

J’ai lu il y a quelques jours un livre, signé Stéphane Encel(1), consacré à Cyril Hanouna et à son « système », qui dit beaucoup sur l’état de la France… Je ne l’avais pas lu à l’époque de sa sortie, mais Sarah Cattan s’en était chargée (2) et avait publié aussi une interview de l’auteur (2).

Cet ouvrage passionnant, éclairant et diablement bien écrit, je l’ai donc lu à l’heure où sortaient en librairies d’une part un nouveau livre dénonçant Hanouna, mais sous la plume de Juan Branco ce qui augure du pire (4), d’autre part – et c’est nettement plus intéressant – un nouvel ouvrage de Stéphane Encel, consacré cette fois à Georges Orwell et à son roman « 1984 ».
L’un des livres les plus connus du 20ème siècle, dont le nom a été évoqué souvent lors de la pandémie du Covid19 et du contrôle de la population consécutif au confinement.
Mais aussi, sans doute, l’un des livres les plus mal lus… En tous cas pas avec la profondeur de Stéphane Encel.
Quel est le rapport ?
A première vue, on pourrait penser qu’il y a un gouffre entre les deux sujets : Hanouna et « 1984 ».
Et pourtant… Dans « Ce n’est pas que d’la télé », Orwell et « 1984 » étaient cités à de nombreuses reprises…
Et pourtant « Le Monde selon Orwell, avez-vous bien lu 1984 ? », le nouveau livre de Stéphane Encel, est d’une brûlante actualité car le système Hanouna se révèle être l’un des symptômes les plus visibles en France d’une maladie mondiale qui nous étreint et menace de nous étouffer. Une brique dans un risque totalitaire généralisé, appuyé sur les GAFAM, nos « Big Brothers » du 21ème siècle…
Jamais en effet la « novlangue » ou si l’on veut la perversion et l’affadissement de la langue, le contrôle des masses par l’image et l’aliénation technologique et binaire comme armes politiques majeures, n’ont fait penser à « 1984 » plus qu’aujourd’hui, quarante ans plus tard…
De Charybde en Scylla
Hanouna dans « Tribune Juive » ? Nous lui avons consacré au fil des années plus de 80 articles. Certains pour le défendre ou apprécier ses gestes philanthropes, d’autres pour dénoncer ses comportements ou ses complaisances coupables.
Si nous l’avons souvent défendu, c’est essentiellement parce que nous ressentions que derrière certaines des attaques dont il était l’objet – les moins argumentées – se nichait une forme d’antisémitisme à peine voilée.
Si nous l’avons dénoncé, comme Encel l’a fait dans son livre il y a deux ans, c’est que nous avions conservé les yeux ouverts devant les dérives de ce qu’il est possible d’appeler le « système Hanouna ».
Il faut bien dire que depuis 2021, loin de se calmer, ces dérives se sont multipliées et aggravées. Au point qu’Encel pourrait très aisément compléter et mettre à jour son livre initial : affaire Palmade (avec dans la foulée l’intervention de Karl Zéro et d’un trafiquant de drogue ressortant cette vieille et terrible histoire de « L’adrénochrome » inspirée des pires rumeurs antisémites du moyen-âge), affaire de la Petite Lola (et la demande de justice immédiate ou plutôt de vengeance immédiate de la part de l’animateur), déballages obscènes de l’affaire Ary Abittan (par une spécialiste de la « trash press »), insultes en plateau avec le député LFI Boyard (qui fut pourtant le chroniqueur d’Hanouna), guerre ouverte avec Booba hostile à Magali Berdah, la papesse des « influenceurs » (en cheville avec Hanouna), etc.
Et n’oublions pas l’épisode tragi-comique autour des « excuses » de Dieudonné et des passages dans la foulée de Francis Lalanne. Et pas plus la déferlante Di Visio, pendant la pandémie, qui aura tous les jours ou presque joué un rôle important dans la défiance de la population vis-à-vis des politiques – ce qui peut être légitime – mais surtout vis-à-vis des scientifiques et des médecins – ce qui peut être délétère…
Retour à 1984
Mais revenons à Orwell et à son « 1984 » que Stéphane Encel analyse en profondeur.
