« La zone d’intérêt », de Jonathan Glazer, au Festival de Cannes

« The Zone of Interest », de Jonathan Glazer © DR

À la sortie du livre de Martin Amis, la question avait été de savoir si on pouvait se servir d’un sujet aussi grave pour mettre en scène, sur fond de camp de concentration, un « vaudeville chez les nazis », puisque ce fut ainsi que l’annonça la presse.

Sorti en français, « La Zone d’intérêt » fut souvent loué pour avoir réussi le pari de mettre en scène ce que Hannah Arendt appelait la banalité du mal.

Dans sa représentation des nazis, Amis allait en effet à l’encontre du poncif éculé du SS aristocrate, érudit, amateur de musique classique, décadent et incestueux servi par Jonathan Littell dans « Les Bienveillantes »: Paul Doll, commandant du camp de concentration, et Angelus Thomsen, officier SS – deux des trois personnages à prendre la parole dans le roman, le troisième étant Smulz, un déporté juif chargé d’évacuer les cadavres –, ainsi que ceux qui les entourent, sont de petits-bourgeois d’une médiocrité affligeante, des petits fonctionnaires du mal, dont Amis parvient non seulement à restituer le vocabulaire effroyablement technique, déshumanisé, mais également la vie quotidienne et les intrigues, rivalités, amours ou histoires de sexe dénués d’intérêt.

Amis avait réussi à dévoiler comment ces hommes et ces femmes qui avaient participé, organisé voire commandé le plus grand et le plus horrible massacre de toute l’histoire de l’humanité, pensaient et vivaient à quelques pas de leurs victimes, faisant de ses « héros » des êtres ordinaires et d’autant plus monstrueux qu’ils étaient « ordinairement » cruels dans la plus totale indifférence.

Le réalisateur britannique Jonathan Glazer arrive à la projection du film « The Zone Of Interest ».
76e édition du Festival de Cannes. 19 mai 2023. © Loic Venance / AFP

C’est de ce livre de Martin Amis que s’empare pour l’adapter son compatriote Jonathan Glazer, désireux de montrer sur grand écran le quotidien de l’officier SS Rudolf Höss, installé avec sa famille à côté du camp d’extermination.

La « zone d’intérêt », c’est l’appellation utilisée par les nazis pour décrire la zone de 40 kilomètres carrés entourant le camp de concentration d’Auschwitz, et le projet de Glazer est bien une adaptation fidèle du livre de Amis: montrer la banalisation de l’horreur via ce portrait d’un officier nazi et sa famille goûtant aux plaisirs de la vie dans leur maison jouxtant la camp d’Auschwitz. Voilà offerts au spectateur Rudolf Höss, et sa femme Hedwig, surnommée « la reine d’Auschwitz », englués dans le déni et attachés à construire une vie de rêve dans cette maison dotée d’un jardin fleuri et d’une piscine, entourés de leurs gens de maison utilisant des vêtements spoliés, leurs enfants jouant à examiner … des dents en or: entendent-ils des tirs, l’arrivée des convois de la mort, les cris de détenus? Tous ceux-là tirent les rideaux afin de ne plus voir non plus la fumée s’élevant des chambres à gaz. 

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