Interview. « Une série sur la Famille, les obligations et la loyauté«
Entre « Le Parrain » et « Shtisel », une coproduction israélo-belge, sur une famille hassidique d’Anvers qui se bat pour sauver son affaire et est entraînée dans le monde illégal.
Une nouvelle série télévisée est sortie la semaine dernière sur Netflix, où le yiddish est à l’honneur, et qui ne se déroule ni à Brooklyn, ni à Jérusalem.
« Rough Diamonds » est une série policière en huit épisodes co-produite par Keshet International et la société belge De Mensen. Basée sur la communauté juive hassidique du quartier diamantaire d’Anvers, la série propose une intrigue à mi-chemin entre « Le Parrain » et « Shtisel ».
Co-créée par les Israéliens Rotem Shamir et Yuval Yefet, la série est centrée sur la famille Wolfson, des Juifs hassidiques anversois qui travaillent dans l’industrie du diamant depuis des générations. Lorsque le plus jeune des frères Wolfson se suicide, Noah, son frère avec qui la famille a coupé les liens, retourne à Anvers 15 ans après avoir quitté le mode de vie ultra-orthodoxe et découvre que l’entreprise familiale est menacée de toutes parts.
« C’est un scénario très intéressant pour un drame et pour une série télévisée… c’est un peu comme le déclin d’un empire », a confié le réalisateur de la série, Shamir, lors d’une récente interview accordée au Times of Israel. Alors que la communauté juive orthodoxe d’Anvers dominait autrefois l’industrie, toutes sortes de changements survenus au cours des 25 dernières années ont « coupé l’herbe sous le pied de cette communauté qui se retrouve aujourd’hui dans une situation compliquée ».
La série est tournée principalement dans un mélange de flamand et de yiddish, avec quelques touches de français et d’anglais. Ni Shamir ni Yefet – qui ont déjà travaillé ensemble sur « Fauda » et sur la série policière « Line in the Sand » – ne parlent l’une ou l’autre langue, mais tous deux étaient impatients de s’immerger dans un nouveau monde.
« Nous ne venons pas d’un milieu ultra-orthodoxe, et nous n’avons pas d’antécédents belges, c’est donc l’un de ces projets, qui vous le savez sera long à développer et à écrire », a déclaré Yefet, scénariste principal de la série. « Parce qu’il faut s’immerger dans ce monde pour le connaître, et avoir beaucoup de conseillers et de traducteurs ».
Shamir a déclaré avoir beaucoup d’expérience dans la production d’émissions dont il ne parle pas la langue, que ce soit les scènes en arabe dans « Fauda » ou la multitude de langues – dont le français, le kurde et l’arabe – dans « No Man’s Land » de Hulu.
« C’est devenu une activité qui m’est propre, dans un sens, la réalisation dans une langue que je ne parle pas », a déclaré Shamir. « Mais ça n’est nullement un obstacle pour moi. C’est une expérience très intéressante d’apprentissage de tout ce qui ne fait pas partie du ‘parler’, comme outil de travail avec les acteurs. Je travaille beaucoup sur le sous-texte et la motivation, les expressions faciales, le langage corporel, qui, je pense, est ce qui fait finalement un bon acteur ou un bon metteur en scène, plus que le texte ».
La plupart des acteurs ont dû apprendre à parler yiddish pour le rôle : les trois frères et sœurs Wolfson, Noah, Eli et Adina, sont joués par des acteurs belges non-juifs.
« Il y a eu beaucoup de débats à ce sujet, mais nous nous sommes vite rendu compte que, comme certains personnages devaient parler flamand, nous aurions besoin d’acteurs parlant flamand », a déclaré Yefet.
Shamir a remarqué un phénomène assez rare dans le milieu ultra-orthodoxe anversois : « Tout le monde parle entre cinq et six langues, ils se parlent entre eux et passent d’une langue à l’autre en permanence, ce qui est assez impressionnant à voir et à entendre ».
Ce flux naturel entre le yiddish, le flamand, l’anglais et le français est quelque chose que « nous avons voulu recréer dans la série », a déclaré Shamir – même si de nombreux téléspectateurs internationaux manqueront le passage subtil entre les langues, en particulier ceux qui sont peu susceptibles de distinguer le yiddish du flamand, qui ont tous deux des racines allemandes. « C’est dommage, mais c’est comme ça… peu de téléspectateurs remarqueront l’effort considérable accompli ».
Les aînés de la famille sont cependant interprétés par des acteurs israéliens ayant une bonne connaissance du yiddish : la matriarche Sarah est interprétée par Yona Elian, tandis que le patriarche Ezra est joué par le légendaire Dudu Fisher.