Son livre est une passionnante plongée au cœur d’une œuvre écrite en 1949 et qui a connu d’emblée un succès considérable. Une œuvre que, de génération en génération, on se repasse ou qu’on lit, contraint et forcé mais souvent ravi – ce fut mon cas -, au collège ou au lycée.
Hélas, à cet âge, on ne dispose pas toujours de la construction intellectuelle et de la maturité suffisantes pour en apprécier les côtés visionnaires et révolutionnaires. On serait tenté de dire éminemment politiques.
On a donc tendance à n’en conserver que la saveur anxiogène ou que le côté science-fiction et dystopique. Un peu comme dans « Le meilleur des mondes » d’Huxley, dans « Fahrenheit 451 » de Bradbury ou dans « Le zéro et l’infini » de Koestler.
« 1984 », c’est bien plus que cela. C’est bien plus qu’un conte dystopique, comme « La ferme des animaux » n’est pas qu’une fable digne de Jean de La Fontaine… C’est sans doute l’une plus belles armes intellectuelles de dénonciation et de destruction massive du totalitarisme.
Le lire en profondeur, comme le fait Encel, c’est aller bien au-delà de ce que tout le monde sait ou croit savoir sur le roman, qui tient essentiellement en trois mots : « Big Brother » (is watching you), « télécran » et « novlangue ».
C’est admettre qu’il avait « vu juste ». L’auteur le montre à grand renfort d’exemples et de références, extérieures au roman, mais qui lui font écho.
Une construction qui aide à comprendre
La construction, habile, du livre d’Encel nous aide à progresser vers la compréhension du sens profond et de la brûlante actualité qui émane de « 1984 ». L’écrivain Orwell est d’abord analysé dans toutes ses dimensions : son profil, son parcours, ses ambitions, ses influences et motifs d’inspiration, les sources de la genèse du livre …
Puis est étudié le contenu du livre lui-même, ses personnages phares, ses concepts, sa construction… Prenant alors sa casquette d’historien, Encel replace l’ouvrage dans son époque et se questionne sur sa réception à l’origine, dans l’immédiat après-guerre mondiale et les débuts de la guerre froide. Comment aussi sa perception a évolué (ou pas) depuis 1949 et comment ses influences, explicites ou plus implicites, ont impacté le récit et ses concepts forts, de même que les diverses traductions qui en ont été faites.
Enfin, Stéphane Encel en vient à évoquer « 1984 » au présent de 2023. Car le lire c’est à coup sûr ressentir un vertige en découvrant au fil des pages les « prémonitions » d’Orwell.
C’est pour tout cela qu’il faut lire ce nouveau livre de Stéphane Encel, comme j’ai lu avec un immense plaisir celui de Renée Frégosi (5).
Le lire pour résister aujourd’hui, comme Orwell le fit hier.
© Gérard Kleczewski
« Le Monde selon Orwell, Avez-vous bien lu 1984 ? » Stéphane Encel. Éditions du Cerf. 192 pages.
Notes
- 1. Stéphane Encel est docteur en histoire, universitaire et professeur, président de la commission « histoire et mémoire » de la Licra. On lui doit notamment les livres « Matrix, En quête de nos futurs », « L’antisémitisme en questions », « Ce n’est pas que de la télé », « Petit crapahut dans le parler de Kaamelott à l’usage des pégus et du gratin », « Les hébreux » ou encore « Histoire et religions : l’impossible dialogue ? ».
- 2. https://www.tribunejuive.info/2021/11/13/sarah-cattan-a-lire-le-livre-de-stephane-encel-sur-le-systeme-cyril-hanouna/
- 3. https://www.tribunejuive.info/2021/12/24/stephane-encel-hanouna-est-problematique-pour-la-democratie/
- 4. https://www.lepoint.fr/economie/exclusif-ce-que-contient-le-livre-de-juan-branco-sur-cyril-hanouna-25-05-2023-2521571_28.php
- 5. https://www.tribunejuive.info/2023/05/03/cinquante-nuances-de-dictature-de-renee-fregosi-ouvrage-indispensable/