de Bachar Assad. Près de cinq cent mille morts, des villes détruites, des minorités massacrées, les chrétiens coptes, les maronites, les kurdes, les yézidis, méritent moins d’attention que le souci de la nakba, symbole de la Cause des justes causes, désignant Israël comme l’ennemi principal du « génie arabe ».
Cette haine est planétaire est devenue contagieuse, de Gaza à Paris, de Damas à Alger, mais aussi à l’Université Mac Gill au Québec, à l’UCLA en Californie, à l’université de Paris VIII à Paris, au sein du parti travailliste anglais, sous la houlette de monsieur Jeremy Corbyn, des jeunes issus de culture occidentale, élevés dans des pays démocratiques, pétris de bonne conscience, ont fait leurs des slogans des Hamas, Hezbollah et autres Djihad islamique. Ils constituent des éléments matriciels dans leurs systèmes de pensée. La Propalestine n’a plus grand chose à voir avec la Palestine. La haine d’Israël est devenue une haine métaphysique qui obéit à une liturgie dont le registre sémantique se répète à l’infini. Cette haine d’Israël est exceptionnelle, obsessionnelle, unique dans l’histoire des idéologies.
Rien n’y fait : elle est exclusive. ni le désastre démocratique des pays de la Ligue Arabe, ni l’étranglement des libertés individuelles mené désormais nom de l’islam, élargi de l’espace arabe à l’espace de musulman ne sont pris en compte… Les printemps arabes, le Hirak en Algérie la révolte des femmes iraniennes ont un instant laissé croire que le carcan allait se fissurer. Mais l’amour de la haine d’Israël reste l’élément fédérateur, y compris dans nos sociétés d’Europe. Le déni du réel en occident, est la clef nécessaire pour comprendre ces attitudes.
Comment de tels virus ont-ils pu contaminer tant d’esprits ?
Qu’est-ce que l’antisionisme, cette « forme renouvelée de l’antisémitisme » pour reprendre les mots du Président de la République Emmanuel Macron ? L’antisionisme c’est le déni du droit à l’existence pour l’Etat des Juifs. L’antisionisme c’est la contestation, pour le seul peuple juif, du droit à une existence nationale. C’est par voie de conséquence la mise en cause, exclusive, pour les Juifs du droit de se reconnaître comme peuple ayant droit à une souveraineté. De fins esprits contesteront que cette notion n’est pas pertinente et que seul je judaïsme en tant que spiritualité, en tant que lien religieux, réunit l’identité juive. Que révèle cette lecture réductrice de l’histoire juive ? Sinon la non-pertinence de ces concepts adaptés à l’histoire et à l’identité juive déroulée au fil des siècles. Qu’est-ce qu’un peuple sinon l’ensemble des êtres et des âmes qui se reconnaissent en lui. Qu’est ce qui caractérise, qui fonde le concept de peuple ? Une histoire partagée, une spiritualité partagée, une langue partagée, une écriture partagée, des traditions partagées, un imaginaire partagé autant qu’un espoir partagé.
Que reste-t-il des grandes utopies idéologiques nées au XIXe siècle sinon leur transformation en barbaries symétriques : Auschwitz d’un côté et goulag de l’autre. Seul le sionisme présente un visage honorable en dépit des conditions de sa réalisation. Peut-être est-ce au milieu du pire que se rêve le meilleur. Le programme du Conseil National de la Résistance avait aussi une ambition forte rapidement oubliée sous la IVe République. Le Vietnam d’Ho Chi Minh a poussé les boat-people à la mer, Castro a fait de même et il ne reste que Mandela ou Gandhi pour sauvegarder une bonne image de leurs projets émancipateurs. En France, « la Révolution forme un tout » avec heureusement la Déclaration de droits de l’homme pour cacher Robespierre.
En Europe, plus de 70 ans après Auschwitz, certains n’ont toujours rien compris et on reste pantois devant la métamorphose de la haine antijuive. L’aveuglement antisioniste venu de la gauche, la tolérance devant ce phénomène, devant son progressisme autoproclamé, signe la plus grande défaite de la pensée contemporaine. L’Europe reste malade de son histoire, elle reste malade de ses lâchetés, de ses compromissions mais elle pense retrouver sa vertu en attribuant à Israël les mots qui firent son naufrage. Elle n’a pas compris que ce qui menace Israël LA menace. Les européens n’ont pas compris que ce qui menace les Juifs, LES menace.
Chez les Juifs on lève son verre en disant « lé haïm ! » , « à la vie ! ». Cet hymne à la vie, d’autres le haïssent, d’autres ont fait du culte de la mort le sens de leur vie. « Viva la muerte ! » était le slogan des fascistes espagnols, ils ont désormais de troubles héritiers chez ceux qui ont fait de la haine d’Israël leur obsession vitale. C’est avec les outils de la psychanalyse, ceux de l’ethno psychiatrie qu’il faut lire ces étranges attitudes. Cet impensé dans la psyché de l’Occident, dans sa pensée politique, dans ses catégories de gauche, laisse un profond trouble que la mode woke ne fait qu’aggraver. Ce renversement symbolique n’augure rien de bon et les incantations sur le « fascisme qui ne passera pas » se trompent de cible. Si fascisme il y a, il porte désormais le masque de l’islamo-gauchisme dont le propalestinisme pavlovien est la figure de proue.
© Jacques Tarnero
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