« Le charisme de cet homme devant la caméra m’a époustouflé », raconte Shamir à propos de sa collaboration avec Fisher, mieux connu pour son rôle de Jean Valjean dans « Les Misérables » à Broadway dans les années 1990. « Il n’y a pas beaucoup d’acteurs de cette trempe, et certainement aucun qui ne maîtrise aussi bien l’anglais, le yiddish et l’hébreu ». Fisher, qui a mené une longue carrière de cantor, a par ailleurs apporté son « incroyable bagage religieux » à la série, notamment dans la scène du traditionnel dîner de Shabbat.
Les acteurs et l’équipe ont travaillé avec Arthur Langerman, professeur de yiddish, et les conseillers culturels Esther-Miriam Brandes et David Damen pour mieux saisir les détails et les nuances de la communauté juive hassidique belge.
« Mais nous avons été aidés par un grand nombre de conseillers, qui nous ont épaulés pour la traduction et la formation … et pour nous apprendre comment cela fonctionne là-bas », a déclaré Yefet, notant qu’un bon nombre d’entre eux a demandé à ne pas être crédités pour leur travail. « Cela a influencé la manière dont nous avons bâti l’intrigue. Le simple fait d’apprendre certaines choses d’eux, la façon dont les choses fonctionnent dans leur communauté, a permis de façonner le scénario ».
Une attention particulière est accordée à de nombreux détails dans la série, qu’il s’agisse du couple qui se réveille dans des lits séparés (pour maintenir la « nida » période de séparation rituelle pendant les menstruations), du personnage qui moucharde auprès du directeur de la yeshiva qu’un enfant inscrit chez lui a accès à Internet sans filtre à la maison (ce que de nombreuses institutions ultra-orthodoxes interdisent), ou même du hassid qui se présente à un rendez-vous avec ses affaires dans un sac en plastique (car de nombreux hommes haredim ne portent pas de porte-documents ou de sacs à dos).
« Il est très important pour nous que les gens voient que nous avons pris cette tâche très au sérieux, dès le premier instant – en faisant des recherches très approfondies, en nous assurant que ce que nous disons est authentique et en développant une relation étroite, chaleureuse et durable avec la communauté », a déclaré M. Shamir.
Les co-créateurs ont indiqué qu’ils avaient travaillé avec diligence pour établir des liens et une relation de confiance avec la communauté hassidique locale d’Anvers, à la fois avant et pendant le tournage.
« Nous avons beaucoup communiqué avec eux », a déclaré Yefet. « C’était tout un processus. Au début, les gens se méfient toujours beaucoup de vous ». Certains membres de la communauté ont même tenté d’interrompre le tournage ou d’empêcher toute coopération avec l’équipe.
Mais, selon Yefet, « dès que nous avons commencé le tournage, plusieurs membres de la communauté se sont vraiment impliqués dans la série », y compris certains figurants et petits rôles à l’écran.
« Nous avons vraiment dû gagner la confiance des gens », a ajouté Yefet. « Et nous y sommes arrivés parce qu’ils ont compris que nous venions de bonne foi et que nous n’étions pas là pour essayer de les exploiter ou de leur voler quoi que ce soit… Nous voulions brosser un tableau complet de la situation ».
Le tableau de la communauté dressé dans la série est loin d’être rose et montre comment les problèmes de l’entreprise familiale conduisent certains de ses membres à la violence, à entretenir des liens avec la mafia et à se livrer à divers comportements peu recommandables.
Plusieurs personnages non juifs font montre d’un certain antisémitisme – notamment en déclarant que les Juifs « n’aiment pas payer des impôts » – tandis que les personnages juifs tiennent des propos douteux, comme : « J’ai retenu une leçon des goyim [non-Juifs] : quand quelqu’un vous énerve, vous prenez un bâton et vous vous en occupez ».
Yefet et Shamir ont indiqué qu’ils ont toujours gardé à l’esprit le risque de réactions antisémites face à la série – notamment lorsqu’elle montre des Juifs orthodoxes ayant des relations avec le crime organisé – mais qu’ils se sont également efforcés de présenter un portrait nuancé et humanisant d’une communauté qui est souvent largement fermée aux yeux du grand public.
« Lorsque vous découvrirez leur vie… qui ressemble à la vôtre à bien des égards, les réactions seront tout à fait le contraire de réactions antisémites », a déclaré Yefet. « D’autant plus que même si c’est une série sur le mondes des affaires, l’avidité n’en fait jamais partie ».
Les thèmes généraux et les valeurs de la série sont universels, même s’il s’agit d’une très petite communauté, ont suggéré les créateurs.
« C’est une série sur la famille, sur les obligations, sur la loyauté », a déclaré Shamir. « Ce n’est absolument pas une série sur des gens qui n’ont plus de morale ou qui ont perdu leurs repères, au sens où on l’entend. Tous les personnages ont un sens très fort de leurs idéaux et du respect qu’ils portent à l’histoire, à leurs parents et à leur héritage ».
© Amy Spiro
Poster un Commentaire